La chambre d’appel de la CPI a confirmé l’acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, prononcé en première instance le 15 janvier 2019. Cette décision ouvre la voie au retour de l’ancien président ivoirien dans son pays. Pour Laurent Gbagbo, c’en est terminé : après une décennie de procès devant la Cour pénale internationale (CPI), il est définitivement libre. Ce mercredi 31 mars, la chambre d’appel de la juridiction internationale a confirmé son acquittement ainsi que celui de Charles Blé Goudé, prononcé en première instance le 15 janvier 2019. Les deux hommes étaient accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité durant la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, qui avait fait plus de 3 000 morts.
«La chambre d’appel rejette l’appel du procureur et confirme la décision de la chambre de première instance », a déclaré le juge nigérian Chile Eboe-Osuji, président de la chambre et ancien président de la CPI, au terme d’un long exposé d’une heure, durant lequel il est revenu sur les différentes étapes de la procédure. La chambre d’appel a également décidé de révoquer toutes les conditions de la mise en liberté de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, qui sont désormais libres de leurs mouvements.
«Dix ans presque jour pour jour après le début de cette procédure, cette décision est la victoire de la justice, mais aussi la victoire d’un homme, celle du président Laurent Gbagbo, injustement accusé et qui voit aujourd’hui son innocence pleinement reconnue, se félicite son avocat, Me Emmanuel Altit. Ce 31 mars restera aussi comme une date importante pour la Côte d’Ivoire, car cette décision va dans le sens de la réconciliation nationale».
Massés devant l’entrée principale de la cour, à La Haye, des dizaines de partisans de l’ex-président et de l’ex-leader des Jeunes patriotes ont laissé exploser leur joie à l’annonce de leur acquittement définitif. «Nous y sommes enfin, s’enthousiasme Prisca Digbeu, venue spécialement de France pour l’occasion. En 2011, nous étions en pleurs quand Laurent Gbagbo est entré à la CPI, car on ne savait pas quand il allait en ressortir. Dix ans plus tard, nous sommes heureux et émus. L’heure est venue pour lui de rentrer en Côte d’Ivoire pour participer à la réconciliation nationale».
Une décennie de procédure
Après le verdict, Laurent Gbagbo s’est isolé avec son épouse, Nady Bamba, et ses avocats dans un salon du tribunal. L’ancien chef de l’État, 75 ans, affaibli par ses huit années de détention, était pendu au téléphone mais n’a pas souhaité réagir publiquement.
En début d’après-midi, il avait fait son arrivée dans une CPI déserte en raison de la situation sanitaire. Costume-cravate sombre, lunettes de soleil sur le nez, il s’était dit «confiant» quant à l’issue de la procédure. Et avait ajouté, sourire en coin en pénétrant dans le hall principal de la CPI : «C’est la première fois que je passe par ici et non par l’entrée des prisonniers !»
Pour le bureau de la procureure, Fatou Bensouda, qui avait fait appel de l’acquittement des deux hommes en septembre 2019, cette décision est un nouveau désaveu cinglant. En janvier 2019, les juges avaient pointé le manque de preuve de l’accusation – le président de la chambre allant même jusqu’à évoquer la «faiblesse exceptionnelle» du dossier de la procureure. Alors qu’elle s’apprête à passer la main au Britannique Karim Khan en juin, nul doute que cette affaire restera comme le principal échec de la magistrate gambienne durant son mandat à la CPI.
Pour Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, c’est la fin d’un long combat judiciaire. Après plusieurs années de détention à la prison de Scheveningen, ils avaient été remis en liberté sous conditions après leur acquittement en première instance. Contraints de rester à proximité de la CPI et de demeurer à sa disposition, l’ancien chef de l’État s’était installé à Bruxelles, en compagnie de Nady Bamba, tandis que Charles Blé Goudé avait choisi de rester à La Haye.
Le Woody de Mama et l’ex-«général de la rue» avaient ensuite vu leur régime de liberté conditionnelle allégé en mai 2020. Concrètement, ils étaient depuis autorisés à changer de lieu de résidence et à vivre où ils le voulaient, à condition d’obtenir l’accord des autorités du pays concerné. Immédiatement, les partisans de Gbagbo s’étaient mis à rêver d’un retour imminent de leur mentor en Côte d’Ivoire.
Tractations pour un retour
Mais malgré cette volonté affichée de rentrer à Abidjan, le retour de Gbagbo est sans cesse reporté. Dépourvu de passeport, recalé à la présidentielle du 31 octobre 2020… L’ancien président rencontre de nombreux obstacles. Ses proches accusent les autorités ivoiriennes de tout faire pour l’empêcher de rentrer. De leur côté, Alassane Ouattara et son entourage assurent qu’ils sont disposés à permettre son retour, mais uniquement lorsque la CPI aura définitivement statué sur son sort.
Après sa réélection pour un troisième mandat en octobre dernier, au terme d’une élection marquée par des violences et le «boycott actif» d’une partie des candidats de l’opposition, le chef de l’État entrouvre davantage la porte au retour de son prédécesseur. Alors que les tractations entre les deux camps se tenaient jusque-là en coulisses entre discrets émissaires, elles sont désormais officialisées.
Début janvier, le Premier ministre Hamed Bakayoko – décédé depuis – reçoit ainsi officiellement Assoa Adou, le secrétaire général du Front populaire ivoirien (FPI), pour évoquer formellement les modalités du retour de l’ex-président à Abidjan. Parmi les obstacles restant notamment à lever : sa condamnation par la justice ivoirienne, en janvier 2018, à vingt ans de prison dans l’affaire du «braquage» de l’agence nationale ivoirienne de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). De son côté, Alassane Ouattara, bien que peu pressé de voir son ancien rival rentrer, a toutefois répété qu’il était prêt à permettre son retour en Côte d’Ivoire une fois qu’il serait définitivement acquitté par la CPI. C’est désormais chose faite.
J.A