Le roi Philippe 1er a reconnu et regretté mardi «les actes de cruauté et les souffrances» commis au Congo pendant les années de la colonisation belge dans une lettre adressée au président Félix Tshisekedi, à l’occasion des 60 ans de l’indépendance de la RDC. Il s’agit en fait d’actes de cruauté, d’assassinat, de mutilation, de viol, de déportation et de tortures et de pillages systématiques constitutifs de crimes contre l’humanité commis par des Belges au détriment des Congolais entre 1885 et 1960. Le roi des Belges reconnaît à ce sujet qu’«à l’époque de l’État indépendant du Congo, des actes de violence et de cruauté ont été commis et pèsent encore sur notre mémoire collective.
La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations ». Aussi a-t-il exprimé ses «plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés».
Certains Congolais dont la ministre des Affaires étrangères Marie Tumba Nzenza ont salué avec satisfaction cette initiative du monarque belge. D’autres par contre, à l’instar du député national Lambert Mende Omalanga, tout en reconnaissant que c’est un premier geste dans le bon sens, estiment insuffisant de simples regrets et exigent que des réparations morales (excuses formelles) et matérielles soient envisagées aussi bien par la dynastie belge héritière de Léopold II qui posséda abusivement le Congo entre 1885 et 1908 que par le gouvernement belge auquel il céda sa ‘‘propriété’’ entre 1908 et 1960 et qui même après la décolonisation s’était livré à une entreprise de confiscation systématique du patrimoine congolais. Ils estiment en effet que le respect mutuel entre les deux peuples dicte dans leurs relations plus de sincérité et d’équité. Le principe de la continuité de l’Etat autant que la nature néocoloniale des relations post-indépendance entre les deux pays exigent que des excuses et des réparations matérielles soient à l’ordre du jour à l’instar de ce que fit l’Allemagne après les conflits qui l’ont opposé à d’autres puissances européennes.
L’entreprise coloniale belge s’est soldée par un génocide entraînant la mort d’une dizaine de millions de Congolais. Il est symptomatique que ce débat ressurgit de manière fortuite à la suite de la mobilisation du mouvement Black Lives Matter après l’assassinat de l’afro-américain George Floyd à Minneapolis (Minnesota) aux Etats-Unis et aux manifestations qui l’ont suivi entraînant une forte demande de déboulonnage des monuments dédiés aux rois tortionnaires comme Léopold II.
Il serait donc naïf de compter comme le font certains sur la prise de conscience des autorités belges vis-à-vis du droit légitime de la RDC à obtenir réparation des dommages de la colonisation. Il s’agit d’un combat qu’il faut avoir le courage de mener dans le droit fil de ceux qui comme Simon Kimbangu, Patrice Emery Lumumba, Mzee Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila ont amorcé.
Celui que certains manuels d’histoire ont eu le toupet de présenter comme un «roi civilisateur» pour reprendre les mots de son petit-fils Baudouin 1er dans son discours du 30 juin 1960 à Léopoldville (Kinshasa) n’a été en réalité qu’un génocidaire mercantiliste qui a vidé la RDC de toute sa substance humaine et économique sans y avoir jamais mis les pieds. A l’époque, Baudouin, oncle du souverain actuel, avait évoqué la «grande œuvre» et le «génie» de son ancêtre. Un panégyrique auquel Patrice Lumumba, chef de la première majorité parlementaire congolaise rétorqua par l’historique diatribe cinglante qui lui a valu d’être assassiné quelques jours plus tard. Un crime de plus à réparer si le roi Philippe 1er veut réellement instaurer à la faveur de ce 60ème anniversaire de l’indépendance congolaise des relations d’amitié sincère avec les descendants des victimes de ses aïeux. Les sentiments d’amitié profonde et la coopération intense entre nos deux pays dans tout autre domaine, notamment celui médical qui mobilise le monde dans cette période de la pandémie de la Covid-19 dont a parlé le souverain belge, ne peuvent en aucune manière occulter ce devoir de mémoire. Le partenariat privilégié entre la Belgique et le Congo est à ce prix et les autorités gouvernementales de la RDC qui portent aujourd’hui sur leurs épaules la responsabilité des Intérêts Nationaux de leur peuple devraient se le tenir pour dit.
Croire «renforcer davantage nos liens et développer une amitié encore plus féconde» ainsi que l’a souhaité le roi Philippe sans aborder cette page douloureuse de l’histoire de notre peuple, reviendrait à panser une plaie sans l’avoir nettoyée au préalable. En effet, comme il l’a souligné, notre histoire commune est faite de réalisations mais aussi de ces épisodes peu ragoûtants au risque de remettre à vif «ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés» comme il l’a dit en faisant allusion à toutes les formes de racisme et en encourageant la réflexion entamée au parlement belge «afin que notre mémoire soit définitivement pacifiée». Peut être faut-il au parlement congolais à travers sa commission des relations extérieures entreprendre le même exercice et se joindre à un moment donné à son homologue belge pour dégager une lecture partagée de cette histoire dramatique que nos deux peuples ont en commun.
A quelque chose malheur est bon. Le martyre de George Floyd aura désillé les yeux de nos partenaires des berges de l’Escaut sur un aspect fondamental jusque-là négligé de nos relations et peut-être le roi Philippe aurait-il effectué son voyage de Kinshasa annulé pour cause de Coronavirus dans un contexte purement protocolaire sans aucune signification historique pertinente pour les Congolais et les Belges.
Ainsi que le réclame nombre de Congolais, il convient aussi que cette histoire commune soit enseignée dans les deux pays.
AM