Face à la levée de boucliers contre ses incursions prédatrices en République Démocratique du Congo, le régime de Paul Kagame se livre à moult contorsions pour sauver la face. Alors que se multiplient les condamnations de sa dernière agression militaire contre son immense voisin, assorties de sanctions économiques asphyxiantes, Kigali tente de s’en sortir grâce à des prestations médiatiques qui interrogent plus qu’elles ne rassurent.
La dernière de ces gesticulations destinées à la consommation de l’opinion internationale a eu lieu le 19 mars 2025, un jour après la publication des sanctions européennes visant 9 personnalités rwandaises et congolaises ainsi qu’une entreprise ayant pignon sur rue à Kigali. Une visite guidée fort opportune a été organisée en faveur de quelques journalistes étrangers triés sur le volet et conviés à «découvrir» un secteur minier du pays des Mille collines comme sorti d’un chapeau de prestidigitateur.
En fait de secteur minier, c’est la mine de Doumac, à l’Est du Rwanda, qui a été visitée par le groupe. Des minerais de coltan et de la cassitérite contenant du Tantale (Ta) et de l’Etain (Sn), deux des minerais dits stratégiques avec le Tungstène (ou wolfram, W) appelés 3 T y seraient extraits. Sur les lieux, un employé empressé a désigné d’un index hésitant une montagne blanchâtre en déclarant qu’il s’agissait d’un gisement de coltan et de cassitérite dont la tonne était vendue entre 3.500 et 5.500 USD dans les comptoirs rwandais.
Des explications fournies aux visiteurs, il ressortait qu’un agent du gouvernement rwandais était là, «chargé de contrôler l’origine des minerais grâce à l’étiquette ITSKI, mécanisme de traçabilité des minerais en vigueur au Rwanda, sur lequel peut s’appuyer l’industrie minière mondiale pour s’assurer que les minerais ne proviennent pas des zones de conflit armée, en République Démocratique du Congo voisine».
Démentir les pillages
L’opération médiatique orchestrée par le Rwanda, le 19 mars, visait en fait à démentir les accusations documentées d’exploitation illégale, des pillages et d’exportation des minerais congolais portées à charge du pays de Kagame par la quasi-totalité des organisations internationales. Particulièrement, le dernier rapport d’experts des Nations-Unies sur le conflit armé qui sévit à l’Est de la RDC. «Ce que dit le rapport ne reflète pas tout à fait la réalité. Au Rwanda, on a bien assez de minéraux à extraire et à estampiller sans avoir besoin d’aller les chercher ailleurs de manière illégale», explique sans en paraître lui-même très convaincu un officiel rwandais.

La mine de Doumac, présentée en la circonstance comme le fleuron de l’industrie minière rwandaise, produit 12 à 15 tonnes de coltan/mois. C’est l’équivalent de 7 à 9 % des exportations de ce minerai selon les statistiques établies pour l’année 2023. Il faut bien expliquer le décalage de plus de 90 % d’exportations attestées par les services miniers du pays de Kagame eux-mêmes. Mais, l’officiel chargé de chaperonner les journalistes ne se laisse pas démonter pour autant et récite, comme mécaniquement que «les minerais qui quittent le Rwanda ont des tags qui attestent de leur traçabilité. C’est la preuve qu’ils viennent des zones non conflictuelles. Maintenant, dire que les minerais passent par le Rwanda et par un corridor aujourd’hui, nous, personnellement, nous ne pouvons pas l’attester. C’est pour cela que je disais que nous le réfutons», déclare-t-il, pince sans rire.
Traçabilité douteuse
En principe, la traçabilité des minerais exportés par le Rwanda ainsi vantée s’applique au suivi des étapes parcourues par le minerai, du puits de mine jusqu’à l’end user (utilisateur final). Tandis que la certification désigne l’action de certifier l’origine, la qualité, le respect des diverses normes du produit. Dans la pratique, au Rwanda, le minerai est équipé d’un tag muni d’un code-barres, du puits de mine à la frontière, et accompagné d’un document (certificat) en trois exemplaires, destinés à l’ITRI et aux ministères rwandais des Mines et des Finances. Le Rwanda achète les étiquettes à l’ITRI et a engagé environ 70 inspecteurs chargés du suivi des différentes étapes de la procédure.

Mais un récent rapport du groupe d’experts des Nations-Unies sur la RD Congo a formellement confirmé un fait que d’aucuns soupçonnaient de longue date : le Rwanda et ITRI certifiaient des minerais importés illégalement de la RDC. Après que l’ONG Global Witness eût révélé, dans son rapport publié en 2022, que le mécanisme de certification mis en œuvre au Rwanda (ITSCI) «facilitait le blanchiment de minerais de contrebande en provenance des mines contrôlés par des groupes armés en République Démocratique du Congo». Et, surtout, que «90 % de l’ensemble des minerais de coltan, d’étain et de tungstène exportés par Kigali étaient introduits illégalement à partir de la République Démocratique du Congo».
Ces dernières années, le Rwanda s’est lancée dans une vaste opération de transformation des minerais en multipliant la création d’industries locales. Outre la mine de Doumac, visitée le 19 mars 2025 par un groupe de journalistes, on peut signaler notamment, LuNA Smelter, une usine de transformation de la cassitérite en étain. Dans ses immenses hangars de Kigali, l’usine capable de produite jusqu’à 360 tonnes d’étain par mois ne fonctionnait qu’à 30 % de sa capacité installée en novembre 2024. Interrogé par nos confrères de Contrepoint, un préposé avouait faire face à de sérieux problèmes d’approvisionnements. «Nous négocions déjà avec des pays voisins pour sécuriser davantage des matières premières, notamment la cassitérite», avait-il déclaré in tempore non suspecto.
Problèmes d’approvisionnements
Même Gasabo Gold Refinery, l’entreprise minière frappée par les sanctions de l’Union européenne du 18 mars 2025, qui se glorifie de raffiner de l’or à 99,99 % de pureté, butait sur les mêmes difficultés. «Nous produisons de l’or raffiné de haute qualité, mais le volume que nous traitons reste inférieur à nos capacités», confiait un ingénieur de la raffinerie. Situation identique à Bugesera, où une nouvelle raffinerie de coltan, conçue pour séparer le tantale du niobium, est en construction. Une fois opérationnelle, elle devrait permettre au Rwanda de capter une valeur ajoutée supplémentaire en transformant ces minerais sur place avant de les exporter. Mais ce projet, comme d’autres, se heurte à des obstacles de taille, notamment des défis liés à l’approvisionnement en matières premières.

Pourtant, les exportations minières ont rapporté 1,1 milliards USD en 2023, soit une progression de 43 % par rapport à l’année précédente, faisant du secteur minier de ce pays notoirement dépourvu de ressources minières significatives le plus grand contributeur aux 3,5 milliards USD générés par l’ensemble des exportations.
Expédition prédatrice
Depuis 2021, l’armée rwandaise s’est lancée à nouveau dans une expédition prédatrice sur le territoire de son riche voisin congolais, y occupant de vastes pans de terres riches en minerais critiques, entre autres. En juillet 2024, un rapport d’experts onusiens faisait état de la présence de «3.000 à 4.000 militaires des forces gouvernementales rwandaises combattant aux côtés des rebelles du M23 contre l’armée congolaise, les officiers des Rwanda Defense Forces ayant de facto pris le contrôle et la direction des opérations de la rébellion». D’autres sources dans la région estiment que le nombre des militaires rwandais en opérations en RDC avoisinent les 10.000 actuellement.
En mai 2024, les troupes rwandaises et leurs supplétifs du M23 avaient pris possession des mines de Rubaya, à 60 kilomètres de la ville de Goma. Elles leur procurent quelque 800.000 USD/mois, selon le rapport susmentionné des experts onusiens. Dans la foulée des conquêtes militaires dont le tracé épouse à la perfection la cartographie minière des régions conquises, les rwandais et les renégats congolais qui se sont associés à eux ont consolidé leur emprise sur les zones aurifères de Musigha (Lubero), la mine de pyrochlore de Lueshe (Rutshuru) et, il y a quelques jours, la mine d’Etain et les énormes gisements de coltan et de cassitérite de Walikale, ainsi que la mine riche en tourmaline, coltan, or et cassitérite de Lumbishi (Kalehe).
Cette cartographie permet à elle seule d’éclairer sur les fondements réels de la guerre que le président Paul Kagame et son armée mènent au Congo. Cela n’empêche pas le dictateur rwandais de multiplier des justifications, les unes aussi saugrenues que les autres, pour légitimer la présence de son armée sur le territoire de son voisin congolais. Il en est ainsi de l’opération médiatique mise en œuvre pour présenter au monde les ressources minières propres à son pays, qui apparaît comme une tentative pathétique de se disculper des accusations de pillages des minerais congolais.
Car la question que l’on est en droit de se poser est la suivante : si le Rwanda dispose des minerais dont il a besoin pour son économie et s’il ne s’agit pas de piller les ressources minières, qu’est-ce que les troupes rwandaises font à Rubaya, Musigha, Lueshe, Lumbishi et Walikale en République Démocratique du Congo ?
Jacques Ntshula
(Rédacteur éditorial du périodique Le Maximum)