De moins en moins clair, le jeu du président ougandais Yoweri K. Museveni et de son armée (UPDF) en territoire congolais. Un an après le début des opérations militaires conjointes UPDF-FARDC, le bilan reste largement mitigé car il ne semble pas que les rebelles ougandais de l’ADF aient été anéantis. Pas plus tard que dans la nuit de mardi à mercredi 14 décembre 2022, 10 personnes ont trouvé la mort dans une attaque perpétrée par ce groupe armé ougandais à Ndalya (Irumu, Ituri). En plus de ces victimes, les assaillants ont incendié des maisons et emporté une moto. La société civile locale renseigne qu’ils circulent avec une relative liberté sur la RN4, ciblant les civils qui vivent dans les localités riveraines.
Certes, de temps en temps, l’UPDF et les FARDC annoncent des succès dans leurs offensives contre ces terroristes. A l’instar de la destruction, lundi 12 décembre d’un campement à Beu, non loin de la localité de Boga en territoire d’Irumu. Une opération qui a permis de ‘‘neutraliser’’ 30 ADF, dont 2 arabes.
Mais le fait est que la létalité de ce groupe armé n’en est pas pour autant réduite. Ajouté à cela le fait que les soupçons qui s’accumulent sur Kampala d’appuyer aussi les terroristes du M23 soutenus par Kigali et qui paraissent de moins en moins contestables, amènent à s’interroger sur les véritables objectifs de Museveni en RDC.
Collaboration avec le M23
Dans sa livraison du 14 décembre 2022, Africa Intelligence signale que les experts des Nations-Unies et les services de renseignements congolais soupçonnent l’armée ougandaise d’avoir facilité les mouvements du M23 sur le territoire ougandais ces derniers mois. Et un rapport devrait être publié sur cette collaboration qui aurait notamment influé sur la chute de l’agglomération congolaise de Bunagana il y a quelques mois.
Dans ces conditions, l’engagement des troupes ougandaises au Congo s’éclaire sous un nouveau jour pour nombre d’observateurs, dont ceux de GEC-Ebuteli. Reagan Miviri d’Ebuteli exprime des doutes sérieux sur la volonté de Kampala d’en finir avec «ses» rebelles et pose la question de l’opportunité de la venue en RDC de 1.000 soldats ougandais supplémentaires, dans le cadre de l’opération militaire de l’EAC.
Le 13 décembre 2022 à Bweramure, une localité ougandaise du district de Ntoroko, les rebelles ADF ont perpétré une attaque annihilée par l’UPDF qui a annoncé avoir éliminé 11 de ces assaillants venus de RDC où ils sont la cible d’opérations militaires depuis près d’un an. Sur les réseaux sociaux, l’UPDF a largué des images d’assaillants capturés : des enfants congolais âgés de 12 à 16 ans qui savent à peine décliner correctement leurs identités. Une tragi-comédie, manifestement, qui n’améliore pas le crédit à accorder à Kampala.
Rayon d’actions des ADF étendu
Certes, les opérations conjointes UPDF-FARDC ont permis de récupérer d’importants bastions ADF et de provoquer des pertes parmi les terroristes. Mais les rebelles demeurent actifs et ont même étendu leur rayon d’actions sur un espace plus vaste. Ils ont progressé vers l’Ouest, en territoire de Mambassa, au-delà la RN4 et vers le Sud, dans la chefferie de Bashu en territoire de Beni, constate Ebuteli. Pour qui la légère inflexion dans la perpétration des massacres constatée depuis Août 2022 «pourrait s’expliquer en partie par la baisse de l’activité des FARDC dans la zone, en raison du redéploiement des troupes vers le front contre le M23 au Nord-Kivu».
A l’analyse, l’élargissement du rayon d’activités – manifestement et tactiquement voulu – des terroristes ADF vers l’Ouest est lié aux opérations de l’UPDF qui les repoussent vers les profondeurs du territoire congolais, dans les forêts difficiles d’accès de Mambasa. Alors que les opérations conjointes UPDF-FARDC auraient pu mettre en place «une ceinture sur la RN4 pour les prendre (les ADF, ndlr) en étau et les empêcher de se répandre à l’intérieur du pays. Maintenant que les ADF se sont installés dans les zones forestières de Mambasa, la traque promet d’être longue et difficile», selon cette analyse.
Naguère épargnée par l’activisme meurtrier des terroristes ADF, la chefferie des Bashu à Beni en paie les frais ainsi que le démontre le massacre de Katanda en août 2021, qui a causé la mort de 13 personnes. Ce massacre a été perpétré par une cellule ADF basée dans la vallée de Mughalika, selon Ebuteli pour qui cette cellule serait responsable de l’attaque de la prison de Kakwangure à Butembo dans la nuit du 9 au 10 août 2022. Dans cette partie du Grand Nord-Kivu devenue instable elle aussi, les ADF ont effectué un raid spectaculaire dans la nuit du 19 au 20 octobre 2022 dans la localité de Kabasha située entre Beni et Butembo, tuant 7 civils dont le médecin du centre de santé (une religieuse) qu’ils ont également incendié. Avant de récidiver le 8 novembre, en tuant 4 civils et en enlevant 10 autres, dont un médecin.
Stratégie de l’éloignement
Selon Ebuteli, l’armée ougandaise fait un large usage de l’artillerie à partir de bases situées à ses frontières alors que les ADF, c’est connu, se déplacent en petits groupes mobiles et emploient des tactiques de guérilla. L’artillerie lourde et les bombardements aériens ne peuvent être utiles qu’en soutien à un nombre suffisant de combattants sur terrain dans les forêts de l’Ituri et de Beni. «Les attaques aériennes atteignent des cibles mais du fait des difficultés d’accès, l’UPDF ne réussit à ramener les troupes sur les sites des bombardements que plusieurs jours plus tard, ce qui laisse aux ADF le temps de fuir », constate Ebuteli. Qui note la «faible volonté à apporter des solutions au problème qui est parfois mal identifié». Les troupes (étrangères) «se consacrent à d’autres objectifs que sécuriser les populations congolaises», écrit Miviri. Selon lui, l’objectif de Kampala serait d’éloigner les terroristes de ses frontières et de sécuriser ses propres intérêts.
J.N. AVEC LE MAXIMUM