S’il s’attendait à une interdiction de son meeting du camp Luka, un des quartiers populaires de Ngaliema qui compte parmi les plus pauvres à Kinshasa, Martin Fayulu a fait choux blanc. Sa manifestation prévue non loin du célèbre cimetière de Kintambo a bel et bien eu lieu, mais avec trois heures d’un retard dû aux organisateurs, Martin Fayulu Madidi et son petit parti Ecidé (Engagement citoyen pour le développement) donc. Dimanche 4 août 2018, les sympathisants mobilisés par le candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2018, plusieurs centaines sans plus selon la plupart des observateurs, avaient attendu de longues heures avant de voir apparaître leur leader vers 15 heures. Fayulu a lancé la communication du jour par un appel à une minute de silence en mémoire de ceux qu’il a présentés comme des martyrs de la démocratie, décédés avant ou après les scrutins de la fin de l’année dernière.
Le meeting de dimanche intervenait pourtant quelques jours après la première réunion du présidium de Lamuka, la plateforme qui avait hissé Martin Fayulu au rang de candidat unique de l’opposition politique en novembre dernier à Genève. Sous la présidence de son tout premier coordonnateur, Moïse Katumbi, qui a cédé le commandement pour les trois prochains mois au MLC Jean-Pierre Bemba, Lamuka avait procédé à un semblant de renouvellement de ses objectifs politiques et à une redéfinition de son plan d’action, qui ne change rien aux tiraillements internes du regroupement. C’est à peine si les participants au meeting de Fayulu ont entendu parler de Lamuka. Au camp Luka, c’est de l’Ecidé, le petit parti politique sur lequel trône « Mafa », son président qu’il a été question. Opposition tribaliste
Pas de perspectives d’une opposition républicaine dans le chef de cet élu de Kinshasa à l’Assemblée nationale, mais seulement de l’obstruction systématique à l’action de la coalition FCC – CACH. La tendance, caractéristique de la frange Est de la plateforme Lamuka, consistant à délégitimer le pouvoir en place dans le sillage de certaines puissances occidentales, reste à l’ordre du jour. Strictement. Les premières salves du candidat malheureux à la présidentielle 2018 ont été dirigées contre l’ancien président de la République, Joseph Kabila, que Fayulu accuse d’avoir instauré la corruption qui lui a fait perdre le strapontin présidentiel arraché par Félix Tshisekedi. Comme avant et même après les scrutins électoraux ainsi voués aux pires gémonies, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) n’a pas non plus trouvé grâce aux yeux du patron de l’Ecidé qui l’accuse d’avoir ordonné la destruction des résultats électoraux contenus dans les machines à voter en provinces. Coule par la suite, comme de source, un torrent de critiques contre l’action du nouveau président de la République, délibérément peinte en noir. Pour Fayulu, Félix Tshisekedi est responsable de l’enlisement observé dans la situation sécuritaire à l’Est du pays. Parce qu’il n’a pas honoré ses promesses de campagne. Mais ce n’est pas tout. Dénonçant la corruption qui gangrène selon lui les institutions de la République, il en rend responsable le président de la République. « Etienne Tshisekedi avait dit ‘le peuple d’abord’ mais aujourd’hui c’est devenu ‘l’argent d’abord’. La corruption continue de battre son plein dans le pays. Quand tu prends la personne qui a fait entrer la corruption dans le pays et tu négocies avec lui, est-ce tu vas combattre la corruption ? », a-t-il lancé à un auditoire peu au fait des subtilités de la gestion publique, de toute évidence.
Sur les traces d’Albert Delvaux
Mais de cela, Martin Fayulu s’en fiche. L’objectif de sa prestation au camp Luka, un des fiefs électoraux de cet originaire de Bagata dans la province du Kwilu, c’est de chatouiller la corde sensible. Qu’il ne tarde pas à trouver dans cette cité politiquement très ancrée dans l’ex-Bandundu. Abordant la question de l’épidémie de la fièvre hémorragique à virus Ebola qui ravage les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, le patron de l’Ecidé a invité son auditoire à soutenir le professeur Muyembe Tamfum, le virologue de 76 ans, originaire du Bandundu comme lui, qui s’est récemment vu confier la direction de la riposte par … Félix Tshisekedi. «Nous devons soutenir le docteur Muyembe. C’est un expert dans ce domaine, c’est un fils du pays comme nous. Soyons tous derrière lui pour mettre fin au virus Ebola », s’est -il écrié devant une foule enthousiaste. Pas un mot ni une allusion au chef de l’Etat qui a, ainsi, privilégié la science et la compétence du Pr Muyembe sans considération tribaliste. Fayulu est pourtant revenu à maintes reprises sur ce thème, déclarant notamment que « nous ne connaissons pas ce que c’est que le tribalisme. S’il y a quelque chose que Mobutu nous a légué, c’est l’unité nationale. Il faut faire attention».
Mais l’unité nationale au camp Luka avait plutôt de relents tribaux, et Fayulu ne l’ignore pas puisque ces terrains de meetings populaires de prédilection se situent généralement dans des quartiers où se recrutent le plus grand nombre de ses co-régionnaires, notent des sources sécuritaires qui se sont confiées au Maximum. Le camp Luka compte en effet parmi les quartiers lotis arbitrairement et pour des raisons politiciennes par des leaders politiques soucieux de se procurer un réservoir électoral peu avant l’indépendance de la RD Congo en 1960. Comme Masina, Mombele (camp Mombele), c’est un acteur politique originaire de l’ex province du Bandundu, Albert Delvaux (devenu Mafuta Kizola à la faveur de la révolution de l’authenticité sous Mobutu), qui décide d’y héberger des ressortissants de sa province, pour contrebalancer l’influence ne-kongo de l’ABAKO de Joseph Kasavubu qui avait réalisé un raz-de-marée électoral aux municipales de 1957. En déversant sa bile sur un certain nombre d’acteurs politiques dimanche, Fayulu n’a fait que remuer du vieux vin dans une vieille outre.
J.N