Dans les provinces en guerre du Nord-Kivu et de Ituri, les nouvelles du front ne sont pas reluisantes en cette fin de janvier 2022. Même si les forces négatives ADF et Codeco s’éloignent des agglomérations urbaines, s’enfonçant de plus en plus loin dans les immenses forêts environnantes d’Irumu et de Mambassa, d’où elles lancent des attaques ‘‘hit and run’’ contre les populations civiles.
Fuyant l’artillerie des forces conjointes ougando-congolaises, les terroristes ADF semblent avoir érigé de nouveaux QG entre le Nord-Kivu et l’Ituri. Dans la nuit de lundi à mardi 25 janvier 2021, ils ont ainsi tué 13 civils et incendié des motos et des habitations à Luna-Samboko (Sud du territoire d’Irumu en Ituri). Selon des sources locales, ils provenaient de Vuhira (Nord-Kivu).
Pris en étau
Mardi 25 janvier, 5 corps de civils tués à la machette ont été découverts à Uwalele et Ndume à la frontière entre le Nord-Kivu et l’Ituri, à une trentaine de km de Mayimoya par des villageois accompagnant une patrouille FARDC dans la région. 2 jours auparavant, c’est à Mapendo-Mayele que 7 corps avaient été retrouvés par des agriculteurs d’Oïcha se rendant à leurs champs, selon la société civile locale.
Rebelles ADF et miliciens CODECO semblent néanmoins pris en étau.
Vendredi 21 janvier, Jean-Tobie Okala, responsable de l’information publique de la Monusco en Ituri, faisait état de la ‘‘neutralisation’’ par les casques bleus de 10 miliciens CODECO à Kessali, en territoire de Djugu à 70 km de Bunia. Une importante quantité d’armes et de munitions avaient été saisies au cours de cette opération d’envergure lancée pour déloger les miliciens de ce réduit d’où ils commettaient des exactions contre des civils. «Cette opération de la MONUSCO a porté un coup dur aux capacités de nuisance de ces assaillants dans cette localité. Enfin, cette opération, qui était la deuxième du genre dans cette zone, ouvre la voie aux humanitaires qui peuvent ainsi intervenir et porter secours aux populations civiles en détresse», a expliqué Okala.
Jeudi 20 janvier, des miliciens CODECO avaient attaqué la base des casques bleus à Roe toujours à Djugu, entraînant une riposte musclée qui les a fait fuir, rapporte-t-on.
Appui de la société civile
A Beni, lundi 24 janvier 2021, le capitaine Anthony Mwalushayi, porte-parole de l’opération Sukola 1, en appelait ainsi à la coopération de la population qu’elle invitait à dénoncer tout mouvement de rebelles dans la région afin de conforter les acquis des opérations militaires en cours. «Nous invitons la population civile dans son ensemble, et surtout la société civile à nous aider avec les informations sur l’ennemi. Donc nous devons dénoncer l’ennemi et nous devons faire tout ce qui est possible pour ne pas apporter un appui logistique ou opérationnel à cet ennemi pour préserver la paix. La population et l’armée ont un seul objectif : la paix», a-t-il déclaré sur les antennes de la radio onusienne.
Le capitaine Mwalushayi félicitait et encourageait ainsi les organisations de la société civile et de défense des droits de l’homme qui ont multiplié les alertes sur les mouvements rebelles de l’Est vers l’Ouest du territoire de Beni à la suite des bombardements et attaques des forces conjointes UPDF-FARDC. «Chacun a un rôle important à jouer dans l’avènement de la paix. Et nous demandons à la société civile de nous alerter à temps et d’éviter de le faire dans les réseaux sociaux. La société civile doit travailler réellement pour sa population et dans le sens d’aider son armée avec les informations fiables et vérifiables qui peuvent aider les troupes sur terrain et empêcher l’ennemi à traverser là où il y a la population civile», avait-il ajouté. Manifestemment sans se faire entendre de tout le monde.
Quiétude interrompue
En effet, tôt le matin le même lundi, la quiétude des habitants de la ville de Beni était interrompue par des crépitements de balles dans certains quartiers de la commune de Mulengera. C’était la police congolaise qui tentait de disperser des manifestants érigeant des barricades pour exiger la fin de l’état de siège. Des échauffourées s’en sont suivies, opposant les forces de l’ordre à des hordes de jeunes rameutées notamment par les ONG Lucha (Lutte pour le Changement) et Véranda Mutsanga qui s’étaient mobilisées contre les FARDC en dépit de l’opposition de toutes les autres organisations de la société civile locale.
Atteint d’une balle à l’abdomen, Mumbere Ushindi, un manifestant de 22 ans, a succombé à ses blessures quelques heures plus tard. «A Beni, lorsque les ADF ne tuent pas, la Lucha vole à leur secours en mettant la ville sens-dessus sens-dessous», commente pour Le Maximum un activiste des droits de l’homme de Beni, exaspéré par les appels à manifester de ses collègues de Goma et Kinshasa. Il n’est pas le seul à déplorer cette interruption de la relative quiétude observée sur le terrain.
Au quartier commercial surnommé Matonge, les commerçants se sont empressés de fermer boutiques, par crainte de pillages. Interrogés, beaucoup parmi eux soutiennent que «les villes mortes et autres manifestations du genre n’apportent rien, seul le dialogue est constructif». Ils exhortent plutôt les autorités à «redoubler d’efforts contre les terroristes afin que la mutualisation des forces FARDC-UPDF porte ses fruits», rapportent des médias locaux.
Consensus rompu ?
La manifestation contre l’état de siège à l’instigation de Lucha compromet ainsi le consensus observé parmi les leaders d’opinions et acteurs politiques locaux et nationaux depuis le déclenchement des opérations militaires conjointes FARDC-UPDF début novembre dernier. Mardi 25 janvier, Martin Fayulu de la coalition Lamuka (ou de ce qui en reste), en a rajouté une couche. «Je condamne fermement l’assassinat du militant de la Lucha, Mumbere Ushindi, hier à Beni. Il est clairement établi aujourd’hui que l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri est un échec. La population est exaspérée, il faut donc urgemment revenir à l’administration civile», a-t-il écrit dans un tweet rageur.
Jean-Paul Ngahangondi, un élu provincial du Nord-Kivu, également hostile à la mesure exceptionnelle de Félix Tshisekedi, a lui aussi condamné la mort du manifestant, estimant que «l’état de siège n’est pas synonyme de jungle.Les citoyens ont le droit de manifester pacifiquement selon la constitution du pays».
Avant de décréter, lui aussi, que l’état de siège était «inefficace parce que les civils continuent de mourir à la suite d’incursions attribuées aux ADF et aux assassinats ciblés à Goma».
Bisbilles ougandaises
Les incidents de Beni coïncident avec une vive controverse au parlement ougandais sur le financement de «Shujaa», nom donné à l’intervention de l’UDPF en RDC, dont les besoins se chiffrent à 89,7 milliards de Shillings (25.448.293,65 USD).
Vendredi 21 janvier, la presse ougandaise a rapporté des discussions parlementaires houleuses autour de l’intervention militaire en RDC, décidée par le président Museveni «sans l’aval préalable des députés». Le budget soumis à l’approbation de la commission Défense et affaires intérieures du parlement ougandais par Jacob Oboth Oboth n’était pas suffisamment détaillé, selon des parlementaires de l’opposition qui ont exigé que le gouvernement obtienne une autorisation formelle d’engager l’armée à étranger. Ces élus ougandais reprochent également à l’UPDF de solliciter un financement annuel pour une opération ne devant durer que 6 mois, selon les mêmes sources. Rosemary Nyakikongoro, élue du district de Sheema et présidente de la commission Défense et affaires intérieures du parlement, avait clôturé la séance du jour en invitant le ministre Oboth à revenir avec une demande réaménagée.
L’agitation de la Lucha semble être du pain béni pour l’opposition ougandaise mais qu’y gagne la RDC ?
LE MAXIMUM