La Banque Mondiale a financé, il y a peu, une étude diagnostic sur l’intégration du commerce de la RDC à la demande du gouvernement à travers les ministères de l’Économie et du Commerce extérieur.
L’étude recommande à la RDC de « se centrer sur les questions où des progrès sont possibles à brève échéance. Une des questions où les choses peuvent avancer concerne les négociations Accords de partenariats économiques (APE), avec l’Union Européenne. Un tel partenariat offrira peu en termes d’accès hors taxes à un important partenaire commercial, puisque la plupart des exportations de la RDC ont déjà un accès hors taxes en vertu de divers accords».
Kinshasa a tout intérêt à approfondir les relations avec l’Union européenne (UE) et à mettre ses responsables politiques et entrepreneurs privés, notamment du secteur des services, au courant du cadre réglementaire de l’UE. Le gouvernement s’est plutôt focalisé sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) initiée par le président rwandais, Paul Kagame…sans trop convaincre. Mi-décembre 2019, l’Assemblée nationale a de justesse déclaré recevable le texte de ratification en vue de l’adhésion de la RDC à la ZLECA présenté par le ministre du Commerce extérieur, Jean-Lucien Bussa. Avant de le soumettre à un examen plus approfondi des commissions mixtes Ecofin-Relations extérieures. La plénière ne paraissait guère convaincue du bien-fondé de la ZLECA. Il y a près de 5 ans, la RDC avait déjà intégré la Zone de libre échange du COMESA (Marché commun de l’Afrique australe et de l’Est). La Fédération des entreprises du Congo (FEC) s’est montrée dubitative sur les réels intérêts de la RDC à cet égard. Pourtant, se fondant sur la position de la RDC au cœur du continent africain, le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, prône l’ouverture à toutes les organisations économiques régionales. Avis d’experts : à force de trop embrasser, la RDC risque de mal étreindre car ses intérêts ne sont pas toujours perceptibles dans toutes les organisations régionales. Il est d’ailleurs rappelé que du temps du 1+4, la firme belge COGEDEV qui avait mené l’audit du commerce extérieur de la RDC sur demande du gouvernement, avait recommandé aux autorités de procéder avant tout à l’intégration de différentes provinces du pays. Chose non encore réalisée. Les Accords de partenariat économique (APE) qui sont aussi des accords de libre échange devant succéder au fameux Accord de Cotonou signés en 2000 entre l’UE et les pays africains prévoyaient un accès au marché européen des produits africains, principalement miniers et agricoles, sans frais de douane. Par contre, les marchés africains restaient protégés des produits européens par des barrières douanières.
L’entrée en vigueur des APE aura entre autres conséquences, la suppression de la quasi-totalité (80-90 %) de ces barrières pour les produits européens entrant en Afrique. Vu sous cet angle, certains pays africains, notamment le Nigeria, la RDC et la Tanzanie, ont émis des réserves redoutant une suffocation de la production locale. Des experts des pays précités craignent une déferlante des produits européens qui risque de signer l’arrêt de mort des filières agro-industrielles trop faibles pour amortir un tel choc. En RDC, par exemple, l’invasion des produits européens est une menace sérieuse pour les filières en redressement. Même en Europe aussi, jusqu’au Parlement européen, on s’inquiète des effets néfastes du principe d’ultra libéralisme que véhiculent les APE sur les fragiles économies africaines. Déjà, les accords intérimaires signés par l’UE avec les grandes zones économiques en Afrique (CEDEAO, SADC, CEMAC) font face à une fronde de certains pays qui n’en veulent pas. Des députés européens s’opposent à la ratification des APE pour plusieurs raisons. D’abord, ils estiment que les APE sont l’expression d’une « pure ultra libéralisation » des échanges commerciaux. De ce fait, le principe de la symétrie des échanges tombe à l’eau. Alors que les Accords de Cotonou prévoyaient en 2000 la protection des économies africaines, les APE qui deviendront effectifs en 2020, ne la prévoient plus.
Les antis-APE redoutent qu’ils ne viennent détruire donc le développement local. Or, c’est justement le principe que l’UE a toujours privilégié dans sa coopération bilatérale avec l’Afrique. Pour eux, l’Afrique a vraiment besoin de ce développement régional. Ils mettent en exergue les accords intérimaires conclus avec certains pays, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana. « Ils sont venus casser ce développement régional plutôt que de favoriser une zone interne de développement d’échanges, beaucoup plus bénéfique aux petites et moyennes entreprises (PME) », explique une députée européenne belge sur les antennes de RFI. En définitive, laisse-t-elle entendre, les APE ne prennent pas en compte les besoins des petites économies africaines.
Les antis-APE indexent « un manque de leadership diplomatique africain ». Depuis 2000, l’UE négocie avec les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP) des accords de partenariat économique en remplacement des anciens accords de Lomé et de Cotonou. Seul un accord régional de ce type a été signé, en raison de fortes réticences exprimées par la société civile et certains États. Ils redoutent la concurrence sur leur marché agricole, la perte des recettes douanières essentielles au budget, l’absence de nouveaux avantages à l’entrée sur le sol européen… Par ailleurs, les pays qui se sont engagés activement dans la mise en œuvre des accords intérimaires en 2014, vont perdre tous les avantages dont ils bénéficient en termes d’accès au marché européen. Ceux qui s’opposent aux accords de libre-échange entre l’UE et les pays en développement, dénoncent les « risques importants » pour le développement des marchés agricoles et alimentaires dans les pays du Sud.
En 2000, plusieurs économistes africains avaient qualifié l’Accord de Cotonou de « baiser de la mort » de l’Europe à l’Afrique. Ce texte prévoyait, à la demande de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la négociation des APE avant 2007. Les APE régionaux ont ainsi été ratifiés en juillet 2014 par la CEDEAO et la SADC, sous la pression de Bruxelles. Qui menaçait les exportations africaines en provenance des pays à revenus intermédiaires (Côte d’Ivoire, Ghana, Cap-Vert et Nigeria) d’être taxées de nouveau à leur entrée sur le marché européen, contrairement à celles des pays les moins avancés (PMA). Les APE prévoient non seulement la suppression des droits de douane pour les trois quarts des produits européens, mais aussi l’impossibilité de les rétablir par la suite, si la politique des pays ouest-africains devait changer. En d’autres termes, c’est un piège. Le manque à gagner est estimé par Le Monde Diplomatique à plus de 2,3 milliards d’euros cumulés sur 15 ans en Afrique de l’Ouest. Une manne de financement autonome du développement qui va s’évaporer, sans être compensée par les aides financières de l’Europe.
POLD LEVI