Toutes les récriminations de la RDC contre l’appui financier – réitéré- de l’UE à l’armée rwandaise n’y ont rien fait. Le 18 novembre 2024, le soutien au déploiement du Rwanda au Mozambique via la Facilité européenne pour paix (FEP) s’est concrétisé à travers un nouveau don de 20 millions d’Euros. Nonobstant les preuves accablantes du rôle de Kigali dans l’agression en cours contre la RDC ainsi que les preuves de violation de la Charte des Nations-Unies dûment établies par le Groupe d’experts de l’ONU.
Thérèse Kayikwamba Wagner, la cheffe de la diplomatie de la RDC, a échangé, le même jour, avec l’Envoyé spécial belge, Philippe Brochain, qui a clarifié l’abstention de son pays lors du vote de l’attribution de ce nouvel appui financier au Rwanda promettant un approfondissement de la question à Kinshasa à une date qui n’a pas été précisée. Les mêmes échanges devraient se tenir avec l’UE et ses Etats membres, selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères de la RDC. Même si, au pays de Lumumba, la conviction que le complot ourdi contre le pays plonge ses racines dans une Europe perçue comme complice des malheurs sous lesquels croulent les populations de l’Est du pays depuis près de 30 ans aujourd’hui.
Un jour après la décision de l’UE en faveur de l’armée rwandaise, des confidences d’un ancien ministre congolais ont rapporté des paroles soufflées à l’oreille du président honoraire, Joseph Kabila, le 23 février 2013 à Addis-Abeba : «La RDC devrait préserver les intérêts économiques du Rwanda», lui avait indique l’alors Envoyé spécial de l’UE pour la région des Grands Lacs, Koen Vervake. Selon cette source congolaise rapportée par notre confrère Westhi Amba, l’UE sait depuis la nuit des temps que Kagame pille les ressources minérales de la RDC. «Le silence complice de l’UE était le prix à payer pour que Kagame foute la paix à Kabila». La même source ajoute que la nouvelle agression rwandaise à l’Est de la RDC s’explique par «le refus du président Tshisekedi Tshilombo d’assurer la continuité de ce que Kagame considère comme un droit acquis».
Intérêts économiques du Rwanda ou la guerre
En RDC, les déclarations des plénipotentiaires de l’UE ne sont nullement de nature à rassurer. Loin s’en faut. Au cours d’une émission sur la radio onusienne Okapi, le 19 novembre, l’ambassadeur européen Nicolas Berlanga Martinez a plaidé au nom de l’UE «en faveur des solutions politiques négociées. Il faut garder à l’esprit le principe que les solutions militaires n’aboutissent jamais à une réponse qui puisse s’insérer dans la durée». Moins de 48 heures après que l’UE eût versé des nouveaux subsides à une armée qui agresse la RDC, les propos du diplomate ont conforté le sentiment d’injustice et de complicité européenne dans l’agression rwandaise dans l’opinion congolaise. Mais pas seulement.
Le 18 novembre 2O24, Kristof Titecail, professeur à l’Institut de politique de développement de l’Université d’Anvers, a publié une analyse dénonçant « La (mauvaise) derrière les 20 millions d’euros supplémentaires de l’UE pour l’armée rwandaise» (Democraty in Africa- DIA), riche en révélations. On y apprend, non seulement que la France a poussé pour le déblocage de cette aide financière plutôt controversée au sein de l’UE, mais aussi que la Belgique s’est fendue d’un communiqué d’après vote annonçant qu’elle s’était abstenue de voter au sein du Conseil de l’UE. Le communiqué de presse signé du ministre belge des Affaires étrangères explique sa décision par la présence de l’armée rwandaise sur le territoire de la RDC et son soutien aux M23.
L’affaire des 20 nouveaux millions d’Euros à l’armée de Kagame a donc fait l’objet de débats majeurs au sein de l’Union tout au long de l’année qui tire à sa fin. La pression pour conclure ce dossier épineux est venue de la France, du Portugal et de l’Italie, les Français opérant en faveur de TotalEnergies qui a investi 20 milliards USD dans son projet de production et d’exportation de gaz naturel au Mozambique depuis 2021. Et dont les opérations sont au point mort en raison de l’insurrection au Cabo Delgado.
D’autres pressions sont venues de la Commission européenne, particulièrement, de l’Administration du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) à Bruxelles, qui tenait à faire avancer le dossier relatif à l’engagement des 20 millions d’Euros au cours de cette année administrative parce qu’autrement, ces fonds seraient perdus.
Belgique, Suède, Allemagne et Pays-Bas opposés au financement
Des Etats membres de l’UE, à l’instar de la Suède, de la Belgique, de l’Allemagne et des Pays-Bas se sont opposés au financement consenti en faveur de l’armée rwandaise, arguant de la possible «connexion entre les deux théâtres» des opérations militaires rwandaises, Cabo Delgado et l’Est de la RDC en soutien au M23. D’autant plus que le Groupe d’experts de l’ONU avait déjà signalé qu’il existe bel et bien un lien entre ces deux fronts. «Le rapport a documenté trois commandants de haut niveau impliqués à la tête des deux opérations – en RDC et au Mozambique (le général de division Nkubito, le général de brigade Pascal Muhizi et le général de division Alexis Kagame, l’actuel chef d’Etat-major de la force de réserve)».
Un accord avait finalement pu être trouvé au sein du groupe de travail Afrique du Conseil européen avec le groupe de contestataires emmené par la Belgique, qui posait trois conditions à un nouveau financement de l’armée rwandaise : premièrement, que les fonds consentis ne puissent être dépensés que pour des équipements et des transports non létaux ; deuxièmement, qu’un éventuel accord respecte le processus de paix de Luanda, qui implique un retrait des troupes rwandaises de l’Est de la RDC ; et, troisièmement, qu’il n’y ait pas de mouvements de troupes entre les deux théâtres – la RDC et le Mozambique.
Accord sous conditions
Le 1er novembre 2024, le Conseil des ministres de l’UE a décidé d’accorder le financement à l’armée rwandaise, en précisant qu’il est destiné à des équipements non létaux (équipements personnels et couverture des coûts liés au pont aérien stratégique). Alors que le communiqué du ministère belge des affaires étrangères, plus explicite, fait référence aux deux autres conditions, précisant que le soutien ne peut être «détournée à d’autres fins ou utilisé par d’autres domaines opérationnels», et que «le non-respect du droit international et des droits de l’homme peut entraîner la suspension ou la fin de ce soutien».
Mais les observateurs relèvent la faiblesse de ces conditionnalités, certaines étant quasiment impossibles à vérifier sur le terrain.
Il reste que pour en arriver à la mise à disposition de ces fonds, la diplomatie rwandaise a bénéficié de solides appuis dans les structures de l’UE où, note-t-on, son message est mieux perçu que celui de la diplomatie de la RDC. «Les sections influentes de la diplomatie européenne sont considérées comme ‘particulièrement réceptives à ce message’», écrit Kristof Titecail à ce sujet.
Deux noms de fonctionnaires européens basés à Bruxelles émergent parmi ces soutiens indéfectibles de Kigali dans les structures de l’UE : tous deux Belges et ayant travaillé au cabinet de l’ancien commissaire européen, Louis Michel, lui-même largement considéré comme pro-Kigali. Parmi ces deux noms, celui de Maud Arnould, qui travaille encore aujourd’hui au cabinet – sortant – du Haut Représentant de l’UE, Joseph Borrel, en qualité d’experte sur l’Afrique subsaharienne. Elle tirerait un important pouvoir d’actions du fait que Borell se désintéresse quasiment du continent. Maud Arnould est décrite par les médias et les services secrets comme une proche de Kigali qui pousse en faveur de l’agenda de Paul Kagame. «Un article de mars mentionne spécifiquement qu’Arnould a demandé la deuxième tranche de 20 millions d’euros au Rwanda dans le cadre de l’EPF. Le refus de la candidature belge au poste de représentant de l’UE pour les Grands Lacs, qui n’était pas souhaité par le Rwanda, a également été perçu comme le résultat de la dynamique susmentionnée», selon le scientifique anversois.
En somme, il apparaît que l’UE est plus indulgente avec le Rwanda que par le passé, notamment lors de la première guerre du M23. En 2012, l’Union, alors le plus grand donateur du Rwanda – et plusieurs de ses Etats membres (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni, Belgique) avaient drastiquement réduit leurs aides en réaction au soutien du Rwanda aux rebelles. Aujourd’hui, le même soutien, amplement documenté, n’a pas donné lieu à des mesures de rétorsion de l’UE et de ses Etats membres.
J.N. AVEC LE MAXIMUM