(Par Lambert Mende Omalanga, Député national, ancien vice-premier ministre, Initiateur de la Convention des Congolais unis)
Concerne : Perspectives pour la fin de la guerre en RDC
L’intérêt supérieur de notre peuple qui nous guide tous m’incite à vous adresser ces quelques mots en guise de participation au débat soulevé par le discours du président Félix Tshisekedi au Forum Global Gateway de Bruxelles 2025.
Je me positionne d’entrée de jeu hors des sentiers battus des quolibets et volées de bois verts que nous avons l’habitude de nous infliger mutuellement à propos de tout et de rien comme dans une interminable campagne électorale.
J’ai bien noté que vos réactions à ce sujet sont essentiellement adossées sur la conviction que la crise qui assaille la République Démocratique du Congo est fondamentalement interne. Pareille affirmation est loin d’être anodine parce qu’elle conforte le discours révisionniste des stratèges rwandais tendant à internaliser les cinq agressions militaires de leur pays contre la RDC en 1996, 1998, 2003, 2012 et 2021.
Les cris de détresse du peuple congolais commencent à être entendus ci et là dans le vaste monde. Offusqués et horrifiés par cette barbarie surannée, des bonnes volontés dans la communauté internationale (Nations-Unies) initient de timides pressions sur le régime autoritaire et prédateur de Kigali.
Il est un fait indéniable que la République Démocratique du Congo, à l’instar de la plupart des pays africains, souffre depuis les années d’indépendance d’un grave déficit de gouvernance qui grippe son émergence et son développement. A l’évidence, depuis 1960, la gestion publique peine à mettre en œuvre le changement de paradigme qui concrétiserait la promesse des lendemains qui chantent faites en leur temps par les Pères fondateurs de la nation. Les générations des élites qui se sont succédées dans le pays, en ce compris vous-mêmes, ne sont pas parvenues à opérer une rupture ontologique dans la manière de gouverner ou de s’opposer à ceux qui gouvernent pour réinventer l’État, refonder l’Administration, l’Armée et la Justice afin de garantir le bien-être collectif.
Un tableau aussi sombre ne peut que susciter une profonde angoisse chez tout Congolais normalement constitué. Pour autant, il n’est pas correct d’affirmer que les problèmes internes sont un challenge primordial relativement à l’agression rwandaise dont il faut noter qu’elle a ciblé avec la même virulence le Congo sous quatre chefs d’État successifs. En effet, de Mobutu Sese Seko à Félix-Antoine Tshisekedi, en passant par les Kabila (Laurent-Désiré et Joseph), tous les présidents de la RDC au cours des trente dernières années se sont heurtés à des offensives déstabilisatrices des forces gouvernementales rwandaises appuyées par des supplétifs congolais (AFDL, RCD/Goma, CNDP, M23 etc.). La crise congolaise n’est donc pas primordialement consubstantielle à des problèmes internes impliquant la touche managériale de l’actuel président ainsi que vous le laissez entendre.
Toute falsification de l’histoire dans le sens du révisionnisme construit par les extrémistes au pouvoir au Rwanda qui veulent masquer la réalité apodictique de leurs incursions dévastatrices au Congo à partir de 1996 est antipatriotique.
L’intérêt du Congo et des Congolais n’est pas d’éclipser les agressions sauvages commandées par le président Paul Kagame qui incarne jusqu’à la caricature la stratégie de l’intimidation dans la région des grands lacs et qui, à force de surenchère, de menaces et de rodomontades, s’est enfermé dans la voie sans issue de la conflagration. Ces violences destructrices sont le principal facteur de l’immobilisme agaçant dans lequel notre pays est embourbé.
L’Est du Congo vit depuis 1996 sous le joug intermittent des Rwanda defense forces qui sponsorisent des groupes armés de malfrats et se livrent au nettoyage ethnique de pans entiers des provinces du Kivu. Cela ne doit en aucun cas être considéré comme une banalité. Au-delà des critiques sur la lenteur des réformes innovantes que nécessite le décollage de la RDC, il faut au moins reconnaître à Félix Tshisekedi le mérite de la consolidation de la résilience des Congolais et de l’éveil de la conscience universelle face à l’inacceptable brutalité de M. Kagame.
La mort de plus de 5 millions d’inoffensifs congolais, les extorsions, viols, tortures et déplacements forcés dans les Kivu ne sont pas des ‘’détails’’ négligeables ainsi que vous semblez le suggérer. Pendant la deuxième guerre mondiale, la priorité pour le général De Gaulle fut de se joindre aux forces alliés pour bouter d’abord la Wehrmacht hors de l’Hexagone avant de penser à mettre en place le gouvernement provisoire de la France. En Angola, ce n’est qu’après avoir défait les colonialistes portugais et leurs alliés sud-africains et zaïrois en 1974 qu’Agostino Neto et son MPLA ont mis en place leur gouvernement en 1975. Ceci amène à questionner la rationalité de votre préconisation consistant à faire régler nos problèmes de gouvernance hors de nos institutions légitimes et en minimisant l’occupation militaire étrangère de la partie Est du pays.
La belligérance qui plombe aujourd’hui l’émergence du Congo est essentiellement due à la stratégie d’intimidation du président Paul Kagame qui estime que pour être grand, le Rwanda doit coûte que coûte balkaniser le Congo. En l’appelant devant témoins à assumer ses responsabilités et oser la paix, Tshisekedi n’a fait que souscrire au prescrit de l’article 74 de la Constitution qui lui fait obligation de (i) maintenir l’indépendance et l’intégrité du territoire de la RDC, (ii) ne se laisser guider que par l’intérêt général et le respect de la personne humaine et (iii) promouvoir de toutes ses forces le bien commun et la paix. En martelant que c’est avec Kagame que la paix doit se discuter (et non avec les renégats congolais de l’AFC/M23 qui lui servent de supplétifs), le N°1 congolais, seul capitaine du navire RDC jusqu’en 2028, réaffirme devant la communauté internationale la responsabilité flagrante de Paul Kagame, véritable maître des horloges dans la déstabilisation du Congo.
De l’autre côté de la ligne de front, même des extrémistes rwandais comme le ministre Olivier Nduhungirehe tout en méconnaissant le droit à la légitime défense des populations du Kivu (wazalendo) harcelés dans leurs hameaux par les hordes de la coalition RDF-AFC-M23, attribuent au seul président Tshisekedi la responsabilité de mettre fin au conflit. Rien ne permet dès lors de remettre en cause le passage du discours du président dans lequel il se considère avec Kagame comme « les deux seuls capables de stabiliser la région ».
On ne peut faire grief au président de la RDC d’avoir rappelé la centralité du rôle joué par son homologue rwandais dans la dévastation de la partie Est du Congo. Il est en effet de notoriété publique que M. Kagame instrumentalise des hommes de paille pour dissimuler ses forfaitures.
Les saillies irrationnelles des dirigeants rwandais contre Félix Tshisekedi illustrent leur désarroi. C’est le cas de M. Nduhungirehe qui a le culot d’exiger que le président de la RDC abandonne leur propre sort ses concitoyens résistants wazalendo qui se défendent les mains nues contre des hordes d’assassins et de pillards venus du Rwanda.
La majorité des Congolais se félicitent de l’accompagnement des efforts de stabilisation de la région des Grands Lacs africains par les Etats-Unis d’Amérique dont plusieurs administrations avaient soutenu les incursions sanglantes du Rwanda au Congo. Il faut être intellectuellement malhonnête pour dénier à Félix Tshisekedi la paternité de ce changement de cap illustré par les propos tenus à Bruxelles par Massad Boulos, le « Mr. Afrique » du président Donald Trump qui a applaudi la posture ferme mais modérée du président Tshisekedi devant le Forum Global Gateway 2025.
Vous avez choisi d’inscrire votre action dans une opposition républicaine. Je vous conjure de ne pas quitter ce créneau. Il serait regrettable que vous deveniez des alliés objectifs des proxies qui s’évertuent à passer par pertes et profits la casuistique criminelle de l’agresseur de notre pays. Le pays tout entier souhaite vous voir garder la posture patriotique d’une opposition républicaine dont on ne peut faire l’économie dans une démocratie qui tient à tutoyer l’émergence et le développement.