A Genève en Suisse, le 14 avril 2018, de supposés « partenaires bilatéraux et multilatéraux » de la RD Congo se sont permis d’organiser, sans le consentement de ce pays membre de l’ONU, une conférence de levée de fonds soi-disant pour « résoudre une crise humanitaire sans précédent ». Pour parvenir à leurs fins – qui se situent en fait à milles lieux de l’humanitaire – l’ONU et l’Union Européenne, les organisateurs du forum de Genève, avaient classé ce pays continent situé au cœur de l’Afrique, extrêmement riche en ressources naturelles du sol et du sous-sol, qui sort laborieusement et non sans succès palpables d’un cycle de guerres télécommandées depuis deux décennies, au niveau dit L3. Soit au même niveau sécuritaire que la Syrie ou le Yémen, deux pays également très riches en ressources naturelles (essentiellement pétrolières) qui sont eux en passe d’être rasées complètement par une guerre sans merci que s’y livrent les plus grandes armées de la planète.
Cette conférence « humanitaire » de Genève sur la RD Congo avait bien mis la puce à l’oreille de plus d’un dans l’opinion nationale et internationale. A l’évidence, quelque chose clochait dans l’acharnement des humanitaires onusiens à imposer unilatéralement aux Congolais un catalogue cataclysmique et son mode d’emploi. Au nom de principes, en définitive, assez peu questionnés mais qui passent pour des acquis dans les relations internationales depuis la nuit des temps. En fait, depuis l’aube des indépendances, en ce qui concerne les Etats du continent noir, pour ne pas dire la RD Congo : une sorte de droit d’ingérence humanitaire ou d’intervention pour sauver des âmes en détresse. Qui sont en réalité plus occidentales qu’africaines ou rd congolaises.
Intervention militaro-humanitaire 10 jours après l’indépendance
Quelques jours seulement après que le colonisateur belge eût accordé l’indépendance à la RD Congo en juin 1960, des parachutistes belges étaient largués sous le ciel du nouvel Etat indépendant le 10 juillet 1960. Pour, soutenait-on, « venir en aide aux nombreux ressortissants belges et européennes demeurés dans ce pays en proie aux troubles de l’après-indépendance ». Ces troubles, on le sait encore mieux aujourd’hui, avaient été délibérément fomentés par … des colonisateurs soucieux de préserver leurs intérêts économiques en RD Congo. « Les réactions de l’opinion publique aux événements de juillet 1960 n’ont fait que conforter le gouvernement belge dans son action, en particulier en ce qui concerne l’intervention militaire qui, d’un point de vue humanitaire, était indéniablement une nécessité … » se défend un rapport du parlement belge sur la responsabilité de la Belgique dans l’assassinat du leader indépendantiste Patrice-Emery Lumumba. Point de vue humanitaire ? Il n’y en avait point eu lorsqu’à l’intérieur des mêmes frontières rd congolaises sévissait un esclavage féroce, qui a décimé des populations entières. Ni, encore moins, lorsque Le roi Léopold II de Belgique faisait couper des mains par centaines de personnes pour stimuler la production du caoutchouc dont les finances royales avaient envie. Dès l’origine, ce qui deviendra le fameux « droit d’ingérence humanitaire » a émergé d’eaux beaucoup trop troubles qui ne permettent pas d’identifier clairement les bénéficiaires de l’action humanitaire. En raison des responsabilités participatives de l’intervenant dans le drame humanitaire décrié ou présenté comme tel. Autant que dans l’évolution ultérieure de la situation qui suscite ces interventions humanitaires, même avec des fleurs aux bouts des canons des fusils d’assauts. Très peu parmi elles ont apporté un début de solution aux problèmes décriés, en fait.
Dans le cas précis de l’intervention de l’armée belge en RD Congo en juillet 1960, l’objectif de Bruxelles n’avait de toute évidence pas grand-chose d’humanitaire. Tout au moins, pas exclusivement. Les observateurs conviennent aujourd’hui que surpris par la rapidité des événements qui ont abouti à l’accession à l’indépendance de l’ancienne colonie, les milieux financiers de la métropole ont pesé de tout leur poids pour préserver les acquis de la colonisation. Les sécessions katangaises et sud-kasaïennes, fomentées pour priver le jeune Etat des moyens financiers dont il avait besoin avaient servi de manière flagrante à cette fin. Parallèlement furent mises en œuvre des stratégies visant à compromettre toute indépendance réelle de l’ancienne colonie et en y faisant perdurer les intérêts économiques et stratégiques de l’ancienne métropole malgré le nouveau statut international du nouvel Etat, grâce à la présence d’agents d’influence mais aussi en procédant vaille que vaille à la création et l’entretien d’une nouvelle élite locale entièrement vouée à la défense des intérêts belges. C’est ce que reconnaissent les enquêteurs du parlement belge lorsqu’ils écrivent qu’« une majorité des fonctionnaires et officiers estimaient que l’on attendait d’eux qu’ils jouent un rôle important dans l’édification du nouvel État. Dans la pratique, les missions de ces fonctionnaires et officiers ne sont pas toujours apparues clairement, pas plus que n’était clair de qui ils dépendaient, bien que le statut prévoie leur mise à la disposition des autorités congolaises ».
La guerre ou le pain importé
58 ans après l’indépendance de la RD Congo, les rapports entre la RD Congo et la Belgique, ainsi que certaines puissances occidentales ne semblent pas avoir notablement évolué à cet égard. La moindre incertitude quant à l’exploitation et à la destination des ressources naturelles de l’ancienne colonie entraine toujours des manœuvres de déstabilisation politique, militaire, économique, du pays de Lumumba. Qui elles-mêmes appellent la pérénisation d’interventions « humanitaires » comme solutions idoines. Dans le jargon politique local, c’est ce dont il s’agit lorsqu’on parle de la politique du pyromane-pompier qui consiste à mettre cyniquement le feu à la baraque dans le but de s’offrir pour l’éteindre.
« Ces incertitudes sur la destination d’immenses richesses naturelles de la RD Congo sont permanentes depuis la fin de la guerre froide au début des années ’90. Et avec elles sont nées les guerres interminables sur le territoire de la RD Congo », fait observer ce professeur de droit international. Qui situe ainsi à la fin de la guerre froide entre les blocs idéologiques l’origine de « l’ongdénéisation » de tout un pays : « plutôt que de recoloniser, les occidentaux agissent par ONG interposées, qui si elles sont indépendantes de l’Etat, dépendent bien de nébuleuses mercantiles de leurs pays d’origine », explique encore cet expert ès droit international.
En RD Congo principalement, mais aussi dans nombre d’Etats du continent noir, les autorités nationales doivent souvent faire le choix entre la guerre et la paix assortie de conditions d’asservissement que sont la présence de prétendues organisations non gouvernementales-antigouvernementales d’aides à ceci ou à cela. En réalité, « elles entretiennent un cycle de dépendance économique », estiment des observateurs. « Prenons seulement le cas de l’assistance la plus élémentaire qui soit, en l’occurrence l’aide alimentaire. Combien sont-ils, les cultivateurs kivutiens qui voient des ONG se procurer leurs pommes de terre, leurs bananes, leurs haricots ou leurs courges, produits vivriers dont les populations vulnérables locales (réfugiés et déplacés internes) sont les principaux consommateurs ? Au contraire, dans les camps abritant ces derniers, tout est farine importée, maïs importé, riz importé, poisson importé, viande importé, poulet importé … », commente à ce sujet l’analyste Omer Nsongo die Lema dans une chronique récente.
L’humanitaire contraire à toute solution structurelle durable de la précarité des assistés est bien une forme de guerre contre la RD Congo. Elle dure depuis 1960.
J.N.