En l’espace de deux semaines, Butembo, la troisième ville du Nord-Kivu a enregistré la mort brutale de 16 personnes. Au cours des manifestations contre la mission des Nations-Unies en RDC, lancées lundi 25 juillet 2022 à Goma, 3 casques bleus (2 policiers et un soldat) ont péri par balles à côté de 7 victimes furent identifiées comme des assaillants et des civils un jour plus tard à Butembo. Mercredi 10 août 2022, une attaque spectaculaire de la prison de Butembo par des terroristes ADF soutenus par des miliciens maï-maï s’est soldée par la mort de 6 éléments des FARDC et de la PNC ainsi que l’évasion d’une centaine de détenus parmi lesquels des rebelles ADF en instance de jugement. La dernière victime, un élément FARDC, avait été littéralement lynchée par la population en furie à Kalimbuthe, sur le boulevard principal de la ville. Au cours des mêmes incidents, l’armée a déploré l’incendie de 3 de ses véhicules ainsi que la perte de 8 armes de guerre ravies par des manifestants en furie qui leur reprochaient pêle-mêle leur «indolence» face aux agressions subies par les populations civiles, des propos d’un porte-parole militaire dénonçant la complicité des populations civiles dans l’attaque de la prison de Butembo. Le capitaine Anthony Mwalushayi avait qualifié Butembo de sanctuaire des maï-maï après l’attaque de la prison de la ville. Ce que les faits n’ont nullement démenti.
Sanctuaire maï-maï
Le forfait commis, les assaillants avaient pillé des ménages et des boutiques dans les villages de Bunyuka, Vutondi, Kasitu et Isonga. Pourchassés aussi bien par les populations décidées à «se prendre en charge», les ravisseurs furent obligés de libérer quelques otages. Les propos sévères du porte-parole accusant les habitants de Butembo de collaborer avec les assaillants furent jugés désobligeants par les manifestants qui s’en étaient pris au militaire loyaliste et à ses camarades.
2 jours après l’attaque de la prison de Kakwangura, la ville n’était pas à l’abri d’une nouvelle insurrection généralisée. « La situation est hors contrôle, le mariage entre militaires et civiles est complètement rompu. Nous sommes à un pas d’une guerre civile», s’alarmait, le 13 août, Damien Muherya, un internaute du Nord-Kivu. Le même jour, un communiqué du gouvernement provincial dénonçait encore «des actions criminelles orchestrées contre les forces de défense et de sécurité, avec d’énormes pertes matérielles et en vies humaines» sous prétexte de manifestations pacifiques anti-MONUSCO. Le gouverneur militaire du Nord-Kivu ne s’est pas trompé en jugeant «intolérables et inacceptables la récupération par les tireurs de ficelles». Le lieutenant- général Constant Ndima Kongba a en effet lui aussi dénoncé, sans ambages, que «des groupes maï-maï qui avaient pris les armes contre les agresseurs de notre pays et les ennemis de la population servent de supplétifs aux terroristes d’ADF/MTN».
Collusion ADF-maï-maï
A Butembo comme à Goma quelques semaines plus tôt, il ne s’agissait plus de manifestations pacifiques, à l’évidence. Les autorités militaires municipales de ces villes du Nord-Kivu faisaient face à une insurrection qui menaçait de se généraliser. Une situation qui n’est pas sans rappeler les méthodes de combat des agresseurs rwandais et autres de la RDC, caractérisées par des faits insurrectionnels et des pillages avant l’attaque et souvent la prise d’agglomérations importantes du pays. «De Butembo, le front de Rutshuru dans la même province n’est pas trop éloigné. A défaut d’étendre les affrontements à toute la région, l’ennemi livre une guerre hybride à distance», explique au Maximum un expert militaire frais émoulu du CHESD à Kinshasa.
Sur la définition de cette nouvelle forme de guerre, les spécialistes ne sont pas unanimes mais conviennent de certaines caractéristiques communes : la guerre hybride est une stratégie militaire qui allie des opérations de guerre conventionnelle, de guerre asymétrique ou irrégulière, de cyberguerre et d’autres outils non conventionnels tels que la désinformation, selon Wikipédia. Comme à Goma et à Butembo ces dernières semaines, les affrontements peuvent opposer des entités non étatiques (populations c/Monusco) et les protagonistes se livrer à une guerre par procuration pour d’autres pays ou pour leurs propres intérêts (M23, ADF, maï-maï). Les experts notent également dans une guerre hybride, les protagonistes usent généralement d’armes non conventionnelles (bombes artisanales chez les ADF) et ont recours à des actions terroristes, à la violence indiscriminée et à d’autres activités de type criminel, comme à Butembo. De même que les outils de communication de masse sont abondamment exploités pour la propagande et le recrutement ainsi que pour la désinformation de l’opinion. Enfin, il sied de noter que le champ de bataille d’une guerre hybride implique généralement la population indigène de la zone de conflit et par ricochet, la communauté internationale.
Guerre hybride ?
Au Nord-Kivu, la guerre contre les agresseurs de la RDC ne se limite donc pas à la ligne de front dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo. Elle a déjà gagné les principales agglomérations provinciales, dont Goma, Butembo, Beni, pour ne citer que ceux-là, de ce point de vue, que semble partager aussi des leaders d’opinions locaux que Constant Ndima, le gouverneur militaire du Nord-Kivu.
Le 12 août 2022, le gouverneur civil du Nord-Kivu (en congé du fait de l’Etat de siège), Carly Nzanzu Kasivita, écrivait sur son compte Twitter que «quand un pays est confronté au terrorisme et aux groupes armés, les actes contre l’autorité de l’Etat sont fortement condamnables. En dépit de nos peines, il est impératif de comprendre que l’ennemi veut jouer sur la corde de la colère et de la violence afin de créer un chaos».
S’exprimant de son côté sur une radio de Butembo, le député national Crispin Mbindule Mitono exhortait les autorités urbaines à un dialogue direct avec les populations. «Les bubolais n’aiment pas qu’on les effraye et préfèrent qu’on leur parle face-à-face afin de leur permettre de se décharger de leurs inquiétudes devant les responsables politiques», a-t-il déclaré.
Appels à la désescalade verbale
Dans un entretien téléphonique avec un média en ligne kinois, Crispin Mbindule pousse son analyse de la situation de Butembo plus loin, en avançant l’idée d’une jonction possible entre le M23 et les ADF lors de l’attaque de la prison de Kakwangura. «Nous sommes surpris de voir que les rebelles ADF étaient lourdement armés lors de l’attaque de la prison de Kakwangura. Grâce aux vidéos qui circulent, nous constatons une ressemblance entre la tenue portée par les rebelles ADF à celle du M23 présente dans la cité de Bunagana. Donc nous pensons qu’ils ont un même ravitailleur, un même fournisseur, de surcroît un même supporteur», a indiqué cet élu de Butembo.
Lundi 15 août 2022, le général Constant Ndima est arrivé à Butembo pour «compatir avec les victimes des manifestations anti-MONUSCO et appeler la population à la retenue», selon ses déclarations à la presse locale. Avant de visiter la prison de Butembo-Kakwangura, mardi 17 août, le gouverneur militaire du Nord-Kivu s’est livré à une série d’entretiens avec les couches sociales de la ville, rapportent des sources.
Les jours à venir permettront d’apprécier les résultats de cette contre-offensive à la guerre hybride qui se répand dans la région.
LE MAXIMUM