En RDC, l’histoire semble se répéter. Lamentablement. Goma tombé aux mains de l’armée rwandaise le 28 janvier 2024, les temps semblent voués aux négociations, aux voies de sorties de crise. Les confessions religieuses dites traditionnelles, longtemps à l’étroit dans leurs soutanes, se proposent pour régler la question. Et brandissent un projet de pacte social qui n’attendait qu’un déclic, comme celui survenu à Goma où quelque 2.000 à 3.000 âmes ont péri dans l’offensive rwandaise pour prendre la ville volcanique. Rien de nouveau sous les tropiques : aux affrontements meurtriers se succèdent des pourparlers de paix, de manière cyclique, en RDC. Ça dure depuis 30 ans.
C’est parti depuis le 3 février 2025 avec la réception par le président Félix Tshisekedi, d’une impressionnante délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC). La délégation conjointe était conduite par le Cardinal Fridolin Ambongo, accompagné des Mgrs Fulgence Muteba et Donatien Nshole, respectivement président et secrétaire général de la conférence des évêques catholiques. Ainsi de Mgr André Bokundoa et du révérend Eric Senga de l’ECC. Avec le président de la République, les calottes sacrées et le chef de l’Etat ont échangé durant une heure autour de «la nécessité de renforcer la cohésion nationale … un besoin devenu plus pressant», selon Mgr Donatien Nshole, porte-parole des évêques catholiques. «Les deux Églises ont pris l’initiative de concevoir ce projet de sortie de crise que nous avons présenté ce jour au Chef de l’État. Il l’a reçu avec beaucoup d’attention ; il l’a beaucoup apprécié et nous a encouragé. C’est un projet louable», a-t-il déclaré à la presse, faisant allusion aux propositions présentées au chef de l’Etat. Parce qu’il «permet de sortir de la crise sans effusion de sang».
A la demande du président de la République ?
24 heures auparavant, Mgr Nshole avait annoncé, dans les réseaux sociaux, le début des consultations en vue d’un dialogue pour la cohésion et la réconciliation nationales. A la demande du président de la République, selon le prélat. Même si, de demande formelle de Félix Tshisekedi, peu de gens ont entendu parler. Le porte-parole de la CENCO avance que c’est en appelant l’église catholique à se placer au milieu du village et à apporter sa pierre à l’édifice de la pacification, en décembre dernier à Isiro à l’occasion de la célébration des 60 ans du martyr de la Bienheureuse Sœur Anuarite Nengapeta, le président de la République sollicitait les bons offices des prélats catholiques. «C’est une réponse à son appel», a déclaré Donatien Nshole au cours d’un Space sur X, le 2 février 2025. «Nous allons commencer par le rencontrer pour lui expliquer la quintessence de notre démarche, ensuite on rencontrera les autres », avait-il encore annoncé. Laissant la parole au révérend Eric Senga, secrétaire général de l’ECC, le soin de préciser qu’«à cette étape des événements, les deux églises ont estimé qu’il est important d’amener des propositions concrètes susceptibles de créer un consensus national». Des propositions soucieuses de se garder d’indiquer «qui est le démon et qui est l’ange», selon le pasteur protestant, qui levait ainsi un voile sur la formule de sortie de crise du tandem catholique – protestant.
Point de miracle, en réalité. Tout au moins pas pour l’instant. Même pas la prétendue primeur réservée au président de la République au sujet de la formule magique des calotins pour arrêter les affrontements cycliques et l’insécurité qui se sont installés en RDC depuis près de trois décennies maintenant. Le 15 janvier 2025 à Kinshasa, les deux confessions religieuses avaient déjà formellement lancé un appel à considérer l’année 2025 comme «année de la paix et du bien-vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs». Une initiative qui vise l’instauration d’un véritable pacte social qui, selon ces calottes sacrées, «permettra à l’Afrique de s’affranchir des conflits politiques et armés pour s’inscrire dans la logique de la fraternité mondiale des peuples, des communautés et des Nations, promouvant ainsi le modèle de l’Etat de droit démocratique stable et solide dans nos différents pays».
Aucune primeur pour le président de la République
Le projet est assorti d’une «feuille de route du ‘pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble en RD Congo et dans les Grands Lacs », invite à une adhésion massive et enthousiaste à l’appel «prophétique et pastoral» des deux églises traditionnelles congolaises. Les adhérents à ce projet sont conviés à «interagir et à échanger» sur base de 5 postulats : revenir à nos valeurs sociologiques et spirituelles de Bumuntu pour construire la paix durable et le bien-vivre-ensemble en RDC et dans la région des Grands Lacs ; Privilégier les consensus par la palabre pour trouver des solutions idoines aux causes profondes à la base des conflits politiques et armés qui endeuillent interminablement la RD Congo et ensanglante cycliquement la sous-région des Grands Lacs ; nous unir dans le respect de nos diversités pour bâtir une Afrique forte, unie et prospère face aux défis de la mondialisation ; influencer les dirigeants politiques de l’Afrique en général et de la région des Grands Lacs en particulier à adhérer à cette initiative socio-spirituelle pour faire cesser les bruits des armes dans notre continent et à construire des partenariats bilatéraux et multilatéraux pour notre développement intégral et durable (business for peace), mettant fin à l’exploitation illicite des ressources naturelles en RDC et aux conflits armés dans la région des Grands Lacs ; interpeller la Communauté internationale à accompagner en toute responsabilité et sincérité les peuples africains à construire et léguer un continent où règnent la justice, la paix et les meilleurs conditions de vie et environnementales aux générations futures.
Les initiateurs de l’appel à considérer l’année 2025 comme une année de la paix et du bien-vivre-ensemble en RDC et dans les Grands Lacs prévoient la tenue d’une «Conférence Internationale pour la Paix, le Co-Développement et le Bien-Vivre-ensemble dans les Grands Lacs», qu’ils estiment «nécessaire pour mettre fin aux conflits transfrontaliers».
Mais, en attendant ces échéances angéliques, les princes des églises catholique et protestante gardent les pieds sur terre et les mettent à l’étrier en battant littéralement le pavé. Dès mardi 4 février 2025, le plan de sortie de crise des prélats intitulé «Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble» a formellement été remis au président de l’Assemblée nationale par les soins de la CENCO. «Dans le cadre d’un dialogue inclusif impliquant les institutions nationales clés», explique-t-on côté prélats.
Les pieds à l’étrier et sur terre
Le même jour et sur le même sujet, Mgr Nshole et le pasteur Eric Senga ont eu une rencontre avec Martin Fayulu dont il s’est dégagé «un consensus clair sur l’intérêt qu’il y a à construire la cohésion nationale», selon les dires d’Eric Senga.
Mercredi 5 février, les deux délégués cléricaux ont été reçus par Delly Sessanga qui leur a assuré de «sa volonté de soutenir toute initiative visant à renforcer la cohésion nationale et à trouver des solutions durables aux défis qui fragilisent le pays, notamment la crise sécuritaire à l’Est et la nécessité de garantir un processus électoral transparent et crédible». A la presse, Mgr Nshole et le pasteur Senga ont néanmoins déclaré que «à la différence des dialogues passés qui étaient orientés par les agendas des politiques, cette fois-ci c’est le consensus national sur la gouvernance du pays dans ses différents aspects qui est espéré».
Mais, le plus dur pour les initiateurs du pacte social congolais, reste sans doute à venir avec les échanges attendus avec les camps Katumbi Chapwe et Kabila, l’AFC/M23 de Corneille Nangaa et Bertrand Bisimwa soutenus par Kigali, de nombreux autres groupes armés de l’Est du pays, ainsi que des acteurs de la société civile.
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Pour l’instant, les katumbistes affichent une tendance à placer la barre des négociations très haut, en conditionnant le dialogue à venir par l’exclusion de Félix Tshisekedi, le président de la République élu en décembre 2023, dont le mandat court encore. A l’instar de Frank Diongo qui propose une transition sans Félix Tshisekedi et «un vote d’amnistie générale par le parlement pour blanchir les casiers judiciaires des condamnés, mettre fin aux poursuites judiciaires pour ceux qui ne sont pas encore condamnés, et permettre le retour des réfugiés. Cela concerne les membres de l’opposition armée et non armée, ainsi que les détenus d’opinion».
La cohésion et le consensus national visés par les églises traditionnelles congolaises devrait être soumise à plus rude épreuve encore face aux conditionnalités de l’AFC/M23 et du Rwanda voisin qui occupent une grande partie du Nord-Kivu et, notamment, la ville symbolique de Goma sans lever le pied de l’accélérateur dans leur progression vers Bukavu, le chef-lieu de la province voisine du Sud- Kivu.
Là où les Romains s’empoignèrent
C’est sur cette récurrente et épineuse préoccupation que les divergences les plus sérieuses sont attendues. La position du président Tshisekedi et de son gouvernement, ainsi celle de la majorité de l’opinion congolaise sur le groupe rebelle terroriste soutenu par Kigali est connue : aucune négociation possible avec des faire-valoir de Paul Kagame n’est envisageable.
Les élus réunis au parlement congolais semblent partager la même préoccupation. Dans un communiqué en réaction aux propositions des églises catholique et protestante, le 4 février 2025, le bureau de la chambre basse du parlement a fait valoir entre les lignes que «les discussions qui suivront cette présentation devraient permettre de préciser les modalités de mise en œuvre du plan, ainsi que les mesures concrètes à prendre pour répondre aux aspirations légitimes du peuple congolais, notamment en matière de sécurité, de développement et de réconciliation nationale». S’adressant à la plénière de l’Assemblée nationale, le même jour, Vital Kamerhe soutenait encore que «nous sommes convaincus que le président de la République prendra d’autres mesures propices à la décrispation politique, à la cohésion et à la mobilisation générale. L’enjeu du récent développement de la situation économique et sécuritaire dans l’Est renseigne clairement qu’un pas de plus a été franchi sur l’agenda de la balkanisation de la RDC. Aucun Congolais ne le permettra».
Or, le pacte social calotin semble pécher par sa faible prise en compte des aspirations des Congolais (à la liberté, la démocratie, l’indépendance économique, l’intégrité et la souveraineté nationale, la libre disposition des richesses naturelles du pays, etc), totalement oubliées, parce qu’elles ne sont mentionnées nulle part.
Un Congo sans frontières pour des églises sans frontières
Les 5 postulats soumis aux débats thématiques semblent évasifs à souhait: revenir aux valeurs sociologiques et spirituelles de Bumuntu pour construire la paix durable et le bien-vivre-ensemble en RDC et dans la région des Grands Lacs ; ou encore, privilégier les consensus par la palabre pour trouver des solutions idoines aux causes profondes à la base des conflits politiques et armés occulte la question des tracés frontaliers bousculés allègrement par les agressions à répétition de l’armée de Paul Kagame. Tout autant que s’unir dans le respect de nos diversités pour bâtir une Afrique forte et non pas un Congo fort, uni et prospère face aux défis de la mondialisation. De même qu’on pourrait reprocher aux prélats catholiques et protestants de ne pas commencer par faire cesser les bruits des canons dans leur propre pays avant de s’en aller «influencer les dirigeants politiques de l’Afrique en général et de la région des Grands Lacs en particulier à adhérer à cette initiative socio-spirituelle».
Sur les frontières nationales malmenées depuis 30 ans par le voisin rwandais, par exemple, aucune allusion expresse dans le pacte social extra-terrestre des catholiques et des protestants, alors que la survie de la RDC comme Etat et comme Nation en dépend crucialement.
Tout se passe comme si les églises dites traditionnelles, emmenées en RDC et sur le continent dans les valises du colonisateur pour faciliter la domination des colons sur les colonisés, poursuivent leurs missions d’antan en demeurant apatrides.
J.N. AVEC LE MAXIMUM