La pluie qui s’est abattue sur Kinshasa et sa périphérie dans la nuit du 5 au 6 avril 2025 a causé la mort de 30 personnes, selon le bilan officiel annoncé par le porte-parole du gouvernement, le 7 avril. Au cours d’un point de presse consacré à ce drame survenu deux ans après un autre qui fit près d’une centaine dans des espaces squattés de la capitale, en décembre 2022, une batterie de mesures d’urgence a été annoncée. Les mêmes qui se répètent, claironnées sur tous les toits depuis près de dix ans maintenant, sans le moindre début d’exécution.
48 heures après la pluie diluvienne qui a arrosé Kinshasa la capitale de la RDC et une grande partie de sa périphérie, essentiellement dans la province frontalière du Kongo-Central (Kasangulu), on en sait un peu plus sur les dégâts causés par cette intempérie et les mesures prises pour y faire face.
Lundi 7 avril 2025, au cours d’une émission télévisée, les ministres Patrick Muyaya (Communication et Médias), Alexis Gisaro (Infrastructures), Roger Kamba (Santé publique) et Teddy Muba Lwamba (Ressources hydrauliques) ont abordé les différents aspects des problèmes créés par le débordement impétueux des eaux de la rivière Ndjili, sorties de leur lit pour la énième fois à Kinshasa, et présenté les perspectives de solutions. Plus théoriques que pratiques.

30 morts ont été enregistrées, des dizaines de malades ou blessés sont hospitalisés et des centaines de familles sinistrées ont été rassemblées et hébergées au Stade Tata Raphaël, dans les installations construites pour les Jeux de la Francophonie, a ainsi annoncé le ministre porte-parole du gouvernement. Tandis que son collègue des Infrastructures annonçait des études approfondies pour repenser, notamment, les voies d’évacuation des eaux usées et de pluies de la capitale.
La rivière Ndjili qui sort de son lit, c’est aussi la moitié des 24 communes de la capitale, desservie par la station de captage et de distribution d’eau du même nom qui se s’est retrouvée privée d’eau potable. En attendant le rétablissement de la situation (dans les 72 heures) par les équipes d’urgence de la Regideso qui se sont mises à l’ouvrage dès la fin de la pluie, le 6 avril dans la journée.
Nouvelles mesures
Des dispositions pratiques visant à prévenir les inondations ont aussi été annoncées. Dans un communiqué, le 7 avril 2025, Crispin Mbadu, ministre de l’Urbanisme et Habitat, a promis le curage des ouvrages d’assainissement ainsi que le nettoyage des canaux et cours d’eau. Il a également « recommandé » la démolition des constructions anarchiques érigées, notamment, le long des berges des cours d’eau en rappelant une décision en ce sens du Conseil des ministres sur le sujet. Ce qui a amené un internaute excédé à poser la question de savoir si le gouvernement de la République était un organe consultatif ou exécutif. Le ministre Mbadu aussi insisté sur la nécessité de respecter scrupuleusement les plans d’urbanisme en vigueur avant de déclarer que toute nouvelle occupation du sol devrait désormais être subordonnée à un plan d’urbanisme approuvé ou à une autorisation préalable, afin de garantir un développement urbain ordonné. Dans la même lancée, il a fait part au public du lancement des opérations de la Commission nationale de lutte contre les occupations anarchiques, dans le cadre d’une initiative visant la préservation des espaces et des servitudes d’utilité publique.

En attendant, pour parer au plus urgent, les équipes de l’Office des Voires et Drainages (OVD) sont intervenues pour rétablir (partiellement) la circulation sur la Route nationale n° 1 (RN 1), gravement endommagée par le ruissellement des eaux de pluie, en attendant la réouverture complète après les travaux de réhabilitation lancés, a annoncé le gouverneur de la Ville de Kinshasa, Daniel Bumba Lubaki.
La circulation interrompue sur le boulevard Lumumba à la hauteur des quartiers Salongo et De Bonhomme dans les communes de Limete et de Matete s’est rétablie d’elle-même avec la décrue des eaux de la rivière Ndjili, lundi 7 avril, mettant un terme à 24 heures de paralysie totale de cette artère névralgique qui mène, notamment, vers les zones populeuses de la Tshangu et l’aéroport international de Ndjili.
Daniel Bumba, comme ses prédécesseurs
Comme ses prédécesseurs à la tête de la mairie de la capitale, Daniel Bumba Lubaki a embouché les trompettes de la dénonciation rituelle des constructions sur plusieurs sites non aedificandi, notamment, les terrains marécageux et les emprises des cours d’eau, qui aggravent les inondations. Le gouverneur de la Ville-Province de Kinshasa a également annoncé une opération de déguerpissement forcé pour évacuer les résidents des zones à risque, et exhorté au respect des règles d’urbanisme pour éviter des calamités à l’avenir.
Au cours d’une visite aux sinistrés rassemblés au Stade Tata Raphaël, lundi 7 avril, le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi est revenu sur la nécessité d’appliquer la loi qui prévoit le déguerpissement de quiconque occupe anarchiquement une zone à risques. «Même s’il faut déguerpir les gens pour les reloger ailleurs, nous allons le faire. La première chose est d’assurer la sécurité des vies des Congolais. Nous ne pouvons laisser les Congolais en danger», a déclaré le chef de l’État.

Depuis plus de dix ans, le phénomène se répète avec la régularité d’une horloge suisse. Les drames et dégâts matériels qu’il charrie aussi. Les causes sont pourtant connues. Elles sont certes liées au dérèglement climatique à l’échelle planétaire qui provoque de plus en plus de pluies torrentielles. Mais elles sont aussi et surtout humaines : l’occupation anarchique des espaces publics et le déficit de la gouvernance publique.
A Kinshasa, la partie basse de la ville voit chaque jour pousser des immeubles dont la construction, mal planifiée, ne fait aucun cas de la cartographie des égouts et collecteurs souterrains conçus pour drainer les eaux vers le fleuve Congo. «On s’est mis à couper tous ces conduits. L’exemple le plus frappant, c’est cet immense immeuble non achevé érigé près de la Place de la Gare qui a bouché toutes les canalisations devant emmener les eaux des communes de Lingwala, Kinshasa et Barumbu vers le fleuve. D’où ces inondations au centre-ville», s’insurge un urbaniste sous le sceau de l’anonymat. La rivière Gombe, à la hauteur du quartier Socimat, elle aussi envahie par des nouvelles constructions sur ses berges et jusque sur son lit, est devenue un entonnoir qui refoule toutes les eaux de pluie vers Lingwala. Pire, dans cette commune riveraine de la Gombe, sur avenue Simaro Lutumba, ex-Mushie, un grand collecteur souterrain devant drainer les eaux vers le fleuve est bouché à cause des constructions en surface qui rendent impossibles tout désensablement. A ces deux cas, il faut ajouter l’espace public attenant au Rond-point Mandela sur l’avenue de la Libération (ex-24 novembre), aujourd’hui occupé par la Fondation Mzee Laurent-Désiré Kabila dont des infrastructures surplombent les collecteurs et égouts construits pour drainer les eaux venant d’un peu partout dans la ville vers le fleuve. Impossible donc d’accéder à ce système d’évacuation pour entretenir les conduites bouchées depuis des années.
Un mal bien connu
Les mêmes experts expliquent que les inondations à Kinshasa, c’est aussi le squatting dans la capitale vers le Sud, sur les collines, par des populations démunies. «Les flancs collinaires et les sols sont dénudés de toute végétation, ce qui entraine un flux incontrôlable de masses de terres et de sable vers la partie basse au Nord de la ville lorsqu’il pleut. Conséquences : de nombreuses têtes d’érosions sur les collines, dues à la perte des terres, mais aussi des glissements de sol qui occasionnent les inondations en cas de pluies», explique-t-on.
A l’évidence, la gestion de Kinshasa, une mégapole de près de 15 millions d’habitants, pose problème. Cette ville-province qui abrite toutes les institutions du pays produit quotidiennement 8.000 tonnes de déchets solides par jour selon une évaluation datant de 2019. Tous ces détritus ne sont plus évacués ou presque, depuis 2016, à la fin du Projet PARAU financé par l’Union Européenne. Ils échouent dans des décharges sauvages qui essaiment un peu partout à travers la ville. Parfois stockés sur des sites érosifs, ces tonnes de poubelles entraînées par les eaux de pluie finissent dans les bas-fonds des rivières et cours d’eau qui traversent la capitale, y rejoignant ainsi les déchets ménagers jetés de manière désordonnée par les populations riveraines au nez et à la barbe d’autorités municipales bonnes à rien. «Ce sont tous ces déchets qui sont également à la base des inondations car, les rivières et les caniveaux sont devenus des récepteurs, faute de plans d’évacuations», expliquent les urbanistes.
Si les causes des catastrophes pluvieuses à répétions sont connues, les responsabilités sont, elles aussi, de notoriété publique. Dans une lettre ouverte publiée en décembre 2022, à la suite d’inondations qui avaient fait plus d’une centaine de morts à Kinshasa, le député national lumumbiste, Lambert Mende Omalanga avait stigmatisé «ces torrents mortels sur un océan d’incivilités et d’anarchie». Selon cet ancien porte-parole du gouvernement sous Joseph Kabila, «la responsabilité de ce charivari est certes à partager entre le pouvoir central, les provinces et les usagers de la chaussée dont l’insalubrité est par ailleurs devenue une seconde nature. Mais la cause première de ce scandale qui est en train d’acquérir un véritable statut d’attribut culturel ici incombe aux représentants des pouvoirs publics. Selon l’article 203, point 21 de la Constitution, le trafic routier, la circulation automobile, la construction et l’entretien des routes d’intérêt national, la perception et la répartition des péages pour l’utilisation des routes construites par le pouvoir central et/ou par la province relèvent des compétences concurrentes du pouvoir central et des provinces tandis que l’organisation de l’habitat urbain, la voirie et les équipements collectifs provinciaux sont, aux termes de l’article 204 de la Loi fondamentale de la compétence exclusive des provinces. Le gouverneur n’a donc nul besoin de l’habilitation de qui que ce soit pour éradiquer les incivilités qui ont transformé Kin-la-belle en Kin-la-poubelle». Difficile de lui donner tort. Malgré les efforts de la mairie pour secourir tant bien que mal quelques 38.000 ménages sinistrés, rien n’avait été entrepris pour éradiquer les incivilités à la base de ces catastrophes.
Les causes aussi sont connues
Il est clair que c’est l’inaction des responsables de cette ville tentaculaire qui est aux sources de ces dysfonctionnements meurtriers du processus de mise en œuvre des règles urbanistiques élémentaires et que l’ambiance délétère entretenue par l’indolence des pouvoirs exécutifs aux niveaux central et provincial constitue en elle-même un défi quasi infranchissable à tout espoir de développement et d’émergence de ce pays dont le cœur bat incontestablement à Kinshasa.
Ces dix dernières années à Kinshasa, chaque gouverneur de la ville a fait les frais de ces pluies torrentielles, pourtant saisonnières et donc largement prévisibles. En décembre 2022, l’ex-PPRD passé dans les rangs de la majorité présidentielle, Gentiny Ngobila Mbaka, avait dû inhumer 120 victimes des inondations provoquées par les crues du fleuve Congo. Avant de tenter un règlement de cet épineux problème par la mise sur pied d’une commission chargée de démolir les sites de constructions anarchiques que personne n’a jamais vu à l’œuvre…

En 2018, son prédécesseur dans la fonction, le PPRD André Kimbuta Yango, avait fait face à la mort de 44 de ses administrés, tués par une pluie diluvienne la nuit du 3 au 4 janvier. Des familles entières furent noyées, comme à Binza, où un couple et leur enfant de 9 mois furent surpris et noyés dans le lit conjugal par les eaux d’une rivière sorti du sien ; ou encore à Bandal Makelele, ces 3 des 4 enfants d’une même famille dont la mère s’en était allée «servir le Seigneur» à une veillée de prière. 5.100 maisons d’habitations furent inondées, 192 autres écroulées dans les communes de Bandalungwa, Barumbu, Limete, Selembao, particulièrement. Pourtant, trois ans auparavant, en décembre 2015, le même gouverneur André Kimbuta avait dû gérer les conséquences tragiques d’une succession de pluies torrentielles sur Kinshasa, tombées à partir du 19 novembre. Au total, 31 personnes avaient péri à la suite des inondations et plus de 20.000 familles s’étaient retrouvées sans abri. «Les habitations riveraines sont des constructions anarchiques qui ont payé le prix lourd», expliquait déjà à l’époque, l’alors premier ministre, Augustin Matata Ponyo.
Il appartient au chef de l’État d’impulser une politique de tolérance zéro de l’incompétence en sanctionnant toute démission des représentants des pouvoirs publics dans la gestion des défis de la vie quotidienne de nos populations tant à Kinshasa que dans les provinces. Il en va de la crédibilité de son leadership.
Jacques Ntshula avec Le Maximum