En RD Congo, un climat politique apaisé semble durablement impossible. Au pays de P.E. Lumumba, les années (politiques) passent en conservant la fâcheuse et désespérante tendance à se répéter. La réussite partielle (ou l’échec partiel) de la facilitation au dialogue politique national le rappelle à la mémoire de ceux qui veulent bien s’en souvenir encore. A la fin des années ’90, la communauté africaine craignant pour l’avenir politique immédiat de la République du Zaïre, recourait aux bons offices d’un certain Abdoulaye Wade pour négocier une passation de pouvoir dans la sérénité avec le défunt Maréchal Mobutu. Sans réussir à ébranler les aveuglants égoïsmes et irréalismes des acteurs politiques de l’opposition de l’époque, à la tête desquels plastronnait déjà un certain Etienne Tshisekedi …
26 ans après, bis repetita : appelée à dialoguer, la partie la plus radicale de l’opposition rd congolaise s’y oppose farouchement, en fait, et verse dans des préalables qui signifient l’absence de tout Etat et de tout pouvoir organisé en dehors d’elle. C’est la fameuse stratégie de la table rase tshisekediste qui, si elle a fait le bonheur et la renommée du vieil opposant, n’est pas étrangère aux événements tragiques ont suivi la chute et la mort de Mobutu Sese Seko à la fin de la décennie ‘90. L’histoire se répète. Probablement parce qu’au sein de la classe politique et dans l’opinion nationale se font face une conception « angéliste » de la pratique politique. Elle suppose, dans l’imaginaire de certains acteurs politiques et dans l’opinion, que dans l’arène politique se disputent les bons et les méchants, les sauveurs et les tueurs, et que par conséquent il faut soutenir les bons et les sauveurs. Naturellement, dans une telle perception manichéiste de l’art de gouverner et de gérer la cité, les opposants, ceux qui ne sont pas aux affaires, seraient des anges et des sauveurs, opposés à ceux qui sont au pouvoir qui ne seraient que des tueurs parce qu’ils y sont, justement.
L’organisation d’un dialogue politique national pour organiser la passation du pouvoir dans la sérénité en RD Congo s’est heurtée à cette conception triviale de la politique. Une partie de l’opposition rangée derrière le Rassemblement des Forces Acquises au Changement s’est présentée aux négociations nantie d’une conception du dialogue conçue comme l’organisation du remplacement de la majorité au pouvoir : le respect du nombre des mandats présidentiels, l’organisation de la présidentielle (et non pas des autres scrutins électoraux) dans les délais constitutionnels, le départ du Président de la République en fonction dès la fin de son second mandat en décembre prochain … telles sont les principales revendications de ces opposants qui n’ignorent pas que ces vœux sont impossibles à réaliser dans les temps requis.
Sur la suite à donner aux événements politiques après le respect de ces fameux délais butoirs, silence de morts. Le plus important pour cette partie de la classe politique rd congolaise qui trahit ainsi son irresponsabilité chronique, c’est que la majorité au pouvoir fasse place nette. Le reste, le partage du gâteau sans doute, pourrait venir comme de soi-même, dans cet entendement motivé par de plus ou moins obscurs desseins d’accession éclair au pouvoir d’Etat : le mal, c’est de ne pas être au pouvoir.
Seulement, rien n’est aussi antidémocratique que cette conception du dialogue ou de tout autre forme de négociation en vue de la gestion ou du partage du pouvoir. D’abord, parce que si l’alternative au pouvoir est un remplacement des méchants par les bons, il peut ne plus être nécessaire de consulter l’électeur. Et même s’il était consulté, l’électeur, le souverain primaire, n’aurait presque plus de choix à effectuer, parce que les bons doivent accéder aux affaires, ce sont eux qu’il faut élire sans tenir compte de leurs idées sur la manière de gérer la cité ou les affaires publiques. Dialoguer pour remplacer les tenants du pouvoir est donc une forme de dictature à plus d’un égard, parce qu’il charrie une conception unilatérale de la manière d’opérer une succession au pouvoir d’Etat ; mais aussi parce qu’il prône un raccourci qui dispense d’un exercice démocratique fondamental : la compétition libre et transparente qui permet au souverain primaire de se prononcer.
Dialoguer, dans la situation actuelle de la RD Congo, ce ne peut donc être une stratégie de défenestration de qui que ce soit. Ce doit être une discussion pour organiser la succession au pouvoir à tous, de manière libre, équitable, transparente … Les acteurs politiques de l’opposition comme ceux de la majorité doivent, tous, pouvoir trouver leurs comptes dans les conditions d’organisation de la poursuite du processus électoral et des élections sans craindre tricheries et autres dysfonctionnement susceptibles de décrédibiliser les choix exprimés par les votants. On est loin d’une simple affaire de changement, de passage de la dictature à la démocratie : c’est de la poursuite d’un processus déjà enclenché, qu’il faut améliorer, qu’il s’agit.
J.N.