Le conflit ukrainien et l’adoption le 2 mars 2022 à l’ONU d’une résolution condamnant l’agression russe font encore jaser autour du vote des africains dans les instances onusiennes que d’aucuns prédisaient massivement alignés sur les positions de l’Otan.
Bien que la résolution adoptée à une forte majorité à New York demandait à la Russie de «cesser immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », les détails du vote sont révélateurs de profonds clivages. Sur les 193 membres de l’ONU, 5 ont en effet voté contre dont l’Erythrée tandis que 8 Etats du continent africain se sont abstenus (Algérie, Burundi, RCA, Mali, Sénégal, Afrique du Sud, Soudan et Angola). La Guinée, le Burkina Faso, le Cameroun et le Maroc quant à eux ont décidé simplement de ne pas participer à l’exercice.
Ce sont donc au total 13 Etats Africains qui ne se sont pas alignés contre la Russie de Vladimir Poutine. Suffisant pour susciter des questionnements sur les rapports entre l’Afrique et ses anciens maîtres occidentaux. Les habituelles pressions de ces derniers n’ont pas tardé.
Révélations
Sans surprise, des médias en occident et sur le continent révèlent les dessous des cartes qui se jouent à l’ONU, révélant les conséquences des choix opérés par les Etats africains début mars. « Les mauvais élèves africains (sont) réprimandés par les autorités européennes », lançait un confrère du Monde-Afrique pour qui « l’ancienne ministre de la défense allemande, devenue depuis 2019, présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, envisage sérieusement de punir les Etats qui se sont abstenus ou ont voté contre la résolution présentée à l’ONU ».
Cette punition affecterait l’aide au développement qui ne serait plus versée aux mal-votants et irait aux caisses de l’Union africaine. «Vous êtes avec nous ou contre nous » semble être la nouvelle devise de l’Union Européenne à en croire cette publication française.
La même source renseigne que le chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, avait menacé de placer les deux missions de formation des militaires maliens (EUTM et EUCAP Sahel) en attente pour la même raison. Et aussi, qu’«il n’est pas question que les unités de l’armée malienne formées au combat par les missions de l’UE collaborent aux activités du groupe russe Wagner ». Cette mesure qui concernerait quelques 16.000 soldats maliens est de nature à affaiblir sérieusement les capacités défensives du Mali face aux groupes djihadistes qui le menace.
Sur son compte Twitter, mercredi 23 mars 2022, Jean-Marc Châtaigner, ambassadeur de l’UE en RDC, a formellement démenti cette information « délirante » selon ses propos.
L’aide au développement visée
Mais plusieurs analystes interrogés par nos confrères de la Deutsche Welle (DW) allemande sont moins catégorique que le diplomate européen. Citant Thierry Vircoulon de l’Observatoire de l’Afrique Centrale et de l’Institut français des relations internationales, ils assurent que « certains pays africains qui ont opté pour la neutralité pour ne pas froisser leur allié russe en s’abstenant de se prononcer sur la guerre en Ukraine par réalisme politique et diplomatique comme la RCA ou le Mali, où sont déployés des agents du groupe privé de sécurité russe Wagner, ont effectivement à craindre des représailles».
Dénégations de façade et menaces croisées
L’écrivain guinéen Tierno Monenembo affirme pour sa part carrément que « L’Ukraine a menacé la Guinée à laquelle elle a imposé de détacher le consulat de son ambassade à Moscou. Or, Conakry n’a pas d’ambassade en Ukraine. Donc, l’ambassade est à Moscou et le consulat de Guinée en Ukraine dépend de Moscou. Et l’Ukraine a imposé à la Guinée de sortir son consulat de l’ambassade de Guinée à Moscou. Je pense qu’ils ont même ôté au consulat guinéen son statut. Ils lui ont interdit de porter des plaques diplomatiques. De la même manière, la Russie nous menace de sanctions, si jamais nous suivons les directives de l’Ukraine ». Kafkaien…
Certes, les pressions diplomatiques font souvent partie des pratiques internationales de dissuasion, mais on a l’impression que l’Afrique devient de plus en plus une sorte de punching-ball entre puissances globales bélligérantes. C’est ce qu’assure Jean-François Akandji-Kombé, professeur de droit public à la Sorbonne, à Paris. «C’est le jeu actuel dans la vie internationale. Les Etats, qui ont des intérêts, essaient de forcer les plus faibles à s’aligner derrière leurs positions. C’est ce qui explique ces pressions sur l’Afrique aussi bien de l’Occident que de la Russie. Le continent noir doit plus que jamais se déterminer face à de telles pressions en ne regardant que ses propres intérêts», soutient-il à bon escient.
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