Entre Kinshasa et Kampala, c’est une nouvelle lune de miel, malgré tout. Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni se sont rencontrés à Entebbe, le 30 octobre 2024. Les deux chefs d’Etat ont relancé les projets des travaux routiers conclus il y a quelques années, que la dernière agression rwandaise contre la RDC avait annihilé. Et ce, malgré la énième participation de l’Ouganda à l’agression de la RDC par le Rwanda, attestée par les experts des Nations-Unies. Avec Museveni, Tshisekedi joue son va-tout, pour isoler le Raïs Ougandais de Paul Kagame et du Rwanda, par l’appât du gain économique.
Cette fois-ci, Kinshasa se montre déterminé à mettre tous les ingrédients pour gagner le pari de la coopération économique avec son voisin ougandais, en commençant par les travaux communs d’infrastructures entre les deux pays.
Pour ce faire, le parlement congolais a été mis à contribution, même si Vital Kamerhe, son président, compte parmi les acteurs politiques qui ont dénoncé en termes clairs l’implication de Kampala dans la nouvelle guerre de l’Est. Particulièrement, dans l’occupation de l’agglomération frontalière congolaise de Bunagana.
Une délégation forte de 11 députés nationaux congolais, conduite par Lambert Mende Omalanga, séjourne à cet effet dans la capitale ougandaise depuis mardi 12 novembre 2024. Elle a pour mission «d’échanger avec les autorités parlementaires ougandaises et le groupe d’amitié RDC-Ouganda sur le renforcement de la diplomatie parlementaire constructive pour la paix entre les deux Nations», explique un communiqué de la chambre basse du parlement congolais.
Termes de référence
Lundi 11 novembre au Palais du peuple de Kinshasa, les députés missionnaires se sont entretenus avec le président du parlement, Vital Kamehre, «pour recevoir les termes de référence de cette mission qui est une mission interparlementaire d’une coordination bilatérale entre le parlement de la RDC et le parlement de l’Ouganda», a rapporté Lambert Mende, chef de la délégation aux médias.
Les desseins de la RDC sautent aux yeux. Renforcer la coopération avec Kampala en y associant les élus ougandais, un peu pour ne pas dépendre uniquement du seul bon vouloir du président Museveni, dont les liens et la complicité avec Paul Kagame ne sont plus à démontrer.
«Nous voudrions comprendre comment améliorer cette collaboration qui s’est mise en route entre notre gouvernement et le gouvernement ougandais. Nous sommes un parlement responsable, représentatif des intérêts du peuple congolais. Et nous allons au contact de nos homologues ougandais qui représentent, pour leur part, les intérêts du peuple ougandais», avait encore expliqué l’honorable Mende.
Dans la foulée de la rencontre au sommet d’Entebbe entre Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni se sont également rencontrés, dans la même ville, les chefs d’Etats-majors des armées des deux pays, les généraux Christian Tshiwewe et Muhoozi Kainerugaba se sont entretenus le 30 octobre 2024.
Les échanges entre les deux officiers généraux ont tourné autour des opérations conjointes entre les FARDC et l’UPDF contre les terroristes ougandais des ADF dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Et de façon plus générale, des voies et moyens pour renforcer la coopération contre la menace commune de l’insécurité. Selon les observateurs, d’autres sujets sensibles ont dû retenir l’attention des deux galonnés, à l’instar du concours de l’armée ougandaise à l’agression rwandaise en cours au Nord-Kivu.
Dauphin putatif de son père, le président Museveni, le général Kainerugaba est présenté comme un des principaux artisans du rapprochement entre Kigali et Kampala, qui a mis un terme aux projets des travaux d’infrastructures conclus entre la RDC et l’Ouganda. Ils désavantageaient en l’isolant, Kigali qui n’y avait pas été associé par les deux parties. Selon certains observateurs, la véritable cause de la dernière agression rwandaise contre la RDC via le M23 interposé trouve sa source dans la conclusion de ces accords économiques entre Kinshasa et Kampala.
Du 6 au 9 novembre 2024 à Beni, les experts militaires de la RDC et de l’Ouganda se sont réunis pour étudier la mise en œuvre des nouvelles directives arrêtées par les présidents Tshisekedi et Museveni. Les travaux préliminaires de ces experts avaient été présidés par le général Chiko Tshitambwe, chef d’Etat-Major adjoint des FARDC chargé des opérations et des renseignements.
Rencontre surprise à Entebbe
A la surprise générale, les présidents Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni s’étaient rencontrés, mercredi 30 octobre 2024, à Entebbe, pour relancer les accords de construction d’infrastructures routières signés quelques années plus tôt. «Une des motivations de notre adhésion à l’EAC mais malheureusement, tout s’est arrêté à cause de l’agression que nous subissons», avait déclaré le chef de l’Etat congolais. «Je repars avec l’espoir que tout ce que nous nous sommes dits va se concrétiser», avait-il ajouté.
Le 17 juin 2021, Félix-Antoine Tshisekedi et Yoweri Kaguta Museveni avaient signé, à Mbondwe à la frontière ougandaise, un protocole d’accord portant sur la construction et la modernisation de la route Mbondwe-Kasindi en passant par Beni-Butembo jusqu’à Goma, dans la cité frontalière de Lubiriha-Kasindi. Le premier axe routier à rénover, long de 84 km, devait relier Mpondwe en Ouganda à Beni, en RDC; le deuxième, de Beni à Butembo s’étale sur 54 km. Un peu plus au Nord de la province du Nord-Kivu, s’étend le dernier tronçon des accords de Mpondwe. Long de 94 km, il s’étend du poste frontalier de Bunagana à la ville congolaise de Goma.
Le financement de ce projet s’inscrivait dans le cadre d’un partenariat public-privé impliquant l’intervention d’une société indienne basée en Ouganda devant contribuer à hauteur de 60% des travaux, 20% étant à la charge de la RDC et 20% autres de l’Ouganda. «Au lieu de construire des murs entre nous, il vaut mieux construire des ponts et cette initiative est vraiment un exemple de ce que nous devons multiplier comme échanges entre nos peux et entre nos peuples», déclarait déjà Félix Tshisekedi.
Des ponts au lieu des murs
L’Ouganda, initiateur de ce projet infrastructurel, tenait beaucoup à la rénovation de routes qui devaient permettre à ses produits commerciaux d’atteindre les grandes agglomérations de la RDC. Le pays de Yoweri Museveni exporte, notamment, des matériaux de construction et des produits manufacturés vers la partie Est de la RDC qui, pour sa part, est exportatrice de produits agricoles (thé, café, cacao, bois).
L’autre intérêt de ce projet initié depuis 2019, est d’ordre sécuritaire, particulièrement sur les axes placés sous coupe réglée par les terroristes ADF. Il impliquait donc une coopération militaire accrue entre les armées des deux pays, limitée jusque-là aux échanges de renseignements militaires.
Reste à savoir si l’appât du gain économique pour son pays suffira pour isoler Kampala de Kigali, son allié de tous les temps.
J.N. AVEC LE MAXIMUM