Des travaux prometteurs réalisés à l’université catholique de Louvain balisent une voie qui conduirait à la prévention des récidives et des métastases dans un type de cancer du sein, et sans doute dans d’autres tumeurs.
Dans une étude dont les résultats ont été publiés en 2014 dans Cell Reports, l’équipe du pharmacologiste Pierre Sonveaux, de l’université catholique de Louvain, avait émis l’hypothèse que le développement de métastases ait lieu en deux temps. D’abord, une conversion glycolitique permettrait aux cellules cancéreuses appartenant à des zones très peu oxygénées d’adapter leur façon de produire de l’énergie pour survivre. Ensuite, en milieu hostile, grâce à une sélection naturelle, les cellules tumorales acquérait la mobilité et les caractéristiques nécessaires à leur fuite vers des zones plus accueillantes. Selon cette approche, le premier événement favoriserait le second, plus tardif.
Afin de tester leur hypothèse, les chercheurs avait utilisé la sélection naturelle pour engendrer des cellules « superinvasives» et des cellules «supermétastatiques» à partir de cellules cancéreuses peu agressives. Ils avaient alors mis en évidence que ces deux types cellulaires avaient en commun, sur le plan métabolique, de posséder des mitochondries – les usines à énergie des cellules – dysfonctionnelles. In fine, dans ces modèles expérimentaux, ces mitochondries devenaient le siège d’un excédent de radicaux libres baptisés «ions superoxyde». Selon les scientifiques belges, ces radicaux feraient office de messager envoyé par les mitochondries vers le cytosquelette, incitant la cellule à migrer vers un environnement moins hostile.
Depuis, ces mêmes chercheurs n’ont eu de cesse d’inactiver le superoxyde dans l’espoir d’enrayer la formation de métastases. Comment ? À l’origine, grâce à une substance, le MitoTEMPO, connue depuis une dizaine d’années pour agir sélectivement dans les mitochondries des cellules cancéreuses. Après avoir injecté des cellules de cancer mammaire humain spontanément métastatique, des souris ont développé une tumeur du sein. Un groupe de ces rongeurs a alors reçu du MitoTEMPO et un autre, un placebo. Dans le premier n’est apparue aucune métastase pulmonaire ; dans le second, elles ont été détectées en grand nombre.
Cette situation était d’autant plus intéressante qu’une autre molécule antioxydante, le MitoQ, était produite par le laboratoire néo-zélandais Antipodean Pharmaceuticals, qui l’avait déjà testée avec succès chez l’humain lors d’études cliniques de phase 1. Sa toxicité est faible aux doses thérapeutiques. À des doses supérieures, ses rares effets secondaires se résument à des nausées et des vomissements qui peuvent être contrôlés par des antiémétiques.
De vrais espoirs pour la clinique humaine
Dans le sillage de nouvelles recherches publiées en 2022 dans la revue Cancers, les scientifiques de Louvain sont maintenant en passe de mettre en œuvre un essai clinique de phase 2 regroupant un panel d’une vingtaine de patientes venant d’être diagnostiquées porteuses d’un cancer du sein très agressif, le triple négatif. En effet, grâce au MitoQ, les chercheurs sont parvenus à prévenir, dans des conditions mimant la pratique clinique, la dissémination métastatique d’un cancer du sein triple négatif humain chez la souris. À leur grande surprise, le MitoQ évitait également les récidives de la tumeur mammaire après chirurgie.
Plus précisément, une fois porteuses d’un tel cancer, les souris ont été d’abord traitées par chirurgie, puis reçurent un cocktail de chimiothérapies adjuvantes classiques comme en clinique humaine. Dans un premier groupe de rongeurs, la chimiothérapie s’accompagnait de l’administration de MitoQ, mais pas dans un second. Alors que le cancer ne tarda pas à récidiver et à se généraliser chez la plupart des souris non traitées par l’antioxydant, celui-ci permit d’éviter, dans l’autre groupe, l’apparition de métastases pulmonaires dans 80% des cas, et dans 75% des cas, une rechute locale du cancer.
Les deux sous-catégories de cellules souches cancéreuses que sont les cellules progénitrices métastatiques et les cellules responsables des récidives sont les cellules les plus pernicieuses qui composent les tumeurs, car elles sont dormantes. « D’après les tests moléculaires que nous avons effectués, les marqueurs de cellules souches diminuent sous MitoQ, explique Pierre Sonveaux. En s’accumulant dans leurs mitochondries, la molécule thérapeutique érode leurs propriétés et les empêche ainsi de sortir de leur léthargie».
Les recherches menées à l’Université catholique de Louvain ne se cantonnent pas au cancer du sein. Des travaux ayant trait à l’intérêt du MitoQ dans le cancer du pancréas chez la souris sont en cours et devraient être finalisés en 2022. La prochaine cible sera le cancer de la prostate.
AVEC SCIENCES (P.L.)