Avant d’embrasser sa carrière politique, le président Félix Tshisekedi avait déjà une petite idée des difficultés qui l’attendaient. Bien que n’ayant pas exercé plusieurs charges dans la gestion publique avant d’accéder à la magistrature suprême, le fils du ‘’sphinx’’ de Limete était bien conscient en coiffant la casquette de chef d’Etat à l’issue de l’élection présidentielle de décembre 2018 des écueils qui jalonnent le processus décisionnel et des obstacles à surmonter pour arriver à réformer les structures de pouvoir. Sans doute réalise-t-il maintenant qu’assumer le pouvoir suprême est plus complexe qu’il ne l’imaginait à cause des impératifs incontournables propres au «top job» qui n’ont rien à voir avec ceux prévalant dans le contexte partisan des faits privés que sont les partis politiques comme l’UDPS dont il fut le secrétaire général adjoint aux relations extérieures.
Président de tous les Congolais, qu’ils soient ses partenaires-rivaux de la majorité ou ses adversaires de l’opposition, il est obligé de prendre chaque jour sur lui pour s’adapter aux sauts d’humeurs, aux pressions internes et aux influences négatives pour que cet apprentissage du pouvoir soit également une expérience de sagesse. Cible de lobbies croisés qui tentent quotidiennement de le faire agir au mieux de leurs agendas, même au détriment des Intérêts Nationaux, il a eu le loisir pendant ces deux dernières années de voir de ses propres yeux cet univers étrange et d’en saisir les rouages. Au terme de cette expérience riche et originale, il vient de se lancer dans une étrange manœuvre en amenant depuis le 2 novembre la classe politique congolaise dans des palabres d’autant plus stériles qu’on ne voit pas bien en quoi elles pourraient impulser des initiatives susceptibles d’accroître le développement et le bien-être général.
En effet, il ne s’agit que d’élargir sa propre marge de manœuvre face à son prédécesseur et partenaire dans la coalition majoritaire au parlement, Joseph Kabila, au mépris de l’accord qu’il avait conclu avec lui au lendemain de leurs victoires respectivement à la présidentielle et aux élections législatives.
En invitant des acteurs n’appartenant à aucune des parties à l’accord FCC-CACH à l’insu de son partenaire qu’il menace de fouler aux pieds alors que la sagesse des nations veut que les accords régulièrement passés tiennent lieu de loi entre les parties, le chef de l’Etat prend le risque d’ouvrir une nouvelle période d’incertitude dont les conséquences seront portées à son passif. En érigeant le débauchage et la corruption en mode de gouvernement, il n’élève pas le niveau moral d’une nation qui en a tant besoin. En révoquant et nommant de manière illégale des membres de la Cour constitutionnelle, en voulant transformer le parlement et le gouvernement en de simples technostructures d’entérinement à son service personnel, par une sorte de putsch, il se rend coupable de violation délibérée de la constitution. Ce recul démocratique se heurte heureusement au refus de certains Congolais comme l’ancien président Joseph Kabila, plus de 300 députés nationaux et 75 sénateurs, sans oublier les deux juges constitutionnels qui ont choisi de résister à ce projet funeste.
De plus en plus de langues se délient ci et là pour dénoncer les paradoxes du bilan d’étape d’un président qui a suscité maints espoirs parmi ses compatriotes en brandissant son intention de déployer une politique volontariste de lutte contre la dilapidation des fonds publics alors que le niveau des dépenses de ses propres services affiche un dépassement inédit en RDC de 1.400% par rapport aux prévisions budgétaires de 2019. En outre, alors qu’il ne cesse de revendiquer la mise en œuvre envers et contre tout de l’Etat de droit sous sa mandature, un nombre anormalement élevé d’«affaires» comme celles du général Kahimbi, du juge Raphaël Yanyi restent sans suites pendant que les partisans de son propre directeur de cabinet et futur rival à la course à la présidence en 2023 Vital Kamerhe, ne cessent de questionner l’indépendance et l’impartialité de la Justice après le lourd verdict qui mis à l’écart pour 20 ans leur champion.
En fin de compte, la Blitzkrieg (guerre éclair) de Fatshi pour reprendre les termes de Colette Braeckman s’avère moins foudroyante que prévue. Au vu du rapport des forces, le principe de réalité pourrait l’emporter : de nouvelles élections s’avérant trop coûteuses, seule une rencontre au sommet Kabila – Tshisekedi pourrait mener à une renégociation des termes de l’accord initial de coalition et à un rééquilibrage des forces entre le CACH et le FCC, détenteur de la majorité parlementaire.
Alfred Mote