Quelques heures après une visite officielle à Kinshasa, la première du genre pour lui, le chef EMG de l’UPDF et fils du président Museveni, le général-major Muhoozi Kainerugaba s’est illustré par une de ses frasques habituelles en menaçant de s’attaquer aux Wazalendo (résistants congolais à l’agression rwandaise). La sortie de l’officier général ougandais était pourtant passablement cadrée car elle concernait des groues actifs dans la nouvelle sphère opérationnelle reconnue à l’UPDF, en territoire de Lubero au Nord-Kivu.
«Les Wazalendo sont assurément une force négative ! Je suis convaincu que les forces conjointes UPDF – FARDC les attaqueront partout où elles les trouveront. A moins qu’ils ne soient assez intelligents pour se rendre», déclarait le chef de l’Etat-Major de l’armée ougandaise (UPDF) dans un tweet, le 22 juin 2025. Muhoozi Kainerugaba faisait allusion à un incident survenu il y a plusieurs mois, lorsqu’une embuscade tendue par des éléments identifiés comme Wazalendo avait couté la vie à 4 soldats ougandais dans le territoire de Lubero. Mais à la différence de ces sorties médiatiques tonitruantes habituelles, à l’instar de celles qui le virent menacer de placer aux arrêts le gouverneur militaire de l’Ituri, l’aîné des enfants Museveni semble observer quelques réserves, désormais. Et prendre soin du caractère conjoint des opérations en cours à la frontière ougando-congolaise. Signe que les relations entre Kinshasa et Kampala, renforcées par la signature d’un nouveau memorandum d’entende, se portent plutôt bien.
Le général Muhoozi n’est pas un habitué des «paroles en l’air». Des combats opposant la coalition FARDC-UPDF à un groupe maï-maï dans la localité de Muhola (Lubero) depuis deux jours ont été rapportés samedi 28 juin 2025. Les armées coalisées des deux pays tentaient de déloger un groupe armé accusé d’exactions contre les civils, selon des sources locales. En fin de matinée, le 28 juin, la coalition FARDC-UPDF avait pris le contrôle de l’axe Muhola-Mabambi et de la totalité de la zone. Même si les activités économiques et sociales (scolaires, notamment) se sont trouvées affectées négativement dans cette zone où sévissent également des rebelles de l’AFC/M23 et ADF.
Offensive FARDC-UPDF à Lubero
Dans la région, l’offensive musclée d’éléments coalisés des armées congolaise et ougandaise semble plutôt appréciée. A Butembo, non loin de Lubero, l’appel à une ville morte samedi 28 juin 2025, lancé 24 heures plus tôt, n’a nullement été observée par les populations. «Commerces ouverts, circulation : l’appel a été largement ignoré», commentent des confrères dans la capitale économique du Grand Nord-Kivu. Malgré un communiqué publié depuis la colline Tabora, le 27 juin, dénonçant les agissements de l’armée ougandaise accusée d’attaques contre les combattants congolais à Mabimbi et de ‹‹complicité avec le M23››.
Une semaine plus tôt, le 21 juin 2025 à Beni, capitale administrative provisoire du Nord-Kivu depuis la prise de Goma par la coalition RDF-M23-AFC en janvier dernier, des élus nationaux et provinciaux ainsi que des représentants des différentes couches sociales avaient salué le nouvel accord FARDC – UPDF. «La population et les élus locaux y voient une opportunité de mettre fin aux violences des groupes armées, notamment les massacres perpétrés par les rebelles ADF», rapportent des médias locaux qui font état aussi du souhait général de voir «des actions militaires plus robustes et mieux planifiées, avec un accent particulier sur les zones les plus touchées par les violences des ADF».
Mercredi 2 juillet 2025, le général Muhoozi s’est chargé d’annoncer, non sans enthousiasme que «bientôt, nous n’aurons plus de visas entre l’Ouganda et la RDC», révélant ainsi un pan des échanges qu’il avait eus, quelques jours plutôt, avec le chef de l’Etat congolais. «J’en ai discuté avec mon grand frère, S.E. Félix Tshisekedi, et il a accepté. Alors, vous Ougandais et Congolais, vous êtes des ‘Mweremere’», écrit-il dans un nouveau tweet sur les relations avec le voisin congolais.
Plus de visas entre la RDC et l’Ouganda
Profitant de son séjour kinois, le général Muhoozi Kainerugaba avait effectué le déplacement de la Cité de l’UA à Kinshasa pour une audience auprès du président Félix Tshisekedi. Un communiqué de la présidence congolaise révèle que les échanges entre les deux personnalités ont porté sur le renforcement de la collaboration bilatérale et la stabilité régionale. Il aussi été question du partenariat militaire croissant entre la RDC et l’Ouganda qui a, notamment, permis «de revitaliser les activités économiques et les services sociaux dans les zones libérées».
Le nouveau memorandum d’entente entre les FARDC et l’UPDF poursuit des objectifs économiques évidents, notamment, la sécurisation d’importants travaux d’infrastructures routières transfrontalières, à l’instar des axes routiers stratégiques Kasindi-Beni et Beni-Butembo et Bunagana-Goma (pour un total de 223 km) au Nord-Kivu, vitales pour les échanges commerciaux entre la RDC et l’Ouganda.
Les travaux financés par les deux gouvernements ont été lancés en 2021 et confiés à Dott Services, une entreprise basée à Kampala. Mais ils ont connu de nombreuses interruptions dues à des problèmes administratifs et sécuritaires.
Pour Kampala, ces voies routières sont indispensables pour la région. Le fils Museveni s’en est entretenu avec Félix Tshisekedi. Pour Kinshasa aussi, parce que l’Ouganda reste une voie de sortie importante de l’or, du café, du cacao et bientôt du pétrole congolais.
Le 21 juin dernier à Kasindi, à la frontière ougando-congolaise, Dott Services Ltd a repris les travaux de réhabilitation, très attendues par les populations locales, de la RN4 qui mène vers Beni, une cinquantaine de km plus loin. Interrompus pour la dernière fois en mars 2025, après des interventions remarquées sur les ponts Lume et Semuliki, leur reprise a été marquée par la démolition de l’ancien bâtiment de la Direction générale des migrations (DGM).
Memorandum d’entente révisé
Le 21 juin 2025 à Kinshasa, les chefs d’Etat-Major des armées ougandaise et congolaise, Muhoozi Kainerugaba et Jules Banza Mwilambwe, avaient formellement signé le memorandum d’entente révisé sur les opérations conjointes shuuja contre les terroristes ADF-MTM. Le nouvel accord est une réactualisation de celui conclu en décembre 2021 «en fonction de l’évolution actuelle de la situation sur le terrain», selon les explications du général Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC. Il prévoit des opérations contre les ADF et leur élargissement dans les territoires de Mambasa en Ituri et sont étendues contre les groupes armés auteurs de l’insécurité dans les territoires de Djugu, Irumu, Mahagi et Aru. Au cours d’une intervention sur RFI, le général Ekenge a également annoncé que «les opérations conjointes seront étendues dans les territoires de Lubero, avec cette fois-ci, la neutralisation des groupes armés».
Mais des inquiétudes demeurent quant à la sincérité et à la portée de l’engagement de l’armée ougandaise dans cette région limitrophe des territoires occupés au 2/3 par la coalition RDF-M23-AFC. Des observateurs rappellent à cet effet, le concours apporté par un officier UPDF à la conquête de Bunagana par le Rwanda et le M23 via la Rwindi en attaquant les FARDC par l’axe Mabenga, un épisode que des officiels ougandais attribuent à un officier véreux qui a d’ores et déjà été dûment sanctionné.
Seul rempart face à cette éventualité, l’appât du gain qui emmène déjà l’Ouganda de Yoweri Kaguta Museveni à scier les côtes de son voisin rwandais en contribuant aux côtés de la RDC à sa marginalisation sur la scène régionale. Et à soigner avec quelque prévenance ses relations avec la RDC qui illustrent les limites de ses relations avec Kigali.
Echanges commerciaux
Les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint plus de 530 millions USD en 2023, dont environ 500 millions pour le seul commerce informel. Des sources autorisées à Kampala indiquent qu’avant les perturbations provoquées la cinquième agression rwandaise à l’Est de la RDC en 2021, le chiffre d’affaires annuel réalisé par l’Ouganda dans le commerce avec la RDC avoisinnait les deux milliards USD. Cela fait de la RDC le premier marché d’exportation de l’Ouganda dans la région. Les principales exportations de l’Ouganda comprennent le ciment, l’acier, le sucre, les produits agricoles et le pétrole.
Joseph Kabila, l’ancien président congolais, en a fait les frais lorsque le 10 mai 2025, le président ougandais Yoweri Museveni lui a formellement interdit l’utilisation de la frontière de son pays pour accéder à Goma.
«Cette interdiction était fondée sur des raisons diplomatiques et sécuritaires», ont confié à notre rédaction des sources proches du dossier en Ouganda qui révèlent que l’ancien sénateur à vie avait prévu de transiter par le Sud-Ouest de l’Ouganda pour se rendre dans la capitale occupée du Nord-Kivu. «Le président Museveni a clairement indiqué qu’autoriser Kabila à utiliser le territoire ougandais pour entrer à Goma, contrôlée par les rebelles, porterait atteinte aux liens stratégiques de Kampala avec l’administration Tshisekedi», ont-elles ajouté.
Inquiétudes sécuritaires réciproques
A Kampala, on reproche à Kabila d’avoir toujours fermé les yeux sur l’expansion des terroristes ADF qui se sont largement implantés sous son administration avant de s’aligner sur des groupes terroristes internationaux d’obédience islamiste.
Les préoccupations sécuritaires susceptibles d’incliner Kampala à conforter ses relations avec son voisin congolais ne font donc pas défaut. Le 22 juin 2025, l’armée ougandaise à annoncé avoir éliminé une femme qui portait un engin explosif au marché de Kalerwe, un important centre commercial de Kampala. 24 heures plus tard, deux officiers supérieurs relevant des services de renseignements de l’UPDF, le colonel Peter Ahimbisibwe et le lieutenant-colonel Ephraim Byaruhanga, ont été arrêtés sur ordre du général Muhoozi Kainerugaba. «Ils sont soupçonnés de diriger des unités qui pourraient avoir été infiltrées par des agents des ADF, un groupe rebelle responsable de multiples attaques terroristes en Ouganda et dans la région», selon des sources militaires ougandaises.
J.N.