Si les sondages n’ont pas bonne presse en RDC, probablement en raison du fait qu’ils semblent taillés sur mesure et à la commande pour abuser et influencer l’opinion, ils n’en surfent pas moins à la lisière des convictions partagées par de larges pans d’une opinion publique exaspérée par une série de phénomènes frustrants. Fin août 2022, le Groupe d’études sur le Congo (GEC), Ebuteli, son partenaire de recherche en RDC, et le Bureau d’études, de recherche et de consulting international (Berci) ont publié un sondage sur les institutions publiques en RDC. Un exercice manifestement destiné à susciter un vent désaffection vis-à-vis desdites institutions et de leurs animateurs à l’approche des prochaines échéances électorales, mais qui est révélateur de la perception par le Congolais lambda de la Police Nationale Congolaise (PNC), organe chargé de l’application et du respect des lois. En effet, les résultats de l’enquête intitulée «Congolais cherchent démocrates : entre soif de redevabilité et insatisfaction sociale» indiquent que la PNC est considérée comme l’institution la plus corrompue en RDC, par 48 % des personnes interrogées. Après ce service public placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et sécurité, suivent respectivement les cours et tribunaux (45,7 %), les parlementaires nationaux (45,6%), les députés provinciaux (42,2 %), et le gouvernement national (41 %).
Certes, comme un peu partout à travers le monde, le bras coercitif de l’État qu’est la police n’a pas toujours les faveurs de l’opinion publique. Mais au Congo-Kinshasa, les abus des forces de l’ordre, connues pour se sucrer systématiquement sur le dos des usagers de la voie publique, ou se mettre le cas échéant au service du plus offrant, sont de notoriété publique depuis la nuit des temps.
Abus
A Kinshasa la capitale, une mégapole de plus de 10 millions d’âmes, les méfaits reprochés aux policiers font pratiquement partie du paysage quotidien. Commissariats et sous-commissariats de la police sont disséminés à travers les 24 communes de cette ville, l’une des plus peuplées d’Afrique avec Lagos et Le Caire. Les autorités ont annoncé la mise en œuvre d’une police de proximité mais pour la plupart des kinois, il s’agit plus de sites de négociations avec les contrevenants à la loi, délinquants et criminels que de lieux de protection des personnes et de leurs biens. Les opérations qui s’y déroulent le plus fréquemment sont en effet relatives à la location des parkings informels pour véhicules et motos-taxis, qu’ils soient en bon état de circulation ou pas à raison de 2.000 à 2.500 FC par engins au profit du commandant du lieu ; à la collecte de ‘’taxes’’ souvent informelles au titre de droits d’étalages sauvages de bibelots et produits alimentaires ou de boissons encombrant illégalement les trottoirs et autres emprises publiques etc.
Corruption
La corruption de la police se déploie impunément au vu et au su de tous sur les artères, avenues et rues de la capitale congolaise qui renvoient l’image d’un véritable capharnaüm avec une mobilité outrageusement dérégulée. La plupart des véhicules de transport en commun et privés doivent «blinder» leurs plaques minéralogiques pour échapper aux assauts d’agents de police véreux qui les arrachent pour contraindre leurs conducteurs ou propriétaires à s’acquitter d’amendes sans quittances qui remplissent les poches de quelques officiers tapis derrière leurs bureaux.
Des carrefours comme ceux du Pont Cabu, des avenues des Huileries et du 24 novembre, de la Kintambo-Magasin ou de l’UPN sont réputés pour l’effrayante agressivité des policiers qui y sont souvent postés et qui n’hésitent pas à se disputer le volant avec des conducteurs pour leur arracher un pourboire sous prétexte de contravention routière. Au lieu de donner lieu au paiement au profit du Trésor des amendes pour contravention au code de la route, la moindre frasque entraîne le versement mano a mano d’une prébende négociée à des agents débonnaires qui ne cachent pas qu’une ristourne quotidienne est organisée sur ces revenus avec certains de leurs chefs. « C’est ce qui explique l’inexistence à Kinshasa de la peur du gendarme qui est au cœur de tout État de droit », explique, Antoine Kandolo Onduka, un apprenant de troisième cycle en criminologie à l’Université de Kinshasa qui affirme avoir mené une recherche qui ont révélé que les affectations aux carrefours sont conditionnées par le versement de quotités des pourboires perçus aux supérieurs hiérarchiques. A en croire ce chercheur, les embouteillages à Kinshasa sont l’objet d’un monnayage indécent. «Avant d’ouvrir le passage pour un véhicule dans un sens ou un autre, l’agent de police inspecte les occupants d’un œil inquisiteur, esquisse un salut réglementaire-quémandeur à l’intention du conducteur et ouvre le passage avec un zèle affecté aussitôt un pourboire empoché, ou de le retarder si la libéralité n’est pas acquittée ou est jugée dérisoire», ajoute-t-il d’un air goguenard avant d’estimer qu’à son avis «les conclusions du sondage GEC paraissent plutôt minimalistes par rapport à l’étendue et à la gravité du fléau de la corruption dans la police congolaise».
Passivité
Kandolo s’étonne de la passivité des autorités gouvernementales face à une situation qui ternit gravement l’image du pays et défie carrément les ambitions droitsdelhommistes d’anciens opposants aujourd’hui au pouvoir à Kinshasa depuis 2019. Le 25 juillet 2019, le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi avait pris la mesure de la corruption policière lorsque, circulant en voiture banalisée, il avait fait arrêter un agent de police de circulation routière qui lui sollicitait une gratification illicite.
Quelques mois plus tard, le 25 septembre de la même année, l’alors ministre de l’Intérieur, l’UDPS Gilbert Kankonde, exhorta fermement les agents de police à « donner un visage humain ce corps de métier régulièrement accusé et décrié tout en privilégiant l’éducation du citoyen à la répression, le dialogue à la brutalité car le président Félix Tshisekedi s’est promis de faire du respect des droits humains une des priorités de son mandat». Depuis lors, plus rien. Son successeur depuis avril 2021, l’avocat Daniel Aselo se comporte comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes et s’illustre par une certaine indifférence vis-à-vis du fléau de la corruption au sein des services de la police placées sous sa tutelle. «C’est la recréation généralisée depuis son avènement à la tête du ministère», accuse Kandolo Onduka. Qui se demande si l’homme ne s’est pas ’’intégré’’ dans le système décrié de prébendes reversées aux chefs hiérarchiques. Car qui ne dit mot consent.
J.N