Depuis le début de la semaine qui tire à sa fin, le 18 avril 2016, les médias dits mondiaux (RFI, AFP, VOA, BBC …) ne tarissent pas d’informations plus ou moins alarmées sur la situation politique à Lubumbashi dans l’ex.province du Katanga. Mardi 19 et mercredi 20 avril, des incidents ont opposé, au siège de l’Unafec de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, d’anciens partisans, des combattants dénommés « Zulu » et des éléments de la police nationale venus mettre bon ordre sur les lieux.
Cependant, le même mercredi 20 avril s’est déroulé un événement d’importance qui a affecté des centaines de milliers de personnes non seulement à Lubumbashi mais aussi un peu partout à travers la RD Congo : le match de football qui a opposé la formation locale du TP Mazembe à son homologue marocaine du Wydad Casablanca. Score final : 1 but partout. Mais forte de l’avance prise un peu plus d’une semaine plutôt au match aller (2 – 0), la formation marocaine s’est qualifiée au détriment de la formation rd congolaise, pourtant détentrice du titre.
Elimination précoce
Les corbeaux de Lubumbashi, ainsi qu’on surnomme la formation de Mazembe que dirige depuis près d’une décennie maintenant l’ancien gouverneur de l’ex. province du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, sont ainsi écartés de la Ligue Africaine des champions dès les 8ème de finale, ce n’est pas glorieux. Mais ils seront automatiquement reversés en coupe de la Confédération Africaine de Football (CAF), c’est toujours cela d’acquis, d’où venait d’être éliminé l’autre représentant de la RD Congo, le FC St Eloi Lupopo de la même ville de Lubumbashi.
L’élimination précoce du TP Mazembe de la Ligue des champions de la CAF mérite pourtant toute l’attention de l’opinion sportive et publique de la RD Congo. Certainement plus que les frasques politiques d’un Gabriel Kyungu, connu depuis des temps immémoriaux pour un activisme politique à la limite du pogrom et du génocide tribal. On doit déjà à cet ancien gouverneur de l’ex. Katanga (lui aussi !) la triste épuration ethnique des luba vers la fin de la dictature mobutiste. L’inénarrable président de l’Unafec paradait déjà, à l’époque, à la tête d’une milice, l’équivalent des combattants « Zulu » actuels : la Juferi (Jeunesse de l’Union des Fédéralistes Républicains Indépendants). Sous des cieux plus conséquents, de carrière politique, Gabriel Kyungu wa Kumwanza n’en aurait plus jamais eue, en fait. Le TP Mazembe de Lubumbashi, et tous les rd congolais qui adulent ce club de football, plusieurs fois champion continental et 2 fois représentant de la RD Congo à la coupe du monde club, valent mieux que le vieux politicien et beaucoup d’autres personnalités de sa catégorie.
Un des plus grands budgets du continent
Depuis quelques années, au nom de Mazembe est étroitement associé celui de son président sponsor, Moïse Katumbi Chapwe. L’homme a doté l’équipe d’un des plus grands budgets du continent, en ce compris un aéronef particulier exclusivement réservé aux déplacements du team. Ce qui a permis aux corbeaux de recruter de recruter de nombreux joueurs étrangers, un peu trop de joueurs étrangers, parce que l’équipe en est venue à aligner au cours d’un match de compétition nationale la bagatelle de 9 étrangers contre seulement 2 rd congolais.
L’opinion sportive, à Lubumbashi et un peu partout à travers la RD Congo, a pu croire que les succès du club lushois étaient dus à la qualité et nombre d’athlètes étrangers recrutés. Dès son arrivée à la direction des corbeaux, Moïse Katumbi a entrepris d’importer une véritable colonie zambienne avec les Sunzu Stopyra, Kalaba Rainford, Singulume, Sinkala … Avant de jeter son dévolu sur l’Afrique de l’Est d’où ont été requis en renfort des joueurs ghanéens, ivoiriens, maliens, etc. Avec cet armada étrangères, et quelques rd congolais triés sur le volet, Katumbi peut se targuer d’avoir ramené au pays au moins deux trophées continentaux. Mais il ne parviendra pas occulter le fait que le tout premier trophée de son règne ainsi que la première participation à la coupe du monde des clubs, Mazembe les doit à des athlètes rd congolais coachés par un entraîneur tout aussi rd congolais qu’eux, Santos Muntubile.
La génération Muntubile était rd congolaise
Le mythe des joueurs étrangers est donc fallacieux à plus d’un égard et, surtout, contreproductif. Outre les primes et salaires faramineux dont ils bénéficient (ils auraient pu rendre heureux plusieurs familles rd congolaises dont les enfants manient le ballon rond), les joueurs étrangers privent les joueurs rd congolais de l’expérience qu’ils tirent des hautes compétitions auxquelles ils prennent part. En définitive, c’est le football rd congolais, c’est la RD Congo qui perd lorsque les clubs du pays privilégient les joueurs étrangers aux nationaux. Le dernier championnat continental de football réservé aux athlètes évoluant au pays organisé au Rwanda l’a démontré : la formation rd congolaise détentrice de la coupe de Ligue des champions de la CAF, le TP Mazembe, n’a y aligné que 3 joueurs alors que c’est elle qui devrait en constituer l’ossature. Pays aux dimensions continentales, la RD Congo est, comme son sous-sol, une véritable mine talents sportifs, qui ne demandent qu’un encadrement adéquat et conforme aux standards internationaux. Il suffit de le parcourir pour s’en convaincre. Ce n’est pas un hasard s’il tient une place de choix parmi les exportateurs de la denrée sportive qu’est le football, dans tous les pays limitrophes et même hors du contient africain.
Il est évident que l’on doit cette fâcheuse tendance à ignorer les intérêts supérieurs de son propre pays à Moïse Katumbi Chapwe. Il y aurait eu lieu d’en sourire si l’homme limitait sa propension à privilégier les intérêts étrangers au domaine sportif. Mais il semble bien ce trait de personnalité soit plus profondément ancré que cela. Surtout si l’on veut bien se souvenir, par exemple, qu’alors qu’il était encore gouverneur de l’ex. Katanga, Moïse Katumbi avait déjà pris le gouvernement à contre-pieds en critiquant le projet de révision du Code minier. Motif avancé : ne pas décourager les investisseurs.
Défenseurs d’intérêts miniers étrangers
Seulement, en plus de sa qualité de gouverneur, le président-sponsor du TP Mazembe était aussi, en effet, opérateur minier. En prenant partie pour lui-même et ses collègues qui oeuvrent dans ce secteur d’importance cruciale dans l’économie nationale, il marchait allègrement contre les intérêts du plus grand nombre de ses compatriotes. Parce qu’en RD Congo, le Code minier promulgué au lendemain des guerres d’agression qui avaient mis le pays à genoux en 2003 constituait le prix à payer pour que la paix revienne. Sous la pression des puissances capitalistes, les mêmes qui avaient soutenu et financé guerres et rébellions au pays de Lumumba depuis les années ’96, le gouvernement dit transition (1 + 4) avait été contraint de promulguer cette loi qui d’incroyables avantages fiscaux aux opérateurs miniers. Notamment, 10 ans d’exonérations de nombreuses taxes et impôts. Le gouvernement tentait depuis 2013 (dix ans après la promulgation de la fameuse loi donc) de ramener les avantages accordés aux miniers à des proportions plus équilibrées et plus avantageuses pour le trésor public lorsque son gouverneur dans l’ex. Katanga avait pris le parti de torpiller son action.
Des exemples qui révèlent l’extrême extraterritorialité des intérêts (ils sont avant tout financiers) du président du TP Mazembe sont légions. On aurait pu ne pas s’en plaindre outre mesure si l’homme n’était qu’un homme d’affaires. Mais ce n’est pas le cas puisque Moïse Katumbi s’est mis dans la tête de pousser la combinaison des affaires et de la politique jusqu’à nourrir et afficher des ambitions à diriger la RD Congo. Il y a, à n’en pas douter, péril en la demeure. Que fera de ce pays un homme qui n’a pas hésité un seul instant à privilégier les intérêts des exploitants miniers à ceux de son pays, pour ne citer que cet exemple parmi d’autres ?
J.N.