En ce mois de décembre 2019, le Conseil d’administration du Fonds monétaire international se réunit à Washington DC (USA), dans le cadre de son assemblée annuelle, pour examiner la situation économico-financière d’un bon nombre des Etats membres. Il s’agit de décider, au regard de la mise en œuvre des recommandations de ses missions de suivi à chaque gouvernement, de l’approbation ou non de certains programmes relatifs aux financements tirés de la ligne de la Facilité élargie de crédits.
Le dossier de la RDC, qui figure dans le lot, est parmi ceux à l’ordre du jour à la demande des nouvelles autorités gouvernementales en place. La RDC qui fait face à d’importants défis économiques et à la terrible maladie à virus Ebola (MVE) avait, on le sait, suscité au cours de l’année qui se termine, une forte mobilisation de ses nombreux partenaires, depuis que l’OMS a décrété cette épidémie comme une urgence médicale de portée mondiale. Plusieurs aides ont été mises à disposition pour soutenir les équipes de riposte à la MVE sur le terrain, accélérer le programme de vaccination dans les zones-cibles et renforcer la surveillance, le suivi ainsi que la lutte contre la propagation de cette maladie très mortelle. A l’issue de la dernière mission des délégués du FMI à Kinshasa, en août dernier, et au terme des discussions avec les autorités congolaises, était intervenue la signature d’un programme intérimaire ou de référence à moyen terme qui prendra fin au mois de mai 2020, ainsi que de l’accord ad referendum d’une assistance financière de 370 millions USD au titre de la facilité élargie de crédit rapide et d’un programme de suivi par les services du FMI.
Vendredi 6 décembre 2019, en marge des travaux préparatoires à l’assemblée annuelle du Conseil d’administration du FMI, le représentant résident de cette institution de Bretton Woods à Kinshasa, Philippe Egoumé, a animé au siège de cette institution financière internationale une conférence de presse sur les Perspectives économiques régionales et celles de l’Afrique subsaharienne. L’intitulé de cette communication intitulée « Face à l’incertitude » en dit long sur l’état d’esprit de ce partenaire traditionnel de la RDC. L’orateur était assisté de l’économiste Emmanuel Gbadi Masiokpo.
Pour l’essentiel, le patron du bureau du FMI à Kinshasa a présenté des diagnostics sur la situation économico-financière de la RDC et mis en exergue des mesures que les autorités congolaises devraient prendre en compte pour orienter leurs politiques et améliorer la gouvernance, afin d’avoir une croissance rapide, inclusive et soutenue. Au nombre de ces recommandations, Philippe Egoumé a épinglé globalement « des réformes structurelles bien pensées ». Il s’agit notamment des plans de réhabilitation et de construction d’infrastructures cohérents avec l’objectif de créer les bases d’une croissance durable. Il suggère également à la RDC la mise sur pied des politiques qui permettraient à terme de diversifier l’économie et de s’attaquer aux niveaux élevés de pauvreté et de chômage au sein d’une population en rapide expansion. Tout en saluant le fait que la croissance du secteur non minier s’accélère de façon appréciable, l’expert du FMI déplore que celle du secteur minier connaisse une forte décélération à la suite de la volatilité des cours des produits de base. « La réduction de la réglementation, la simplification et la consolidation des impôts et des paiements non fiscaux, la sécurité judiciaire, l’amélioration de la gouvernance et celle de l’environnement des affaires, devraient figurer parmi les autres mesures urgentes à prendre par le gouvernement congolais », estime-t-il.
Les nouvelles autorités congolaises sont exhortées par le fonds à s’astreindre à plus d’orthodoxie financière et à l’amélioration de la gouvernance. « Le gouvernement devrait disposer d’un compte unique du Trésor logé à la Banque centrale, pour plus de transparence, une meilleure gouvernance et un contrôle plus efficace des finances publiques. La BCC a opéré des dépôts dans les banques commerciales pour couvrir les prêts du gouvernement et ses prêts », observe le FMI qui recommande fermement à la Banque Centrale du Congo (BCC) de placer ses réserves en devises dans des banques de règlements internationaux ou à la Federal Reserve américaine, une proposition questionnée par nombre de monétaristes congolais qui mettent en exergue les ambiguïtés des relations actuelles entre la France et les pays de la zone CFA au sujet de leurs réserves placées à la Banque de France.
Autres recommandations : supprimer toute nouvelle garantie contre des prêts du gouvernement et ses prêts avec ses réserves internationales. Concernant le marché de change, la Banque centrale est appelée à maintenir un taux de change qui ne soit pas volatile. Et ce n’est pas tout. En matière de fiscalité, le nouveau gouvernement congolais devrait s’atteler, selon Egoumé, à résoudre le problème de l’accumulation des crédits d’impôts non remboursés qui ont atteint près d’un milliard et demi USD, rétablir l’IPR et l’orthodoxie financière.
Le bureau du FMI à Kinshasa invite en outre le gouvernement congolais à «envisager des mesures d’ajustement de l’ambitieux programme de la gratuité de l’éducation de base et de celui des 100 jours du président de la république en fonction de ressources disponibles ». Une façon comme une autre d’indiquer qu’il serait illusoire pour Kinshasa de compter sur les généreuses promesses d’appui à ces deux programmes « qui ont mis une forte pression sur les dépenses publiques » enregistrés ici et là à ce sujet.
Ils insistent sur un plan de trésorerie qui « devrait être calqué sur le plan d’engagement pour ne pas aller au-delà des recettes mobilisées ». A cet effet, le Fonds monétaire international engage instamment Kinshasa à « s’assurer d’avoir un meilleur contrôle en renforçant la chaîne de dépenses publiques et n’opérer des dépenses que sur base caisse », mot pour mot ce que faisaient les différents exécutifs des deux mandatures de Joseph Kabila.
C’est sur sa capacité à mettre en œuvre toutes ces recommandations que l’éligibilité de la RDC à l’ouverture d’autres programmes sera jugée lors de l’assemblée annuelle du FMI en cours à Washington. Comme pour dorer la pillule, Philippe Egoumé avait auparavant peint le tableau général de la croissance en Afrique subsaharienne qui reste à deux vitesses. Des graphiques et des diagrammes faisant foi, il a dévoilé que cette croissance est plus élevée dans les pays pauvres et devrait rester vigoureuse dans ceux pourvus en ressources naturelles, dans lesquels elle avoisine 6 % . Le Ghana, le Nigeria et le Kenya se situeraient en bonne place dans ce lot. Il a noté à cet effet, que 24 pays comptant en tout près de 500 millions d’habitants, verront leurs revenus par habitant augmenter plus vite que le reste du monde. Par contre, la croissance devrait rester lente dans les pays riches en ressources naturelles pour environ 2,5 %, alors que 21 pays devraient enregistrer une croissance par habitant plus faible que la moyenne mondiale.
Au chapitre des exportations, entre 2014 et 2019, le représentant résident du FMI en RDC a exprimé quelques inquiétudes du fait de la guerre commerciale qui a fait rage entre les Etats-Unis et la Chine, laquelle a vu ces deux grandes puissances économiques augmenter leurs droits de douane. « La plupart des pays africains qui exportent les produits non transformés et donc sans valeur ajoutée en sont sérieusement affectés », selon l’expert qui s’y appuie pour expliquer la tendance baissière de la croissance économique de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne.
La question qui mérite d’être posée face à ces perspectives pour le moins mitigées est celle de savoir si l’intérêt bien compris de la République Démocratique du Congo n’est pas de diversifier les paniers dans lesquels elle devrait placer les pions pour son décollage ainsi que l’avait fait l’administration Kabila. Après tout, l’économie est une affaire factuelle et non « idéologique ». Au nouveau président de la République Félix Antoine Tshisekedi de décider.
LE MAXIMUM