Dans la province du Nord-Kivu sous état de siège, la situation sécuritaire a évolué plutôt favorablement. Certes, ci et là, les rebelles ADF et les milices locales sévissent encore, comme par à-coups, mais la paix le dispute vaillamment à l’insécurité et aux tueries des populations civiles. Suffisamment pour que des voix s’élèvent pour le retour au fonctionnement normal des entités administratives de la province. A Watalinga, où au moins 3 chefs de groupements ont déserté leurs entités en raison d’attaques récurrentes des rebelles ADF, les civils veulent regagner villages et habitations à la faveur de l’accalmie qui s’observe depuis le lancement, fin novembre 2021, des opérations militaires conjointes FARDC- UPDF.
Mardi 8 mars 2022, la société civile locale s’est exprimée sur ce besoin exprimé par de larges couches de la population en invitant les chefs des groupements Bawisa, Bauma, et Batalinga à retourner au bercail parce que «le calme s’observe petit à petit ici dans la chefferie».
C’est pourtant dans cette région située à cheval entre l’Ouganda et la RDC qu’ont été perpétrées les pires exactions contre les civils ces derniers mois.
Selon le Bureau conjoint des Nations-Unies pour les droits de l’homme (BCNUDH), environ 150 personnes ont été tuées par les ADF entre les mois de janvier et février 2022. Dont un bon nombre dans la seule zone de santé de Kamango comprenant la chefferie de Watalinga (particulièrement l’attaque sanglante de Kikura le 27 février 2022). La chefferie des Bashu ainsi que le groupement de Banande Kainama ont eux aussi fait les frais de cette furie des terroristes en débandade.
Relative accalmie
Au courant de la semaine passée, la région de Beni a néanmoins enregistré le décès d’un motocycliste ainsi que l’incendie de deux véhicules dans une embuscade tendue par les ADF à Karuruma. Les faits se sont déroulés lundi 7 mars sur l’axe-routier Kasindi-Butembo, et la société civile locale signale quelques disparus parmi les passagers des véhicules incendiés. Il est rappelé que c’est la deuxième embuscade rebelle avec morts d’hommes sur cet axe routier, l’avant-dernière, en l’espace de deux semaines, s’étant soldée par le décès de 5 personnes et l’incendie de trois véhicules.
La pression militaire sur les ADF et leurs alliés locaux ne faiblit pas pour autant.
Lundi 7 mars, les FARDC et UPDF ont rapporté qu’au moins 72 otages des rebelles ADF ont été libérés au cours de ces trois premiers mois de l’année. Des enfants, mais également des femmes, au nombre de 46, dont certaines avaient été abusées sexuellement par leurs ravisseurs. «Pendant les accrochages, nous avons eu à libérer 55 civils. Les autres se sont échappés lorsque l’occasion s’est présentée. Quand les forces armées attaquaient les l’ennemi, les otages fuyaient vers les FARDC», a expliqué le capitaine Anthony Mualushayi, porte-parole FARDC à Beni.
Procès
Dans la foulée de ses performances militaires, des sources à Beni ont annoncé, mercredi 8 mars 2022, l’arrestation à Isiro (Haut-Uélé) de trois collaborateurs de Benjamin Kisokeranio, chef ADF arrêté le 11 janvier 2022 à Uvira. Il s’agit de comparses qui jouaient un rôle clef dans la prise en charge et l’acheminement des recrues ADF vers les centres d’entraînement.
Dans la ville de Beni, l’attention de l’opinion reste accaparée par le déroulement des procès des ADF, des miliciens et leurs collaborateurs arrêtés au cours des dernières opérations dans la région. Vendredi 4 mars, le tribunal militaire de garnison de Beni a condamné à la peine de mort, Jonathan Kasereka Malamu, un civil congolais reconnu coupable de recrutement et enlèvements d’enfants pour le compte des terroristes ADF dans la région de Beni, rapporte la Radio Okapi. Arrêté le 3 mars à Beni alors qu’il tentait d’enlever par ruse un garçon de 10 ans, le condamné a révélé au cours de l’audience à la Place de la Mairie de Beni avoir enrôlé trois autres enfants de moins de 18 ans à Eringeti, qui ont été transférés dans les campements ADF et n’ont plus réapparu.
Mardi 8 mars, 3 Congolais et un Ougandais ont été condamnés à des peines allant de 10 à 15 ans de prison par le même tribunal militaire pour participation à un mouvement insurrectionnel et association de malfaiteurs.
Le même jour a comparu le prévenu Nziavake Kakevira, poursuivi pour participation à un mouvement insurrectionnel pour avoir pris langue avec le chef ADF Moussa Baluku durant 10 jours. Pour sa défense, le prévenu a soutenu qu’il avait été missionné par un certain Kibonge, chef coutumier de Kasayi, pour rencontrer le patron des ADF en Ouganda dans le cadre de démarches pour le rétablissement de la paix.
Mercredi 9 mars, 20 ans de prison ont été requis contre Mateso Masumbuku pour sa participation à un mouvement insurrectionnel, précisément à des offensives des ADF contre certaines agglomérations du territoire de Beni en 2016.
Complicités
La révélation la plus importante sur ce chapitre des procès contre les tueurs de Beni et alentours est sans doute celle du prévenu Josué (Innocent, pour certains) Kasongo, un combattant ADF. Dans sa déposition, mercredi 8 mars 2022 devant le tribunal de garnison de Beni, il a déclaré à la stupé faction de l’assistance que les députés nationaux Grégoire Kiro (RCD-K-ML) et Kasereka Kizerbo (AAB) étaient «des ravitailleurs en armes et vivres des rebelles». Si l’AAB Kizerbo Kasereka, par ailleurs membre de la commission Défense et sécurité de l’Assemblée nationale n’avait réagi à ces accusations jusque mercredi en fin de journée, son collègue Grégoire Kiro, par ailleurs secrétaire général du parti politique RCD/K-ML de Mbusa Nyamwisi a déclaré : «Je démens formellement toute implication dans la tragédie que nous vivons à Beni depuis plus de dix ans. Je demande à ceux qui instruisent le dossier de réquérir même un expert pour vérifier cet individu avant d’accorder tout crédit à ses déclarations». Kiro assure qu’il ne se laissera pas «distraire par un mensonge grossier destiné à désorienter l’opinion » et dit se réserver « le droit de (se) pourvoir en justice » et de se « battre farouchement pour que (son) honneur soit rétabli ».
«Quittez les groupes armés !»
Vraies ou fausses, la dénonciation faite par le prévenu Joyce (Innocent) Kasongo n’est pas sans rappeler la boutade devenue célèbre du speaker de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, qui n’avait pas hésité à appeler ses collègues députés nationaux à «quitter les groupes armés» au cours d’une plénière demeurée mémorable. Elle révèle que quelques autochtones de Beni sont généralement perçus comme indissociables des tueries perpétrées contre leurs frères par les terroristes ADF et autres milices locales du cru.
A la différence d’opérations militaires entreprises dans la région contre ces forces négatives par le passé, l’instauration de l’état de siège en mai 2021, les opérations conjointes FARDC-UPDF présentent l’avantage de ramener à la surface l’implication de collaborateurs locaux à divers niveaux, du simple informateur aux ravitailleurs (même si cela reste encore à prouver en ce qui concerne les deux élus nationaux cités devant la barre à Beni) en passant par les recruteurs et les instructeurs des tueurs.
Les graves accusations portées contre Grégoire Kiro et Kizerbo Kasereka, jettent l’opprobre sur ces deux représentants de Beni à l’Assemblée nationale. Elles ne s’en inscrivent pas moins dans une trame tissée de longue date d’accusations et de dénonciations plus ou moins fantaisistes. Auteur d’études crédibles sur les rebelles ADF/MTN, Nicaise Kibel Bel Oka assure à ce sujet que «dans cette région du Grand Nord où le mensonge côtoie la réalité, où le montage s’est fait homme, il est difficile de se prononcer sur la véracité ou non des propos de Kasongo Innocent. Il peut avoir été manipulé (…) il peut tout aussi avoir dit la vérité ». Ce qui n’enlève manifestement plus rien au fait que dans le drame vécu dans la région de Beni depuis près d’une décennie, les responsabilités ne sont pas exclusivement d’importation.
LE MAXIMUM