Le sénateur américain, Ronny Jackson a effectué une entrée tonitruante dans l’opinion publique en RDC, le 26 mars 2025. Deuxième élu républicain à se rendre en RDC, après son collègue texan Lance Gooden venu en février, il doit cet exploit à son intervention assez équivoque lors d’un ‘‘hearing’’ de la commission des Affaires étrangères du Congrès américain sur le pays de Patrice Lumumba. L’homme a quasiment récité intégralement le narratif de Paul Kagame sur la guerre qui sévit à l’Est de la RDC. A Kinshasa, ses propos ont choqué, y compris parmi les représentants officiels du gouvernement américain qui se sont fendus d’un communiqué pour lui dénier la qualité d’envoyé spécial de Donald Trump.
L’intérêt de l’administration Trump pour les minerais critiques de la RDC paraît chaque jour de plus en plus évident, et l’accord minerais contre stabilisation et sécurisation du pays, proposé par Kinshasa aux Etats-Unis est désormais de l’ordre du possible. Même s’il demeure encore quelques obstacles à franchir, selon les observateurs.
Ces dernières semaines, des officiels américains se sont succédés à Kinshasa, où est du reste attendu dans les prochains jours, le réel envoyé spécial de Donald Trump pour l’Afrique centrale, l’homme d’affaires libano-américain, Massad Boulos.
Après le sénateur texan Lance Gooden, qui a séjourné à Kinshasa en février dernier, Ronny Jackson avait visité la capitale de la République Démocratique du Congo, le 16 mars 2025. Présenté à tort par la presse présidentielle comme l’envoyé spécial du président Donald Trump, l’élu américain a été reçu par le président Félix-Antoine Tshisekedi à la Cité de l’Union africaine le même jour. Les deux personnalités se sont entretenus de la grave crise sécuritaire et humanitaire qui prévaut à l’Est de la RD Congo, marquée par l’agression militaire perpétrée des troupes gouvernementales rwandaises appuyées par des renégats congolais regroupés au sein du M23.
Interrogé par les médias congolais au terme de ses entretiens avec le chef de l’État, le parlementaire américain avait déclaré qu’à son avis, il fallait que «la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République Démocratique du Congo soient respectées de tous. Nous allons travailler pour que tous les obstacles qui s’érigent sur le chemin de la paix soient ôtés afin que la paix revienne dans ce pays».
Espoirs secrets congolais
Tout semblait donc rencontrer les espoirs des Congolais victimes depuis trente ans de l’aventurisme militariste et prédateur du régime rwandais du président Paul Kagame, d’autant plus que le sénateur Ronny Jackson avait annoncé qu’il allait, avec d’autres, «travailler pour que les entreprises américaines puissent venir investir et travailler en RD Congo. Et pour cela, nous devons nous assurer qu’il y a un environnement de paix».
Ronny Jackson avait également rencontré des leaders religieux à Kinshasa, entre autres.
Après Kinshasa, le parlementaire américain, par ailleurs ancien médecin de Donald Trump lors de son premier mandat à la Maison Blanche, s’était rendu à Kigali où il a séjourné durant 48 heures. Il y avait rencontré le président Paul Kagame avec qui il a discuté de la «coopération en cours et de la paix dans la région».
Avant de rencontrer deux figures de l’appareil sécuritaire rwandais : Juvénal Marizamunda, le ministre de la défense, et Aimable Havugiyaremye, secrétaire général des services de renseignements.
Rentré aux Etats-Unis, Ronny Jackson a été convié à une audition de la commission des Affaires étrangères du Congrès américain, consacré aux «Métaux, minéraux et mines : comment le Parti Communiste Chinois alimente les conflits et l’exploitation en Afrique». A cette séance convoquée le 25 mars 2025 pour examiner les voies et moyens de briser l’emprise de la Chine sur les ressources africaines étaient également conviés des intervenants comme Sasha Lezhney, de l’association américaine d’investigation The Sentry, Thierry Ndongala, de Accountable Africa, ou encore Obert Bore, de l’association zimbabwéenne des droits de l’environnement.
Réquisitoire partisan
Contre toute attente, Ronny Jackson a présenté au cours de cette séance un constat à la fois sévère et partisan sur la situation sécuritaire qui sévit à l’Est de la République Démocratique du Congo. «L’Est du Congo est une région totalement non gouvernée. C’est le Far-West, Kinshasa ne contrôle rien», a-t-il martelé en révélant que les pays voisins, Rwanda, Ouganda et Burundi exploitent à leur guise les minerais de la RDC. L’élu américain a également dénoncé la corruption, présentée comme endémique dans ce pays : «J’ai parlé à une entreprise suisse ce matin. Ils m’ont dit que leur entreprise valait 18 milliards USD et qu’ils avaient reçu une facture d’impôts de 80 milliards USD cette année, ce qui est ridicule. Ils ont protesté et obtenu une réduction de la facture d’impôts à un milliard, ce qui représente toujours 100 fois leurs bénéfices annuels. Ils sont imposés à un taux déraisonnable. Les pots-de-vin sont un problème majeur : les Chinois peuvent se les permettre, les États-Unis ne le peuvent pas, et beaucoup d’autres pays ne peuvent pas en payer autant. Le système judiciaire est partial ; en cas de conflit ou de désaccord, on ne peut pas être sûr qu’un jugement équitable sera rendu. Partout, des preuves montrent que des membres du gouvernement et leurs familles s’enrichissent à outrance grâce à la situation, tandis que la population meurt de faim et vit dans un environnement déplorable», a-t-il bûcheronné avant de répéter le leitmotiv belliciste et fallacieux de Paul Kagame selon lequel certaines régions congolaises auraient appartenu au Rwanda avant la Conférence de Berlin sur le bassin du Congo de 1885, à une époque où le Rwanda n’existait même pas comme entité étatique !

A Kinshasa, les propos du sénateur américain répliquant presque mot à mot le narratif des extrémistes au pouvoir à Kigali pour justifier leurs incessantes invasions du territoire congolais ont beaucoup choqué. Même si, comme de coutume dans le microcosme politique congolais, une certaine opposition n’en a retiré que les critiques contre l’administration Félix Tshisekedi. Au milieu la journée de mercredi 26 mars 2025, l’ambassade des Etats-Unis en RDC s’est vue contrainte de publier une mise au point. Selon un communiqué largement diffusé dans les médias, elle faisait savoir que Ronny Jackson n’a jamais été l’envoyé spécial de Donald Trump et que ses opinions n’engagent en rien le Département d’Etat et le gouvernement des Etats-Unis.
Officier de marine indélicat
Le sénateur texan est aussi revenu sur le potentiel de la région en ressources minières, assurant que «la RDC pourrait être un des pays les plus riches du monde» avant d’ajouter qu’«il faudrait qu’il se passe quelque chose, mais je ne sais pas quoi». Mais le parti pris flagrant qu’il a affiché en faveur du Rwanda semble avoir tout compromis en soumettant sa crédibilité à rude épreuve. A Kinshasa, plusieurs chroniqueurs se sont penchés sur son curriculum vitae. On a ainsi appris que l’ancien marine devenu sénateur des Etats-Unis avait été rétrogradé en 2022 du grade de Contre-Amiral une étoile à celui de capitaine. Mais aussi que, ancien médecin en chef de la Maison Blanche sous les présidences de Barack Obama et de Donald Trump il buvait au travail, criait régulièrement sur ses subordonnés et se comportait de manière «inappropriée», selon l’organisme de surveillance du ministère américain de la Défense.
Quoiqu’il en soit, un fait semble évident, selon des médias américains : l’intérêt de l’administration Trump pour un accord de sécurité contre des minéraux avec la RD Congo est évoqué sans ambages au Capitole la semaine qui s’achève. Elle s’inscrit dans une nouvelle approche de la participation américaine au secteur minier africain par le nouveau président américain dont la politique étrangère s’avère essentiellement transactionnelle. La facilitation de la résolution du conflit entre la RD Congo et son agresseur, le Rwanda, pourrait s’inscrire dans ce vaste contexte, selon des observateurs.
J.N.