Ce n’était pourtant pas une première, à proprement parler. Dans une interview à un média sudafricain, Joseph Kabila avait déjà déclaré légitimes les revendications de la rébellion AFC/M23, qui sévit à l’Est de la RDC. Par la suite, l’ancien président de la République s’est fendu d’un programme de reconstruction du pays comprenant l’éradication du pouvoir en place, qu’il a présenté comme une dictature et une tyrannie. Avant de rendre à Goma via Kigali et de s’installer en territoire sous occupation rebelle. Mais le doute persistait quant à la paternité des troubles de l’Est, à l’origine d’une des crises humanitaires les plus graves de la planète. Jusqu’aux récentes déclarations de son bras droit et envoyé spécial aux Etats-Unis.
Arrivé à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu sous occupation des troupes rwandaises et de l’AFC/M23, le 25 mai 2025, l’ancien président de la République n’a pas tardé à déployer une intense activité. A tours de bras, le désormais ex sénateur à vie a multiplié les audiences avec les couches sociales de la ville. Représentants religieux, organisations des femmes, délégations d’universitaires, autorités coutumières ont été reçus à tour de rôle à la résidence hautement surveillée de Joseph Kabila. Pour s’entendre interroger sur le programme de reconstruction du pays en 12, présenté quelques jours plus tôt par leur hôte, selon son entourage.
Sur le contenu de ces échanges initiés sans autre titre ni mandats que celui d’un ancien chef d’Etat décidé à en découdre avec le pouvoir qu’il l’a remplacé au sommet de l’Etat, rien n’a vraiment filtré qui contredise les desseins proclamés au cours d’une adresse à la nation diffusée sur You Tube. Comme on pouvait en attendre de personnes reçues et interviewées la kalashnikov sur la tempe, pour ainsi dire.
L’entourage et les partisans de l’ancien président de la République, niant toute collusion entre Joseph Kabila et les forces rwandaises et rebelles d’occupation, justifiait l’activisme politique soudain de leur mentor par les nécessités du rétablissement de la paix perturbée depuis un peu plus 3 ans en RDC.
Mission auprès des décideurs américains
C’est donc sans grande surprise également que, le 13 juin 2025, était signalée la présence à Washington de Barnabé Kikaya Bien Karubi, ancien ministre de l’ancien président de la République, devenu un de ses plus proches collaborateurs. L’homme était chargé de missions auprès des différentes institutions étatsuniennes, selon ses propres déclarations.
Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, Barnabé Kikaya explique sa mission et les idées forces que l’ex sénateur à vie l’a chargé de porter à la connaissance des autorités américaines. « Je suis ici pour pouvoir parler avec les décideurs américains dans les différentes institutions, que ce soit au Congrès, au Département d’Etat, au Conseil national de sécurité … pour leur parler de la situation au Congo », déclare-t-il d’emblée.
Pour cet ancien journaliste, longtemps exilé en Afrique du Sud pour fuir les affres de la dictature mobutiste dans les années ’80, la situation de son pays se résume en peu de mots. Elle est « calme mais difficile », estime-t-il. « Difficile, parce que le gouvernement central de M. Tshisekedi a décidé de sacrifier et de punir, d’asphyxier plus de 10 millions d’habitants de deux provinces, le Nord et le Sud Kivu, en les coupant du système financier national et pourquoi pas, mondial ».
Barnabé Kikaya explique que le message de Joseph Kabila aux décideurs américains se résume à son plan de paix en 12 points pour la RDC. Ainsi qu’au rôle que l’ancien président de la République entend jouer. « C’est celui qu’il joue maintenant. Il est là, il parle. Il n’y a personne qui a consulté les mamans, les hommes d’affaires, les jeunes, les scientifiques, les communautés du Nord et du Sud Kivu pour savoir ce qu’ils pensent ». L’ancien président de la République se muerait ainsi en une sorte de représentant des communautés consultées au cours d’audiences récemment accordées à Goma et alentours. Même si le message dont il est porteur en leur nom n’est pas nécessairement celui de ces populations qui vivent sous occupation des forces rwandaises et rebelles. Barnabé Kikaya ne s’en cache pas, vraiment.
Le message de Kabila, pas celui des populations
«Nous voyons des initiatives de dialogue un peu partout, que ça soit Luanda, Lomé, Doha, Washington, tout le monde est là sauf les premiers concernés. Et les premiers concernés dans ce cas, ce sont les populations du Nord et du Sud Kivu. Raison pour laquelle le président Kabila est allé parler avec eux, pour recueillir leurs avis et les porter à la face du monde», explique-t-il. Sans la moindre allusion à la représentation de ces populations dans les institutions de la République, au parlement, aux gouvernements provincial et national, et par un président de la République élu au suffrage universel il y a seulement 2 ans.
Selon M. Kikaya, Joseph Kabila ne peut pas jouer le rôle de chef rebelle. «Il est là, il parle avec tout le monde, même avec ceux qui gèrent la cité aujourd’hui, qui sont l’AFC de Corneille Nangaa et le M23. Il a des échanges avec dans le but de voir si on peut trouver des passerelles qui vont ramener à une solution pacifique», assure-t-il.
Interrogé sur la sécurisation de l’ancien chef de l’Etat par les forces d’occupation rwandaises et rebelles en territoires occupés, l’envoyé spécial de Joseph Kabila n’en démords pas. « Il a formé, il a recruté une garde personnelle qui le sécurise. Il ne pouvait faire autrement. Jusqu’à présent, il est gardé et sécurisé par sa propre garde », explique-t-il. Et lorsqu’on lui fait observer qu’il s’agit d’une protection dans un territoire sous occupation rebelle, Barnabé Kikaya se lâche. « Il n’est pas en contradiction avec ce que les rebelles font. Les objectifs de la rébellion sont les mêmes que ceux du président Kabila. Le président Kabila a dit dans son discours, c’est le point n° 1 de son plan de sortie de crise, qu’il fallait mettre fin à la dictature et à la tyrannie », déclare-t-il.
« Kabila-Rébellions : même morale»
Ainsi est rompue la glace. « La rébellion AFC/M23 et Joseph Kabila, c’est la même morale », commente en empruntant une expression populaire, Thierry Kambundi, célèbre journaliste de Top Congo FM. Pour dire que la rébellion de l’Est de la RDC et l’ancien président de la République, c’est bonnet blanc – blanc bonnet, en quelque sorte. Ce que les propos de l’envoyé de l’ex sénateur à vie à Washington sont loin de démentir, puisque Barnabé Kikaya soutient également le M23, un groupe armé notoirement soutenu par le Rwanda depuis plus d’une décennie, qui a déj agressé la RDC en 2012 avant de se réfugier au Rwanda et en Ouganda. « Les objectifs qu’avait le M23 en 2012 ne sont plus les mêmes. Le M23 a été à Kinshasa, invité par le président Tshisekedi. Ils se sont entendus sur un certain nombre des choses. Cet engagement n’a pas été respecté par l’homme qui dirige le Congo aujourd’hui. Ils ont décidé de prendre les armes pour se défaire de la dictature. Et si vous faisiez un sondage aujourd’hui, 99 % des Congolais vous diront qu’il faut se défaire de la dictature…», se défend-il.
Dans l’opinion, aussi bien dans les territoires occupés de l’est rd congolais que dans la partie gouvernementale, la pilule passe de moins en moins. La sortie médiatique de Barnabé Kikaya aux Etats-Unis apparaît particulièrement réductrice pour l’ancien président de la République, qu’elle ramène aux dimensions d’un chef de guerre qui ne dédaigne pas de tirer profit des souffrances infligées à ses compatriotes par les rébellions combinées AFC/M23. «S’il n’y avait pas rébellion armée, on ne voit comment Joseph Kabila aurait pu prétendre défaire le régime en place, ni mettre en œuvre son plan de paix», explique Joseph Mputu, étudiant en droit à l’Unikin. L’ancien chef d’Etat est donc indissociable de l’unique moyen mis en œuvre pour arriver à ses fins, de ce point de vue.
J.N.