Un peu plus de 3 semaines après la rentrée scolaire 2019-2020, particulièrement marquée par la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement de base décrétée par le gouvernement en application d’une décision du président de la République, on ne peut pas encore affirmer que tout baigne. Surtout dans le secteur de l’enseignement dit conventionné, ces écoles officielles dont la gestion a été cédée par l’Etat aux confessions religieuses.
Les catholiques éprouvent un mal fou à refréner leur hostilité à l’égard de cette décision pourtant d’une indéniable portée sociale. Rien qu’à Kinshasa, jusqu’au 10 septembre dernier, soit 8 jours après la rentrée, dans certaines écoles catholiques comme l’EP Bosangani à Gombe, les enseignements n’avaient pas formellement repris. Parce que les matériels didactiques feraient défaut, arguaient-on ci et là, alors qu’ailleurs, au lycée Kabam- bare, au collège St Anne, les enseignements allaient bon train et qu’il n’y était nullement fait état de pénurie de matériels.En réalité, derrière ce prétexte se dissimulaient des préoccupations autour de la cessation de la prise en charge des enseignants par les parents décidée par le gouvernement. Une note circulaire du secrétaire général à l’enseignement primaire, Jean-Marie Mangobe Monungo, énumérait les principales mesures d’accompagnement de la gratuité, dont la suppression de tous les frais de scolarité et des frais de motivation des enseignants. « Nous souhaitons que le gouvernement nous laisse continuer puisqu’il n’est pas encore en mesure de nous prendre en charge. Qu’il laisse les parents continuer à nous payer en attendant qu’il se prépare. Nous ne pouvons pas commencer une année scolaire avec des dettes, qu’il arrange la situation comme ça nous serons tous d’accord pour la gratuité. Nous avons touché 160.000 FC, avec cette somme on ne peut même pas prendre en charge les enfants qui ne sont pas concernés par la gratuité», expliquait une enseignante de l’EP 3 Bosangani, exprimant ainsi un point de vue sensiblement partagé parmi le personnel de l’enseignement conventionné catholique.
Pertinence discutable
Mais la pertinence de cet argumentaire soutenu aussi bien par les syndicats catholiques du secteur que par une par- tie de la hiérarchie de l’église est malmenée par la mise en œuvre effective de la gratuité dans nombre d’autres établissements d’enseignement concernés par la décision gouvernementale, chez les catholiques eux-mêmes, mais aussi chez les protestants, les kimbanguistes et autres salutistes. Sans compter les établissements d’enseignements officiels qui se sont révélés prêts à accompagner la décision gouvernementale.
Au cours de la dernière réunion du conseil des ministres, vendredi 20 septembre 2019, le ministre d’Etat, ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique a, en effet, fait état de l’effectivité de la gratuité de l’enseignement primaire telle que prônée par le président de la République. Les rodomontades extrêmement médiatisées des syndicats de l’enseignement conventionné catholique ne changent pas grand chose à l’enthousiasme suscité par l’application de la gratuité de l’enseignement de base en RDC.
Selon des statistiques de 2015, sur un total de 48.147 écoles primaires disséminées à travers le territoire national, seulement 11.609 sont conventionnées catholiques. La gratuité de l’enseignement de base concerne en fait 13.543.625 élèves en RDC, dont 4.015.853 seulement dans le secteur catholique. Et, sur 383.207 enseignants, seulement 109.949 oeuvrent dans le secteur de l’enseignement conventionné catholique. C’est sans doute considérable, mais certainement pas assez pour prendre en otage tout l’enseignement de base en RDC.
La gratuité de l’enseignement, même progressif, semble être un chemin de non-retour, nonobstant les réflexes d’inertie qui paraissent d’essence politique.
Mauvaise foi
Sur ce sujet de grande portée sociale, des observateurs accusent certains catholiques de mauvaise foi en s’appuyant sur le silence assourdissant observé par les organisations politiques proches des prélats catholiques, généralement promptes à sauter sur la première occasion pour se lancer dans des revendications prétendument salvatrices.
Ainsi, lorsqu’il a redonné de la voix le 13 septembre dernier, après un silence qui remonte à la période des joutes électorales au dernier trimestre de l’année dernière, le Conseil de l’apostolat des laïcs catholiques du Congo (CALCC) a jugé opportun d’appeler le gouvernement à s’impliquer davantage pour secourir les congolais résidant en Afrique du Sud en proie aux attaques xénophobes dont ils faisaient l’objet. Pas un mot sur la gratuité qui concerne plus de 13 millions d’élèves, et donc de parents.
La même indifférence est affichée par le Comité laïc de coordination (CLC) qui est monté au créneau samedi 21 septembre dernier pour s’auto-commémorer à la faveur de la mort des manifestants du 16 septembre 2016, il y a 3 ans. Sur les vivants et les survivants accaparés par les problèmes inhérents à la formation des plus petits, silence de mort chez le professeur Isidore Ndawyel et ses amis qui prétendent pourtant « coordonner » des chrétiens pourtant bien concernés par les questions scolaires.
Obstruction au sommet
La mauvaise foi des catholiques extrémistes vis-à-vis de la gratuité de l’enseignement de base semble remonter au sommet de cette congrégation, parmi certains de ses prélats. Dans une interview sur la radio onusienne Okapi, Mgr Marcel Utembi, président de la Conférence Episcopale nationale du Congo (CENCO) exigeait rien moins que de « voir clair » pour rendre la gratuité de l’enseignement effective. Des mesures pour soutenir une décision jugée salutaire par la quasi-totalité des populations de la RDC, l’archevêque de Kisangani n’en effleure aucune. Pour l’évêque en effet, « il y a entre autres la prise en charge des enseignants, en ce qui concerne leurs salaires. Il importe que le gouvernement puisse assurer un salaire décent à tous les enseignants ».
Son collègue l’archevêque métropolitain de Kinshasa récemment créé cardinal par le Pape François ne fait pas mieux. Au cours d’une visite pastorale, dimanche 22 septembre 2019 à la paroisse St Michel de Bandalungwa, Fridolin Ambongo a choisi de souffler le chaud et le froid sur la préoccupation générale qu’est la question de la gratuité de l’enseignement de base en RDC. « Le président de la République a appelé à la gratuité de l’enseignement primaire et personne ne peut s’y opposer. C’est ainsi que j’ordonne au coordonnateur des écoles conventionnées catholiques de passer le message aux responsables des écoles publiques pour la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement de base. Désormais, aucun chef d’établissement ne peut demander de l’argent aux élèves », a annoncé le prélat à ses ouailles de Bandal, qui l’attendaient sur la question. Mais la recommandation fut assortie de conditionnalités, les mêmes ressassées ci et là dans le secteur de l’enseignement conventionné catholique plus qu’ailleurs : « la gratuité veut dire que tout enseignant soit payé (plus question des enseignants non mécanisés) (…) il faudrait que l’Etat paye au minimum 350 USD le dernier enseignant (frais d’intervention ponctuelle + salaire) (…) l’Etat doit donner en moyenne 500.000 USD par école comme frais de fonctionnement », a martelé le nouveau primat kinois.
Grève au Sud-Kivu
On ne peut vraiment pas affirmer que les prélats n’aient pas été entendus, malgré les efforts consentis par le gouvernement – on parle du paiement de 250 USD par enseignant dès la paie de septembre auxquels s’ajoutent les frais de transport pour les kinois – loin s’en faut. Depuis mercredi 25 septembre 2019, une synergie des écoles conventionnées du Sud-Kivu a entamé une grève aussitôt mise en application par les enseignants des écoles conventionnées … catholiques de Bukavu. Ils réclament un manque à gagner de la paie du mois de septembre et s’opposent à la prime de brousse leur allouée. Et exigent un salaire minimum de 350 USD.
La gratuité de l’enseignement de base se heurte donc à l’obstruction des catholiques.
J.N