Huit mois après le pronunciamiento du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba contre le président Roch Marc Christian Kaboré, élu démocratiquement en 2015 et en 2020, le Burkina Faso, « pays des hommes intègres », anciennement colonisé par la France vient d’enregistrer son deuxième coup d’État militaire avec, à la tête des putschistes le capitaine Ibrahim Traoré. Dans ce pays en proie au terrorisme djihadiste depuis la neutralisation de l’ancien président Blaise Compaoré survenue en marge de manifestations populaires d’une rare violence, les problèmes sécuritaires ont eu raison de deux chefs d’État successifs, emportés comme fétus de paille par la recrudescence des attaques djihadistes dans une grande partie du territoire national, étant donné que c’est une tentative de tripatouillage de la constitution pour s’offrir un troisième mandat qui provoqua la chute, en novembre 2014, de Compaoré, le tombeur de Thomas Sankara, son compagnon d’armes, en octobre 1987.
Le MPSR récidive
En prenant le pouvoir le 24 janvier 2022 à Ouagadougou, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), regroupant toutes les composantes des forces de défense et de sécurité burkinabè, entendait en finir avec l’aggravation du terrorisme djihadiste qui assaille ce pauvre pays sahélien depuis plusieurs années. Elu sur la promesse d’anéantir les auteurs de ces sévices, l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré s’était avéré incapable de mettre un terme à leurs indicibles atrocités victimisant ses compatriotes qui, excédés, soutinrent le putsch de Damiba, consécutif à une série de mutineries d’hommes de troupes excédés par la carence en moyens logistiques et financiers pouvant leur permettre de faire face à la situation.
Le lieutenant-colonel putschiste Paul-Henri Sandaogo Damiba a été déposé à la suite de l’émotion causée par un attentat particulièrement sanglant perpétré le 26 septembre 2022 contre un convoi de ravitaillement militaire se rendant à Djibo (Nord du pays) fauchant 11 soldats et une cinquantaine de civils. Le capitaine Ibrahim Traoré et ses amis qui avaient naguère contribué à la prise de pouvoir par le lieutenant-colonel Sandaogo Damiba en janvier dernier lui reprochent « des choix hasardeux » qui, à leur point de vue, ont progressivement affaibli le système sécuritaire du pays confronté depuis plusieurs années à une violence endémique, rapporte-t-on. «Notre idéal commun de départ a été trahi par notre leader en qui nous avions placé toute notre confiance. Loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous contrôle terroriste», dénoncent les nouveaux maîtres de Ouagadougou massivement soutenus par une myriade d’associations de la société civile très actives dans ce pays.
Intérêt sécuritaire
Au Burkina Faso, on est désormais aux antipodes d’un ersatz de démocratie, caractéristique des années Compaoré, lorsqu’une multitude de mouvements citoyens faisaient la pluie et le beau temps en organisant pour un oui ou un non d’incessantes manifestations et soulèvements populaires destinés à orienter, voire imposer, les priorités de l’action publique aux détenteurs du pouvoir d’État, qu’ils soient légitimes ou non. On se rappelle des prouesses d’un de ces mouvements, le Balai Citoyen, fondé en 2013 qui a notamment pris part à l’opposition au président Blaise Compaoré et est monté en puissance après le renversement de ce dernier, en jouant un rôle décisif dans la définition de la situation au Faso tout en excluant de devenir un parti politique.
L’inaptitude des Burkinabè à vaincre le terrorisme en dépit de la quasi-institutionnalisation dans ce pays de ce pouvoir de la rue incarné par des activistes comme Sams’K Le Jah, un ancien membre des Pionniers de la Révolution de Thomas Sankara et cofondateur du Balai citoyen, est révélatrice d’une réalité apodictique : tout ce qui procède de l’atomisation du pouvoir ne peut pas stabiliser durablement un pays perturbé, loin s’en faut. Beaucoup de Burkinabè, qui semblent encore une fois soutenir le nouveau coup d’Etat en arborant parfois le drapeau de la Russie et des effigies de Vladimir Poutine, en sont désormais persuadés. Ce ne fut pas toujours le cas.
En janvier 2015, le rappeur ouagalais Ouédraogo Sibiri Joanny, alias Oscibi Johann flanqué de trois leaders de mouvements citoyens sénégalais, tout auréolés de la célébrité de ces mouvements dans leurs pays respectifs avaient rappliqué à Kinshasa à l’invitation de leurs homologues locaux, La Lucha et Filimbi. Objectif déclaré : animer des conférences et des séminaires sur l’engagement civique des jeunes congolais. Les autorités gouvernementales de l’époque, alertées par les services d’intelligence, les accusèrent de vouloir en réalité « promouvoir la violence en assurant une sorte de formation, une sorte de coaching de certains groupes de jeunes à l’usage des instruments de violence contre d’autres groupes de jeunes ou contre des institutions de la République », selon une déclaration de Lambert Mende l’alors ministre de la communication et porte-parole de l’exécutif.
Démocratisme désincarné
Leurs prestations dans la capitale congolaise, financées par une ambassade occidentale furent aussitôt interdites par l’Hôtel de ville et promptement dispersées par la police. Le quarteron d’exportateurs des « pratiques démocratiques burkinabè et sénégalais » interpellés sans coup férir par les forces de l’ordre (au grand dam des organisations de la société civile et d’une partie de l’opposition politique de l’époque) furent aussitôt expulsés sans ménagements du territoire. Par la suite on se rendit compte qu’à Ouagadougou, parmi les «manifestants pacifiques» qui réclamèrent – et obtinrent -, le départ de Blaise Compaoré du pouvoir s’étaient glissés des casseurs et des bandes de pyromanes qui incendièrent divers édifices publics, notamment le bâtiment le parlement.
Et que la plupart des mouvements ‘’citoyens’’ (Y en marre au Sénégal, Balai Citoyen au Burkina Faso ou Filimbi et Lucha en RDC) étaient grassement (et occultement) rétribués par le sulfureux milliardaire Hongrois Georges Sorros dans le dessein évident d’atomiser les pouvoirs politiques dans un certain nombre de pays d’Afrique.
Sept ans après, la majorité du peuple burkinabè, éreinté par le terrorisme djihadiste, découvre ainsi les dommages que peut causer à un État fragile l’atomisation du pouvoir politique sous quelque prétexte que ce soit et se range derrière les forces de défense et de sécurité. Quant au Capitaine Ibrahim Traoré, le nouvel homme fort du Faso, répondant le 3 octobre à Christophe Boisbouvier, responsable de l’émission ‘’l’invité Afrique’’ de Radio France Internationale qui lui demandait s’il allait suivre ceux des manifestants ouagalais qui exigeaient que les Russes soient appelés à la rescousse pour démanteler l’hydre terroriste, il a répondu que le pays de Poutine qui avait une ambassade au Burkina Faso pouvait être «un partenaire comme d’autres contre la menace sécuritaire qui pèse sur notre pays», faisant comprendre aux occidentaux que face à un tableau de détresse majeure, un bon dirigeant n’a pas à faire la fine bouche sur la couleur de ceux qui peuvent aider leur pays à s’en sortir.
C’est le même terrorisme qui sévit depuis trois décennies en RDC, traînant derrière lui des statistiques autrement plus macabres. Au pays de Lumumba, les morts et les destructions du fait de l’activisme terroriste des milices ADF et des hégémonistes rwandais avec leurs affidés du M23 ne se comptent plus. Ce qui place les gouvernants et les populations dans l’obligation de gérer leurs relations avec les pays de la planète à l’aune de l’intérêt sécuritaire national.
Parmi les leçons de Ouaga, la principale est certainement celle que rappelle ce postulat de Charles de Gaulle selon lequel « les États n’ont pas d’amis. Ils n’ont que des intérêts ». C’est aussi simple que cela !
JN AVEC LE MAXIMUM