Une première dans les annales parlementaires de la RDC s’est produite mercredi 30 mars 2022. Un ministre en fonction, membre de la majorité au pouvoir, a été défenestré du gouvernement à la suite d’une motion de défiance initiée par un député de la même majorité. Le ministre ainsi déchu, c’est Jean-Marie Kalumba Yuma, membre de l’AFDC/A de Modeste Bahati Lukwebo, speaker du Sénat et dauphin putatif du chef de l’Etat. Il n’aura donc pas passé le cap de 12 mois à la tête du ministère de l’Economie nationale, le portefeuille qui lui a échu en remplacement de l’UDPS Acacia Bandubola le 12 avril 2021.
Le désormais ex-ministre a défrayé la chronique à Kinshasa en raison du bras de fer qu’il a engagé avec les opérateurs économiques autour de la fixation des prix des produits de consommation courante. Ancien conseiller en charge de la régulation économique et de l’approvisionnement intérieur au cabinet de son prédécesseur, Kalumba ne manquait peut être pas d’idées novatrices, mais celles-ci n’ont pas suffi pour sauver sa tête.
Batailleur
Aussitôt nommé, le ministre de l’Economie nationale s’est lancé dans un bras de fer avec les opérateurs économiques, les importateurs particulièrement, autour de la fixation des prix des produits de première nécessité. Jean-Marie Kalumba, estimant invariablement que la plupart dépassaient le seuil du tolérable des bénéfices à escompter.
Ce fut sans compter avec les caïds de la Fédération des Entreprises du Congo (FEC) qui ont opposé une fin de non recevoir à sa grille tarifaire. Même lorsqu’il s’est agi, selon le voeu présidentiel, de faciliter l’approvisionnement de Kinshasa en poissons chinchards pendant les fêtes de fin d’année 2021.
Las d’attendre l’adhésion des importateurs à sa vision, Jean-Marie Kalumba s’était résolu à prendre le taureau par les cornes en se rendant personnellement en Namibie passer commande des précieuses ressources halieutiques dans le dessein d’inonder le panier de la ménagère congolaise.
Annoncés avec pompe sur les marchés de la capitale, les chinchards gouvernementaux se sont avérés peu visibles en réalité en raison des problèmes d’entreposage (chambres froides) qui semblent n’avoir pas été pris en compte par le ‘‘warrior’’ Kalumba.
Chinchards
Le ministre de l’Economie nationale était également au front contre les importateurs au moment de sa chute. Qui n’a pas pris beaucoup de temps en raison de la surchauffe aussi bien de l’opinion publique que des législateurs du palais du peuple furieux des insinuations irrespectueuses des membres de son cabinet à leur endroit. Il y a une semaine, un groupe de quelques 70 députés nationaux a en effet décidé d’introduire une motion de défiance contre le ministre pour incompétence. Une initiative qui paraissait d’autant plus questionnable que le porte-parole du groupe, l’élu de Butembo (Nord- Kivu), Crispin Mbindule, est réputé plus pour ses frasques populistes que pour sa rigueur.
En effet, l’homme porte certainement sur lui la responsabilité directe d’un certain nombre de morts survenues dans son fief électoral, où il incita des populations à refuser la vaccination contre Ebola, présenté par lui comme «un poison pour exterminer le peuple Nande» (sic !). Elu sur les listes de l’UNC de Vital Kamerhe, Crispin Mbindule s’est révélé comme un véritable électron libre, roulant souvent pour lui-même. C’est lui qui a pris sur lui de porter la motion anti-Kalumba au nom de quelques 69 de ses collègues.
Mbindule et les 69
Les motifs avancés par les motionnaires à majorité eux-mêmes membres de l’Union sacrée de la Nation à laquelle appartient le gouvernement ont été servis par la défense maladroite du ministre déchu lui-même.
En dehors du fait que certains membres de l’équipe du 1er ministre Sama Lukonde auront réussi à se mettre à dos beaucoup de ceux qu’ils appelent avec emphase «les représentants légitimes du peuple congolais», les comportements dédaigneux de certains proches de Kalumba à l’égard des élus a été au centre des griefs portés contre ce dernier. Son incapacité à stabiliser le marché des denrées de première nécessité sur le marché national, particulièrement les poissons chinchards, dont le prix du carton a bondi de 40 à 90 USD dans la capitale n’a rien arrangé pour lui.
Accessoirement, les auteurs de la motion de défiance reprochent à Jean-Marie Kalumba des erreurs de jeunesse (en politique) comme la distribution tapageuse de billets de banque devant caméras à des mineurs d’âge. Ou encore l’accord conclu avec Windhoek pour l’achat de poissons en lieu et place de bateaux de pêche pour exploiter fleuves et rivières congolais «dans lesquels les poissons meurent de vieillesse», selon le porte-parole des 69.
Mercredi dans la salle des Congrès du Palais du peuple, le ministre de l’Economie a présenté, sans succès, ses moyens de défense. La cause paraissait entendue d’avance. Il l’a compris en désertant les lieux aussitôt la décision de passer au vote adoptée par la plénière. Les résultats furent sans appel : sur 368 suffrages exprimés, 277 députés ont voté sa déchéance, contre 79 voix contre et 12 abstentions. Mbindule et cie ont eu Kalumba sans coup férir.
Pas de quoi noyer son chien
Néanmoins, 24 heures après l’exploit parlementaire que beaucoup dans l’hémicycle se sont empressés de présenter comme une victoire de la démocratie, au sein de l’Assemblée nationale autant que dans la majorité parlementaire, des questionnements affleurent. Des critiques aussi. Comment a-t-il été possible qu’un ministre, membre d’un regroupement politique aussi important en nombre d’élus que l’AFDC/A s’est fait éjecter avec autant de facilité s’il n’a pas été ‘‘sacrifié’’ sur l’autel d’intérêts politiques ou financiers ?
Peu avant la plénière fatale, Jean-Marie Kalumba avait hasardé la thèse de l’achat des consciences de certains élus par ses adversaires du monde des affaires.
Pour certains observateurs, la thèse n’est pas aussi farfelue qu’il y paraît, compte tenu des intérêts financiers en jeu. Jeudi 31 mars à Kinshasa, le nombre de voix s’élevant contre la déchéance express de Kalumba était allé crescendo. A l’instar de l’économiste Al Kitenge, un expert respecté pour la pertinence de ses analyses qui soutient que «la maffia a fait tomber un ministre dans mon pays. Deux semaines après avoir retiré le droit d’émettre des licences d’importation, des députés ont servi la cause».
Du point de vue politique aussi, la désormais célèbre affaire Kalumba est loin de conforter la cohésion au sein de la majorité parlementaire tshisekediste.
Victime expiatoire ?
Le député et ancien gouverneur du Kongo-Central Déo Nkusu l’a fait observer en expliquant qu’il n’était pas bon qu’un membre de l’Union sacrée soit écarté de la sorte. «C’est très dangereux pour l’avenir de notre famille politique. L’Union sacrée doit revoir son mode de fonctionnement». Dans ces conditions, il reste à espérer que le ministre AFDC de l’Economie nationale a été sciemment lâché par sa famille politique. Parce que si tel n’est pas le cas, cela signifie que n’importe qui pourra à l’avenir instrumentaliser les votes des députés USN à la chambre basse du parlement. Ce serait un début d’implosion, note, sévère, un élu qui s’est confié à nos rédactions.
LE MAXIMUM