Par Lambert Mende Omalanga*
La nouvelle volte-face du gouvernement rwandais dont la réticence à s’engager sur la voie de la paix dans la région des Grands Lacs est avérée enfonce les provinces congolaises de l’Est, écumées et mises sens dessus-sens dessous dans les tourments humainement inacceptables qui sont leur lot quotidien depuis près de trois décennies. Dimanche 15 décembre 2024, le président Paul Kagame a délibérément sabordé une année de laborieuses négociations entreprises sous la médiation de son homologue angolais, Joao Lourenço, chargé par l’Union africaine de désamorcer les tensions entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo dans le cadre de la Feuille de route de Luanda de 2022.
Il lui a suffi pour cela de décliner, après l’avoir accepté, l’invitation à participer à la réunion tripartite RDC–Rwanda–Angola, consacrée à l’adoption du projet d’accord préalablement négocié par les ministres des Affaires étrangères des trois pays en prélude à la mise en œuvre des opérations convenues entre les parties pour mettre fin au conflit qui déstabilise toute la partie orientale de la RDC.
Un communiqué du ministère rwandais des Affaires étrangères publié le jour même de cette rencontre renseigne que «lors de la réunion ministérielle qui s’est tenue à Luanda le 14 décembre 2024, le Rwanda et la République Démocratique du Congo ne sont pas parvenus à un consensus sur un engagement en faveur de pourparlers directs avec le groupe rebelle congolais M23, en vue d’une solution politique du conflit qui sévit dans l’Est de la RDC». Mais aussi, qu’«un report du sommet laisse du temps pour le dialogue proposé par le président de l’Angola, Joao Lourenço (le facilitateur), avec l’ancien président Uhuru Kenyatta, entre le M23 et la RDC».
De fait, c’est le 14 décembre 2024 que le Rwanda avait surpris aussi bien le ministre angolais des Relations extérieures, Tete Antonio, représentant le médiateur, que la cheffe de la diplomatie congolaise, Thérèse Kayikwamba Wagner, en brandissant une exigence supplémentaire, à contre-pied des accords convenus jusque-là : la tenue d’un dialogue direct entre le gouvernement congolais et le groupe armé terroriste M23. Avant cet épisode, la délégation rwandaise à Luanda avait manifesté sa mauvaise foi en arrivant à la réunion avec 6 heures de retard, ce qui avait perturbé l’agenda prévoyant notamment une importante audience entre le président angolais, Joao Lourenço et les délégations en présence.
Avec ce nouveau coup de Jarnac du 15 décembre contre le processus de Luanda qui suivait sa dernière agression militaire de la RDC à partir du mois d’octobre 2023, le président Kagame a asséné l’estocade aux laborieux efforts de désescalade que l’on doit à l’entregent de l’Union Africaine et du Conseil de sécurité des Nations-Unies dans la région des Grands lacs.
Comme on pouvait s’y attendre, à l’instar de tous les États civilisés du monde, la RDC, suffisamment échaudée par une multitude de désagréments provoqués par la banalisation de la criminalité transfrontalière à laquelle elle se trouve confrontée depuis 1996, a réservé une fin de non-recevoir à toute perspective de négociation directe avec le M23, nouvelle entité proxy des bellicistes du Rwanda.
Les négociations avec les différents groupes armés qui pullulent ci et là en RDC, sont prévues dans le cadre du processus de paix de Nairobi, conduit sous la médiation de l’ancien président kényan, M. Uhuru Kenyatta. Il n’aurait dès lors pas été de bonne politique pour le président congolais Félix-Antoine Tshisekedi et son gouvernement d’accorder une prime au terrorisme à un groupe en particulier.
Le processus de paix de Luanda, réactivé début 2024, était exclusivement consacré au différend opposant la RDC et le Rwanda qui a transgressé les conventions internationales en faisant intervenir un corps expéditionnaire d’au moins 4.000 hommes à l’intérieur du territoire congolais, selon des chiffres attestés par l’Organisation des Nations-Unies.
La pirouette kagaméenne du 15 décembre 2024 survient après que des progrès notables eurent été enregistrés dans le cadre du processus de Luanda. Il s’agit particulièrement de l’adoption, au terme de la réunion ministérielle tenue un mois plus tôt, d’un concept opérationnel engageant expressis verbis, d’une part, le Rwanda à retirer ses troupes du territoire de la RDC et, d’autre part, la RDC à neutraliser les résidus des génocidaires rwandais FDLR se trouvant encore sur son territoire. Ces progrès n’ont, de toute évidence, pas rencontré l’assentiment du président Paul Kagame qui fait feu de tout bois pour les torpiller en se raidissant dans l’hégémonisme prédateur qui semble être devenu pour lui une véritable zone de confort. En signant le projet d’accord prévu à la tripartite du 15 décembre 2024, il se serait engagé de manière contraignante à en respecter les clauses, donc à renoncer aux rapines qui constituent l’essentiel des «performances» tant vantées de son régime.
Peu d’observateurs avertis s’attendaient à une autre posture de la part du chef d’État rwandais dont l’avènement et la longévité au pouvoir sont tributaires de brutalités et de sévices indicibles qui rappellent à maints égards le tristement célèbre leader de l’Allemagne nazie Adolf Hitler dont il semble s’inspirer. Il en est ainsi de sa propension à s’ériger en gendarme de la région des Grands Lacs chargé, on ne sait par qui, de la défense des intérêts des communautés tutsi du Congo et du Burundi comme Hitler vis-à-vis des communautés allemandes d’Autriche et des Sudètes tchécoslovaques.
M. Kagame ne fait plus mystère de sa prétention à imposer à la RDC, un État souverain membre des Nations-Unies, un dialogue avec les renégats du M23, une pâle décalcomanie des phalanges d’un certain Arthur Seyss-Inquart qui soutinrent l’anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938) permettant au dictateur d’unifier les populations allemande et autrichienne.
Comme Hitler, le président Kagame s’octroie péremptoirement le droit de conquérir des territoires au détriment de la RDC afin de s’approprier de nouveaux espaces pour son pays asphyxié par une trop forte densité de population sur pied de la théorie du lebensraum (espace vital) un concept géopolitique que l’on doit au géographe Friedrich Ratzel qui inspira le Führer Allemand. Cela explique son obsession à envahir militairement des pans entiers du Kivu et à y transplanter certains de ses compatriotes. A l’égard de l’Autriche, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie puis de l’URSS en envahissant la Pologne et en investissant le territoire russe en juin 1941, Hitler ne s’y était pas pris autrement.
Seulement, même sous les tropiques africaines caractérisées par une permissivité élastique, on est bien en 2024, et un tel fascisme ne peut plus prospérer. Félix Tshisekedi a donc raison de tenir la dragée haute au despote rwandais. Mieux vaut une nouvelle guerre de 100 ans que la capitulation face à ces caprices irrationnels du président Kagame.-
*Député national,
Ancien ministre de la Communication de la RDC