Aucun doute possible. A quelques mois de la présidentielle de 2023, des velléités séparatistes refont surface ci et là. Tout risque de s’embraser si on n’y prend garde. On l’a vu avec ce conflit de succession à la tête de l’UNAFEC, parti de feu Kyungu wa Kumwanza, qui a donné lieu à une agitation violente mercredi 5 avril dans la ville de Lubumbashi, mise sens dessus sens dessous par la jeunesse de cette formation politique. Ou encore lors des affrontements, quelques jours plus tôt entre moto-taximen communément appelés « weewa » et les forces de l’ordre dans la même ville après une décision de la mairie interdisant ces derniers toute circulation.
Invasion ?
Dans ce bouillonnement, un mot réapparait sans cesse qui a tout son sens dans cette province habituée à des pogroms de populations non-originaires ou réputés telles : l’invasion.
Mercredi au sortir d’une audience avec le speaker de l’Assemblée nationale, des élus nationaux katangais faisaient état de la situation explosive qui prévaut à Lubumbashi, notamment, où des communautés qui ne se supportent plus sont à deux doigts d’une confrontation violente. L’allusion aux weewas, d’origine kasaïenne pour la plupart, était claire : ils fuiraient la famine dans leurs provinces pour envahir le Katanga.
Une mission parlementaire d’évaluation a été décidée illico presto, pour éviter que la situation ne dégénère, a déclaré le député national Célestin Mbuyu, doyen du caucus Katanga, porte-parole de la délégation reçue par Christophe Mboso N’Kodia.
Cadre katumbiste
Il y a pire. Quelques jours plus tôt, une élue de Lubudi (Lualaba), Dominique Munongo, membre de Ensemble pour la République de Moïse Katumbi, a jeté un pavé dans la marre en qualifiant les kasaïens de mangeurs de chiens qui perturbent les pratiques alimentaires de son terroir.
Présidente de la Ligue des femmes du parti katumbiste, Mme Munongo a déversé sa bile sur les communautés kasaïennes vivant au Katanga, qui y ont, selon elle, importé une culture différente. Ces propos auraient sûrement moins marqué les esprits si, au passage, la princesse yeke, fille de Godefroid Munongo, ministre de l’Intérieur de l’ancien 1er ministre sécessionniste Moïse Tshombe qui supervisa l’assassinat du kasaïen Patrice-Emery Lumumba et ses compagnons le 17 janvier 1961, n’avait pas expressément revendiqué cet héritage paternel criminel.
Aucune désapprobation
Les propos de la députée katumbiste n’ont pas encore fini de faire couler encre et salive. Dans les réseaux sociaux particulièrement, où la polémique enfle : si quelquesséparatistesprennent le courage de défendre cette saillie pour le moins xénophobe, de nombreux autres condamnent avec véhémence ce retour aux atavismes des premières années de l’indépendance congolaise. «Le mal chez cette élue séparatiste Yeke, c’est de voir le diable dans la culture des autres Congolais. Elle n’est qu’une bornée aveuglée par le tribalisme », écrit un internaute parmi beaucoup d’autres plus virulents, qui voient derrière les propos de ce cadre katumbiste, un trait de la ligne politique du parti Ensemble pour la République.
Profusion
Sur le compte twitter de la députée Munongo ces derniers temps, se bousculent des mûres et des pas vertes.
« Aujourd’hui, le 11 juillet, nous, peuple katangais, pensons à nos pères de l’indépendance du Katanga. Puisse le Seigneur nous accorder l’unité, la sagesse et la détermination dans les projets de développement de notre espace : le Grand Katanga », pouvait-on y lire au-dessus d’une carte de la RDC divisée en six provinces, chacune ayant son drapeau et ses emblèmes. C’était en juillet 2020, il y a deux ans.
Le 13 juillet 2021, rebelotte. « Moments d’intenses émotions (partagés) avec notre frère, le pasteur Daniel Ngoy Mulunda, à la prison de la Kasapa ! Arrêté pour avoir dit la vérité… ». Ancien président de la CENI en 2011, ce pasteur méthodiste d’origine Nord katangaise avait été interpellé, jugé et condamné en janvier 2021 pour «apologie de la xénophobie», une infraction qui ne semble guère gêner Mme Munongo puisque le 23 mars 2022, elle écrivait: « mes pensées, ce jour, vont vers le pasteur Ngoy Mulunda, Serviteur de Dieu qui croupit, malade, dans une cellule de la prison de Kasapa pour n’avoir dit que la vérité ».
Ligne politique
La posture résolument irrédentiste de la princesse Bayeke ne fait donc l’ombre d’aucun doute pour ses détracteurs. « Tout ce que j’ai vu et entendu de cette dame me conforte dans la conviction que la RDC n’est pas encore prête pour le fédéralisme. Je continue à soutenir un Etat unitaire fortement décentralisé avec quelques pouvoirs aux entités décentralisées. Un Congo uni et fort», réagissait lundi 4 avril, Marie-Ange Mushobekwa, ministre honoraire des droits humains.
Loin de cette approche théorique, le parti politique Congo en avant en appelait, le même jour, à l’interpellation urgente de cette élue d’Ensemble de Katumbi par la justice congolaise pour ses incitations répétées à la xénophobie, faits prévus et punis par l’ordonnance-loi n° 66-342 du 07/06/1976 en son article 75 bis portant répression du racisme et du tribalisme, selon Médard Kankolongo.
Déséquilibre électoral
Beaucoup de pourfendeurs de la princesse Munongo déplorent le silence assourdissant de Moïse Katumbi et de son parti face à ces propos. Ils en concluent qu’il s’agit d’une démarche politique concertée. « L’invasion des weewa au Katanga bouleverse l’équilibre électoral en défaveur de certains leaders locaux et explique l’inquiétudequigagnecertains esprits, plus que les quelques problèmes de cohabitation entre communautés», estime un chercheur en sciences sociales de l’Université de Lubumbashi.
Le problème résiderait donc dans le fait que l’électorat katangais pourrait échapper à Katumbi dont les ambitions pour le top job sont de notoriété publique. Mais aussi à bien des cadres de son parti politique.
D’autres analystes vont plus loin, s’agissant de l’ancien gouverneur de l’ex-grand Katanga prétendant à la magistrature suprême. Dans un passé récent, d’aucuns parmi les non-autochtones ont fait les frais de son intolérance vis-à-vis des ‘‘non originaires’’ (kasaïens) pendant son long mandat à la tête de la province cuprifère (voir ‘‘Katumbi et les xénophobes’’, page 5). L’homme ne cracherait pas sur des jacqueries urbaines contre son futur rival Félix Tshisekedi notamment à Lubumbashi.
Des sources locales assurent même que la lutte fratricide que se livrent les héritiers de feu Kyungu wa Kumwanza est sciemment entretenue par le richissime chairman du TP Mazembe qui espère en tirer des dividendes politiques.
Séparer le Katanga
Il y a 7 ans, le géopolitilogue américain Andrew Korybko, écrivait que «Katumbi est l’homme de confiance de milieux d’affaires occidentaux qui ambitionnent d’installer un chef de file pro-occidental au pouvoir afin de récupérer la mainmise sur le circuit d’approvisionnement du cobalt, détenu par les asiatiques».
De ce point de vue, il est évident que le fait que la Chine soit fortement impliquée dans les mines katangaises dérange outre-Atlantique. Une éclosion de violences à grande échelle semblable à ce qui s’est passé en Libye en 2011 serait donc la bienvenue pour d’impénitents suprématistes occidentaux qui rêvent d’une évacuation massive des Chinois et de l’abandon de leurs investissements.
Si Moïse Katumbi et ses phalanges réussissent une campagne sécessionniste dans un Katanga «indépendant», les entreprises chinoises seraient débarquées et remplacées par leurs homologues occidentales à la faveur de toutes sortes de prétextes comme par exemple le fait que Beijing aurait soutenu les unitaristes à Kinshasa.
LE MAXIMUM