Volonté politique. L’expression est sur toutes les bouches, surtout par les temps (politiques) qui courent. On use et en abuse autant que faire se peut, au point que l’expression devient un véritable et inévitable fourre-tout. Même les saintes bouches des prélats catholiques qui dirigent les négociations directes du Centre interdiocésain versent dans ce langage hermétique et plein d’euphémismes frisant la malhonnêteté intellectuelle. Reçu en audience le 19 décembre dernier au Vatican par le Pape François sur la situation politique en RD Congo, Mgr Fridolin Ambongo, le N°2 de la centrale des évêques catholiques qui co-dirige les discussions entre acteurs politiques rd congolais déclarait à nos confrères de La Croix : « Je suis donc d’un optimisme prudent. À la fois très mesuré car je ne suis pas sûr qu’il y ait une volonté politique de sortir le pays de la crise et, en même temps, j’ai l’espérance chrétienne de croire que tout est possible ». Volonté politique de qui ? Pour faire quoi ? Cela, seuls quelques rares initiés peuvent l’expliquer. Autant que ses proches dont la plupart se recrutent surtout dans les rangs de l’opposition politique en RD Congo, où on présente habituellement « la volonté politique » comme un apanage exclusif de ceux qui détiennent le pouvoir.
Volonté de déblocage
Ainsi en est-il des points de blocage aux négociations directes du Centre interdiocésain de Kinshasa, qui dépendraient de la « volonté politique » du Président de la République, par exemple : il lui suffirait, selon cet entendement, de « décrisper » la situation politique en ordonnant (sic !) la libération d’un certain nombre de personnes présentées par les membres de l’opposition radicale comme des prisonniers politiques ou d’opinion, quels que soient par ailleurs les faits mis à leur charge par les instances judiciaires qui sont, en principe indépendantes. La volonté politique de Joseph Kabila se manifesterait également s’il prenait publiquement (par un message direct à la nation et au monde) l’engagement de « renoncer » à postuler à un troisième mandat électif consécutif et à ne pas organiser de referendum populaire, toutes choses qu’il n’a à aucun moment projeté de faire…
A l’examen de ces revendications de l’opposition politique rd congolaise, on peut avancer que la volonté politique est une sorte de mesure exceptionnelle ou particulière, au-delà de mesures ordinaires voire, constitutionnelles et légales.
Les mesures de décrispation politiques sollicitées sont donc des mesures, des décisions d’exception, qui exigent que Président de la République se substitue aux cours et tribunaux, se plaçant donc au-dessus de la légalité (la même qui fonde son pouvoir en qualité de Président de la République, donc) et cherchent à l’humilier en lui faisant confesser des fautes que ses adversaires politiques n’ont eu de cesse de lui prêter dans leur stratégie de communication politique. Elles ne peuvent donc être ni obligatoires, ni imposables. Le destinataire d’une telle sollicitation n’est pas tenu d’y accéder, et est tout à fait fondé de s’y opposer, à son corps (et honneur) défendant. Il y a donc comme une sorte de malhonnêteté à présenter ce type de mesures comme une « volonté politique », comme si elles ne dépendaient que du simple vouloir du Chef de l’Etat. Etant donné qu’entre la mesure sollicitée et la volonté présidentielle s’intercale la mesure ordinaire, générale ou légale. Le subterfuge ici consiste à présenter des mesures sollicitées pour des raisons politiciennes et subjectives comme des mesures ordinaires pour le rétablissement de droits qui auraient été bafoués. Dieu seul sait que ce n’est pas le cas en RD Congo.
Malhonnêteté intellectuelle
Les revendications qui tournent autour de la fameuse décrispation politique souffrent de cette espèce de malhonnêteté foncière en ce qu’elles exposent le Président de la République à l’interférence dans les affaires judiciaires, aussi mal administrées soient-elles. Une interférence qui non seulement constituerait un précédent fâcheux mais en plus, mettrait à mal les principes fondateurs de l’Etat de droit que sont la séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire à travers la soumission de tous aux jugements rendus par les cours et tribunaux.
La volonté de politique exigée du Président de la République est, sur cette question de décrispation politique comme sur d’autres, la volonté d’enfreindre ou de contrevenir aux lois. Voire, de placer la justice dans une sorte d’état de veille, en attendant on ne sait trop quel grand soir…
Ce dernier aspect est patent dans les revendications de « laisser-faire » qui entourent les interpellations judiciaires à l’encontre de certains acteurs politiques de l’opposition. Notamment, dans les affaires Kyungu wa Kumwanza, poursuivi pour offense au Chef de l’Etat par le Procureur Général de la République ; et Franck Diongo, pris en flagrance de séquestration et mauvais traitements infligées à des personnes revêtues de l’autorité publique. Les poursuites engagées contre ces deux personnalités par la justice seraient, selon le Rassemblement, « contraires à la décrispation de la situation politique de la RD Congo », laissent-on entendre confusément. Comme si la crise politique en voie de résolution (ou pas) équivalait à une sorte d’état d’exception, de non droit où tout serait permis : faire offense au Président de la République ; séquestrer et passer à tabac des éléments des forces de défense et de sécurité ; détourner les biens publics et spolier de biens privés … bref, une sorte de non-Etat parfait en attendant …
Interdictions anticonstitutionnelles
L’autre volonté politique sollicitée du Président de la République, même sortie de bouches cléricales, n’en repose pas moins sur cette même sorte de malhonnêteté foncière : l’engagement public et solennel de « renoncer à briguer un troisième mandat électif consécutif et de ne pas organiser de referendum de modification constitutionnelle pendant la période préélectorale ». D’abord, parce que la constitution ne stipule nulle part une obligation pour quiconque, fut-il un président en fin de deuxième mandat, de se soumettre à un tel exercice de « déclaration préalable de non candidature » pour quelque motif que ce soit. Ce que la constitution ne prévoit pas, pourquoi et au nom de quel principe une personne ou un groupe de personnes se permettraient-elles de l’imposer ?
Par ailleurs, est particulièrement gênante, cette interdiction de ce que la constitution n’interdit pas qui se dissimule derrière l’obligation de ne pas organiser de referendum constitutionnel, un droit reconnu non seulement au président de la République mais aussi au peuple congolais, à travers une pétition de 100.000 citoyens. La perspective d’un referendum est présentée comme un tabou, alors qu’elle est on ne peut plus constitutionnelle. Tout se passe comme si, avant une partie de football, l’arbitre exigeait abruptement d’une des équipes en présence de ne pas aligner d’athlètes maniant le pied gauche, au motif que l’équipe adverse ne disposait pas de gauchers, contrairement aux règlements footballistiques.
La constitution n’apparaît-elle pas comme un ensemble de règles qui bouchent un certain nombre d’occurrences et laisse d’autres ouvertes, à l’intérieur desquelles tous les assujettis évoluent en toute légalité ? Si la réponse à cette interrogation est affirmative, interdire l’exercice d’un droit constitutionnel reconnu au souverain primaire serait anticonstitutionnel. Faire prendre un tel engagement solennellement par un Chef d’Etat dont la mission est précisément de respecter et faire respecter la constitution est une manière de lui faire violer son serment constitutionnel.
La « volonté politique » y relative, sollicitée de Joseph Kabila, apparaît à cet égard comme une volonté de le pousser à empiéter sur la constitution.
J.N.
VOLONTE POLITIQUE : Un véritable panier à crabes
