Les Congolais sont habitués à des saillies parfois irrationnelles de dirigeants prompts à réagir émotionnellement ou sous la pression d’événements ponctuels. Certains alignent la dernière décision du président Félix-Antoine Tshisekedi de sécher le sommet de conciliation annoncé à grand renfort de publicité entre lui et l’homme fort de Kigali Paul Kagame dans ce registre d’un sentimentalisme irréfléchi. En réalité, c’est une position qui résulte d’un examen approfondi des tenants et aboutissants de cette initiative ainsi que des motivations de ce riche émirat situé dans la péninsule du golfe Persique, lié très étroitement au régime rwandais par des intérêts économiques incarnés notamment par une prise de participation de 60 % dans le nouvel aéroport de Kigali en décembre dernier ainsi que l’a confirmé Akbar Al Baker, PDG de Qatar Airways, la compagnie étatique de ce pays le 5 février à Doha en annonçant que son gouvernement envisageait d’acquérir une participation plus importante dans cette joint-venture entre les deux États.
C’est depuis le 9 décembre 2019 que Qatar Airways et le gouvernement rwandais ont signé un partenariat d’investissement par lequel le transporteur du Moyen-Orient s’était engagé à prendre une participation de 60 % dans le nouvel aéroport moderne de Bugesera (à l’Est de Kigali), un projet d’une valeur de près de 1,3 milliard USD et initialement prévu pour être achevé en 2020. Cette collaboration entre le Rwanda et l’émirat du Qatar, à laquelle les deux parties travaillaient depuis lors et qui a été finalisée récemment reposait notamment sur l’utilisation par RwandAir du volume important du marché que représente la République Démocratique du Congo avec ses près de 100 millions d’habitants pour prospérer davantage. On avait entendu lors du CAPA Qatar Aviation Summit de Doha en 2022, le PDG Akbar al-Baker confirmer que sa société avait acquis une participation de 49 % dans RwandAir. «Ce sera une plaque tournante très efficace dans ce pays très stable au cœur de l’Afrique dans une région qui dispose d’un énorme potentiel de croissance», a déclaré al-Baker, alors que la brutale interruption de la juteuse escale de Kinshasa était de nature à aggraver les difficultés de RwandAir qui enregistrait déjà près de 50 millions USD de pertes chaque année depuis sa création. De là à escompter sur une déstabilisation de l’Est de la République Démocratique du Congo pour pousser les millions d’hommes et de femmes qui y vivent à n’avoir pour seul recours que le hub de Kigali pour leurs contacts avec le monde extérieur, il n’y a qu’un pas visiblement franchi par le régime belliciste au pouvoir au Rwanda depuis 1994, estiment plusieurs analystes.

A l’évidence, l’insécurité suscitée à dessein dans la partie septentrionale de la RDC est destinée à séduire des partenaires comme Qatar Airways qui y trouvent, d’une part, l’opportunité de contourner l’embargo qui oblige tous ses vols vers l’Afrique à éviter l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte et, d’autre part, la jouissance d’un hub aussi rentable dans la sous-région des grands lacs. L’idée derrière ce deal qui a conduit l’émirat du Qatar à délier la bourse pour le financement du nouvel aéroport de Kigali est aussi d’attirer le trafic aérien quotidien des pays africains vers Doha, où les avions de Qatar Airways pourraient voler vers diverses destinations en arborant les numéros de vol de RwandAir. A l’inverse, les aéronefs de RwandAir pourraient être en partage de code avec Qatar Airways. Tout cela sans crainte de survoler l’Arabie Saoudite. Cela permettra à RwandAir d’augmenter son rayon d’action et à Qatar Airways de réduire les temps de vol vers l’Afrique de l’Ouest et centrale… et éventuellement de rattraper ses puissantes rivales que sont Emirates et Ethiopian Airlines sur le continent.
L’autre avantage de ce rapprochement entre le Rwanda et Qatar Airways réside dans l’accès ainsi offert à Doha aux terres arables du Rwanda et de l’Est de la République Démocratique du Congo permettant à l’émirat du Qatar qui dépend actuellement de la Turquie et de l’Iran, deux partenaires jugés «capricieux», de diversifier ses sources d’approvisionnement, en achetant des produits agricoles bon marché de la contrebande en provenance de la RDC et de les transporter par voie aérienne.
Tant que durera l’agression rwandaise à l’Est du Congo, le président Tshisekedi aura donc de bonnes raisons de se méfier des desseins d’un attelage dans lequel les Intérêts Nationaux de son pays sont ainsi menacés. Et ce, d’autant plus que rien n’empêche le Qatar de conclure directement avec la RDC un accord dont l’essentiel repose manifestement sur ce grand pays au cœur du continent africain.
RG & LMO AVEC LE MAXIMUM