L’instruction de l’affaire de l’ancien ministre des Transports et député national, Chérubin Okende Senga, retrouvé mort à bord de son véhicule le 13 juillet 2023 à Kinshaa, a connu un rebondissement peu commenté la semaine dernière. Papy Ngaka, chauffeur de la victime, a été relaxé le 3 octobre 2023 par les enquêteurs et transféré au parquet, après près d’un trimestre de détention. Ce qui signifie qu’«il n’y a pas d’indices sérieux de culpabilité à son égard, mais il reste sous contrôle judiciaire », a expliqué aux médias, Me Jules Bongombe, son avocat. Egalement avocat du garde du corps du défunt, maintenu en détention pour 15 jours supplémentaires, l’avocat se veut optimiste. «Quand on libère l’un, c’est que chez l’autre aussi il n’y a pas d’indices sérieux de culpabilité. Nous restons donc optimistes d’autant plus qu’ils étaient consorts », fait-il remarquer. Sorti du régime exceptionnel qui le maintenait à la disposition des enquêteurs, le garde du corps du défunt Chérubin Okende a vu sa détention prolongée de 15 jours, mais il rentre désormais dans le régime judiciaire. Après ces 15 jours, il repassera devant la chambre du conseil qui se prononcera sur son transfert en prison ou pas. Mercredi 11 octobre, la défense du garde du corps de Chérubin Okende a annoncé son transfert à la prison centrale de Makala.
Dans les enquêtes initiées autour du meurtre de juillet dernier, tout indique qu’il y a une évolution certaine. Les experts internationaux appelés à la rescousse par le gouvernement ont rendu les copies de leurs rapports, dont les autopsies. Restent plus que les secrets de la «boîte noire» de la Jeep du député national défunt, dont l’examen est susceptible de retracer le parcours au cours des heures qui ont précédé sa découverte devant un garage de Limete/Kingabwa le 13 juillet dernier. Elle a été confié à l’examen d’un «spécialiste Sud-africain et ramener pour décoder l’ensemble des communications reçues et émises par Chérubin Okende dans sa voiture pour consolider l’une ou l’autre piste de l’enquête », a confié le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur à Me Laurent Onyemba, avocat de la famille Okende.
Ainsi donc qu’il est apparu dès les premières heures de l’enquête autour de ce meurtre crapuleux, Chérubin Okende ne s’était pas fait conduire par son chauffeur habituel en ces journées fatidiques des 12 et 13 juillet 2023. Seul au volant de sa jeep, le député n’était accompagné que de son garde du corps dont on sait avec certitude qu’il avait déposé un courrier du défunt à la haute cour de justice. Reste à établir, hier comme aujourd’hui, si l’ancien ministre des Transports avait approché la cour constitutionnelle ou pas. Tout le tapage orchestré sur la question tarde à trouver confirmation. D’où, manifestement, ce besoin d’analyser les données de la «boîte noire» du gadget électronique qui lui servait également de véhicule.
Scénario rwandais en RD Congo ?
Un acteur politique d’importance froidement assassiné en RDC, cela ne s’était plus produit depuis 1960, lorsqu’à l’instigation des puissances occidentales, le 1er ministre Patrice Lumumba et ses compagnons d’infortune, Mpolo et Okito, furent assassinés par les autorités du Katanga sécessionniste. Pourtant, jeudi 13 juillet 2023, le corps sans vie de Chérubin Okende Senga, ancien ministre Ensemble pour la République (Opposition) porté disparu depuis le 12 juillet, avait été retrouvé à bord de son véhicule garé devant un garage dans la commune de Limete.
L’onde de choc provoqué par la disparition brutale de cet originaire du Sankuru (comme Patrice Lumumba) a brutalement ébranlé l’opinion nationale ainsi que l’ensemble de la classe politique. Des rangs de l’opposition au pouvoir en place ont jailli les premières réactions, plutôt virulentes. Elles dénonçaient ce qu’elles présentaient d’emblée comme un crime d’Etat, pointant d’un doigt accusateur les technostructures de l’Etat, voire, le président de la République en personne, accusé de procéder à la réduction au silence des adversaires politiques.
Expertise internationale
Jeudi 13 juillet 2023, le président de la République, manifestement sonné par la nouvelle de la mort de l’ancien ministre des Transports, interrompit la visite d’inspection des infrastructures destinées aux Jeux de la francophonie qui débutaient le 28 juillet à Kinshasa pour diriger une réunion de crise au sommet. D’où il fut décidé de recourir à l’expertise étrangère pour renforcer les équipes d’enquêtes mises sur pied à Kinshasa, entre autres décisions. Le lendemain 15 juillet 2023, Félix Tshisekedi n’avait pas caché son émotion au cours du conseil des ministres hebdomadaire tenu sous sa direction et avait renouvelé les instructions déjà données la veille afin d’établir la vérité sur l’assassinat de Chérubin Okende et de déférer les coupables devant la justice.
A hue et à dia
Dans l’opinion, chauffée à blanc par les principales parties en présence dans le cadre de ce crime odieux et au sein de la classe politique, ça n’a vraiment jamais arrêté de tirer à hue et à dia. La disparition brutale d’un des porte-paroles d’ Ensemble pour la République a été mise à profit dans les rangs de l’opposition et d’une partie de la société civile pour en appeler à une remise à plat du processus démocratique. Carrément. Et à l’instauration d’une période de transition que beaucoup sollicitaient déjà longtemps avant le décès du député au motif que le climat politique ne s’y prêtait pas ou, comme Martin Fayulu qui contestait la neutralité des institutions en place, que les conditions n’étaient pas réunies pour ce faire. A défaut, les uns et les autres menacaient de recourrir à l’article 64 de la Constitution, c’est-à-dire, à la révolte populaire pour faire échec à ce qu’ils présentaient plus que jamais comme une dictature.
Ce faisant, l’opposition s’est aussi attirée l’ire d’une frange de l’opinion qui considérait qu’en voulant ainsi tirer le maximum d’une situation sécuritaire culminant par l’assassinat crapuleux d’un député national, s’accusait littéralement. L’assassin est celui profite du crime, entendait-on ci et là. Certains observateurs, qui battant en brèche la qualité d’opposant du défunt, rappellant que Chérubin Okende, qui avait joué un rôle de premier plan dans le déboulonnement du cabinet FCC-CACH dirigé par Jeannine Mabunda à l’Assemblée nationale, ne s’était pas fait que des amis parmi ceux qui, passés entretemps à l’opposition, jettent l’opprobre sur le pouvoir en place au sujet de son assassinat. Le député ER élu de Kinshasa qui était également à la base de la motion de censure qui avait fait tomber le 1er ministre FCC et l’ensemble de son gouvernement et ne pouvait donc compter que de bons amis au sein de la partie de l’opposition politique demeurée fidèle à l’ancien président de la République, Joseph Kabila. Dans cet entendement, le FCC disposait donc d’un mobile sérieux de crime contre le député sankurois.
Mal aimé
Même au sein d’ER, il semble que l’infortuné n’était plus en odeur de sainteté avec ses collègues, voire, avec Moïse Katumbi son président, à qui il aurait réclamé sans succès des compensations consécutives à la renonciation à ses fonctions de ministre des Transports, selon des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux. Que la multiplication de sorties dénonciatrices du climat d’abandon qui règne au sein du parti katumbiste n’est pas de nature à minimiser.
Fondées ou pas, ces différentes conjectures se rejoignent dans le fond en ce qu’elles contribuent à envenimer les relations entre les acteurs politiques en RDC et partant, entrent les Congolais. Et laissent transparaître un troisième larron susceptible tirer profit du chaos ainsi entretenu, le Rwanda de Paul Kagame. Agresseur récurrent de la RDC depuis 1996, Kigali qui occupe de fait une partie du territoire de ce pays a déjà fait preuve de sa capacité de régenter la situation sécuritaire chez son immense voisin à son gré. Fomenter un ou des assassinats à Kinshasa pour un pays réputé pour les assassinats perpétrés loin de ses frontières nationales est donc chose facile, selon certains observateurs.
Assassins sans frontières
La thèse d’un assassinat politique fomenté par Kigali pour provoquer le chaos en RDC paraît d’autant plus plausible que Paul Kagame et ses hommes n’en seraient pas à leur premier exploit du genre. Il est ainsi rappelé que dans la période qui avait précédé le génocide rwandais en 1994, Félicien Gatabazi, un leader de l’opposition Hutu fut mystérieusement assassiné, manifestement par des hommes de Kagame qui pourtant, annoncèrent au cours de ses obsèques qu’ils vengeraient son sang. Selon Pierre Gahamanyi de l’opposition rwandaise, il ne fait pas de doute que c’est Kagame qui avait assassiné Gatabazi pour en faire porter le chapeau à Juvénal Habyarimana, le chef de l’Etat de l’époque.
Gahamanyi décrit également la situation sécuritaire délétère durant la période précédant le tristement génocide des Tutsi et des Hutu modérés au Rwanda, caractérisée notamment par l’apparition soudaine de nombreux organes de presse de récente création autant de nouveaux partis politiques. «Nous avons découvert plus tard que ces organes de presse avaient été fondés par Kagame pour diviser les Rwandais», écrit-il.
Une situation qui n’est pas sans faire penser à la véritable inflation des relais médiatiques chargés de la diffusion d’invraisemblances les plus inadmissibles dans les médias et les réseaux sociaux en RDC. A l’instar de ces «médias météo» qui prévoient les événements politiques comme on prévoit le temps et qui annoncèrent ainsi avec un bel ensemble, longtemps avant sa disparition, l’enlèvement du pauvre Chérubin Okende.
Au-delà des acteurs politiques de l’opposition et du pouvoir, la thèse de l’assassinat de l’ancien ministre des Transports par des tueurs commandités par Kigali n’a rien d’absurde. Même si elle reste une hypothèse parmi d’autres, à fonder par des preuves de droit.
J.N. AVEC LE MAXIMUM