L’état de siège en vigueur depuis fin mai 2021 au Nord-Kivu et en Ituri s’est enrichi d’un épisode marquant depuis une dizaine de jours. Mardi 30 novembre, les populations congolaises riveraines du Parc national des Virunga (Nord-Kivu) ont été réveillées par d’intenses détonations d’armes lourdes. Sans s’en effrayer outre mesure. Elles étaient l’œuvre de l’Uganda People’s Defense Forces (UPDF), l’armée ougandaise, dont l’entrée en RDC pour en découdre avec les terroristes ADF était connue depuis plusieurs jours, grâce à une fuite orchestrée par l’ONU via RFI. Jusque tard dans la soirée, des détonations similaires étaient aussi entendues à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu voisin de l’Ituri, province perturbée aussi par les ADF et des groupes armés locaux, dont la CODECO.
La mutualisation des forces ougandaises et congolaises, décidée en mai entre les deux pays, et subtilement rappelée par le porte-parole du gouvernement quelques heures auparavant était effective. Au cours d’un point de presse, lundi 29 novembre, Patrick Muyaya avait en effet annoncé que «dans la suite du travail de mutualisation des renseignements en cours depuis plusieurs mois, le peuple congolais sera informé sur ‘les actions ciblées et concertées’ envisagées avec l’armée ougandaise pour combattre les terroristes de l’ADF, notre ennemi commun».
Le retour de l’UPDF
A Beni, des sources dans la société civile avaient tôt fait de signaler la présence des troupes ougandaises lourdement armées non loin des frontières entre les deux Etats depuis plusieurs jours. Les frappes contre les positions ADF au Parc des Virunga avaient déjà été lancées lorsque Kampala et Kinshasa ont annoncé simultanément mardi 30 novembre l’entrée de l’UPDF sur le territoire congolais ainsi que les frappes aériennes et le pilonnage des positions des terroristes. Elles étaient l’œuvre de l’infanterie ougandaise qui avait gagné le territoire congolais par Nobili, à la frontière entre les deux Etats. Mais aussi d’escouades motorisés à bord d’auto-blindées et de chars de combat, soutenus par des avions et hélicoptères de combat.
Le quotidien ougandais The Independent rapporte que l’accord sur les frappes aériennes et d’artillerie conjointes contre les positions ADF avait été signé le jour même du déclenchement des attaques par le général Wilson Mbadi, Overall commanding officer de l’UDPF et Célestin Mbala, chef d’Etat-major général des FARDC.
L’Ouganda a utilisé des avions de combat russes Sukhoi pour arroser les positions ennemies et les affaiblir, et comptait sur l’expérience de ses troupes au sol dans les affrontements avec les islamistes Al Shabbab en Somalie.
Mutualisation des forces
Au cours d’un nouveau point de presse le 2 décembre à Kinshasa, le ministre congolais de la Communication assurait enfin que les deux armées travaillaient ensemble pour d’une part, partager les renseignements et d’autre part, entreprendre des actions ciblées et concertées en vue de mettre fin à l’activisme de l’ennemi commun ADF. «Nos hommes étaient sur le terrain. Ils étaient appuyés par les forces armées ougandaises. Parce que nous avons convenu ensemble de mettre fin à l’aventure des ADF qui sont des ougandais venus de là mais qui endeuillent plus la RDC que leur pays d’origine», avait ajouté le porte-parole du gouvernement qui a expliqué que «le terrorisme est mondialement combattu en coalition et la RDC ne peut rester en marge d’un tel dynamisme qui a montré ses preuves ailleurs».
Egalement présent à ce point de presse, le général-major Léon-Richard Kasonga, porte-parole des FARDC, a rassuré l’opinion en indiquant que les tirs d’artillerie contre les ADF étaient dirigés vers des sanctuaires occupés par les rebelles dans la forêt et non vers les villages.
Près de 2.00O soldats ougandais
Mercredi 1er décembre, les troupes ougandaises estimées à 1.700 hommes poursuivaient leur déploiement dans cet espace congolais mitoyen de leur territoire, établissant leur QG opérationnel à Mukakati (Beni). Ils étaient commandés par le général-major Kayanja Muhanga, un ancien du corps expéditionnaire ougandais en Somalie où il avait combattu les islamistes Shebbab.
Un porte-parole de l’armée ougandaise avait annoncé que les frappes visant l’ennemi avaient toutes atteint leurs cibles avec précision, permettant des opérations de recherches de nouveaux objectifs. Des informations confirmées à Watalinga par des sources locales. Au moins 4 bases ADF ont été durement frappées dans la seule journée du 30 novembre.
De son côté, Kinshasa indiquait le même jour qu’«à la suite des actions ciblées menées ce matin avec l’armée ougandaise, il a été convenu après évaluation de poursuivre les opérations en profondeur par les forces spéciales des deux pays pour nettoyer les positions des terroristes».
Jeudi 2 décembre, deux nouveaux bataillons FARDC spécialisés en combats de jungle étaient arrivés à Beni d’où ils devaient être déployés pour des opérations conjointes avec l’UPDF, selon des sources militaires locales.
Satisfecit au Conseil de sécurité
La mutualisation des forces ougandaises et congolaises contre les terroristes ADF qui écument le Nord-Kivu et l’Ituri semblait donc évoluer comme dans le meilleur des mondes. Le diplomate nigérien Abdou Abarry, président en exercice du Conseil de sécurité déclarait ainsi que l’initiative méritait d’être soutenue. «Il y a eu un accord entre les autorités de la RDC et de l’Ouganda, en cela c’est une initiative qu’il faut soutenir», avait-il déclaré au cours d’une conférence de presse avant d’ajouter que «ces deux pays mettent leurs forces ensemble pour pouvoir lutter non seulement contre les ADF mais contre la multitude de groupes qui combattent à l’est de la RDC … (ce genre d’union pourrait) se faire au niveau de l’Afrique centrale, non pas seulement entre la RDC et l’Ouganda (et prendre) exemple sur ce que nous avons fait au Sahel avec le G5 Sahel. Mutualiser nos efforts, avoir une volonté politique d’en découdre avec les groupes terroristes ou armés, c’est une bonne initiative».
Bintou, la patronne
Mais c’était sans compter avec la mission onusienne en RDC (MONUSCO) et sa patronne, la Guinéenne Bintou Keïta, ainsi que la nébuleuse d’organisations hostile à la souveraineté de la RDC, dont Amnesty International. Dès vendredi 3 décembre, cette dernière brandissait ‘‘ses’’ priorités pour le pays de Lumumba : la protection des civils et le respect du droit international humanitaire.
Des concepts qui, pour AI, semble devoir prévaloir sur toute notion de territorialité et de sécurité nationale, comme de coutume depuis plus de 3 décennies maintenant. Sarah Jackson, directrice adjointe d’Amnesty International pour l’Afrique a ainsi estimé que compte tenu du fait que des interventions militaires étrangères passées en RDC, y compris par l’Ouganda, avaient abouti à cibler ou à blesser des civils, les armées des deux pays «doivent prendre toutes les mesures requises en vertu du droit international humanitaire pour protéger et éviter de blesser les civils au cours de cette opération (et) aussi éviter de placer des installations militaires à proximité des habitations et lorsqu’ils doivent le faire, donner un avertissement adéquat et évacuer les personnes si nécessaire». Sur l’intégrité territoriale de la RDC, malmenée par une multitude de groupes armés depuis des décennies, aucun mot. Amnesty International soutient plutôt que «la protection des civils et le respect des droits humains doivent être au centre de leurs actions. Les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées et les déplacés à l’intérieur du pays doivent être particulièrement protégés contre les dangers». Une forme d’atomisation territoriale ou de négation de territorialité qui explique l’indifférence observée par cette Ong face à la menace de balkanisation de la RDC.
Offensive anti mutualisation
C’est à quelques détails près, le message alarmant porté par Bintou Keïta, cheffe de la Monusco au Conseil de sécurité, déclenchant une véritable offensive contre la mutualisation des forces armées décidées par deux Etats souverains. «Les défis auxquels le gouvernement (congolais) est confronté dans la mise en œuvre de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu mettent en exergue les limites d’une approche strictement militaire à la protection des civils et la neutralisation des groupes armés», a-t-elle déclaré lundi 6 décembre devant les membres du Conseil, critiquant ainsi vertement l’option militaire de Félix Tshisekedi et son homologue et voisin ougandais, Yoweri Museveni. Pour soutenir sa thèse, Bintou Keïta a indiqué que l’état de siège a provoqué l’augmentation de 10 % de violations et abus des droits de l’homme dans les provinces concernées. Elle lui préfère «une solution durable … qui nécessite un engagement politique plus large pour s’attaquer aux causes profondes des conflits. Pour que la stabilité revienne à l’est du Congo, l’Etat doit réussir à restaurer et à maintenir la confiance de la population en sa capacité à protéger, administrer, délivrer la justice et répondre à ses besoins essentiels», a-t-elle explicité.
Volontés insuffisantes
Nombre d’observateurs de la situation politique dans la région des Grands Lacs ont vu dans cette sortie de la diplomate guinéenne la confirmation de la volonté de certains membres des Nations-Unies de subordonner la pacification de la RDC aux ambitions territoriales des principautés militaires voisines qui servent de têtes de pont à des suprématistes occidentaux. «Pas de paix sans une volonté qui inclue les voisins immédiats représentés ou non par les milices par délégation qu’ils entretiennent chez nous», s’insurge non sans pertinence un politologue congolais originaire de l’Est. D’autant plus que, faisant état de l’évolution de l’engagement des deux armées sur le terrain dans la région de Beni, la cheffe de la Monusco a insisté sur la nécessité absolue de mettre en place des mécanismes opérationnels de coopération afin d’assurer la sécurité des casques bleues des Nations-Unies et de permettre à la Mission onusienne de continuer à appuyer les FARDC dans la protection des civils et la neutralisation des groupes armés. Une opération à laquelle elle s’adonne pourtant sans succès depuis plus de vingt ans, ce qui lui vaut une hostilité grandissante des populations locales. «Le 2 décembre, le commandant de la force Monusco s’est rendu à Kampala pour définir avec les autorités ougandaises les modalités pratiques de cette coordination tripartite. Demain, il sera à Kinshasa pour rencontrer la hiérarchie militaire des FARDC afin de poursuivre ce dialogue initié à Kampala», a encore rapporté Bintou Keïta.
Engrenages
Il n’en fallait pas plus pour voir Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice des Etats-Unis aux Nations-Unies, embrayer le même refrain en déclarant au sujet de la RDC que «les voix des gens doivent être entendues pour s’attaquer aux causes profondes de la violence. Nous sommes prêts à soutenir la RDC lors des prochaines élections». Plus explicite encore, elle a déclaré que «les Etats-Unis exhortent la RDC et l’Ouganda à coordonner et à inclure MONUSCO dans les efforts visant à protéger les civils contre les ISIS-RDC. Les solutions militaires à elles seules ne peuvent pas résoudre le terrorisme». Un point de vue balayé du revers de la main par le gouvernement ougandais dont le ministre de la Défense a aussitôt dit tout le mal qu’il pensait de la force onusienne.
Radio Okapi joue un rôle central dans l’engrenage ainsi mis en branle pour faire échec à la décision prise par Tshisekedi et Museveni, de mutualiser leurs forces militaires contre un ennemi commun. Le 6 décembre, ce média généreusement sponsorisé par les Nations-Unies qui couvre la quasi-totalité du territoire national avait organisé un débat interactif sous le thème «Opérations conjointes UPDF-FARDC : près d’une semaine après, quel bilan ?» dont l’objectif selon un spécialiste était de «saper les décisions des gouvernants en RDC en les interprétant aussi négativement que possible».
Radio Okapi avait aligné en face de Gratien Iracan, un élu de l’Ituri acquis aux opérations conjointes en cours, deux contradicteurs dont un membre de la société civile et un individu présenté comme ‘‘spécialiste en sécurité, géopolitique et sociologie militaire’’. «En y ajoutant le journaliste modérateur de l’émission, cela faisait 3 contre 1», explique ce communicologue de l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC) de Kinshasa. «Les dés étaient pipés d’avance car Okapi voulait coûte que coûte soutenir le point de vue de la Monusco», ajoute-t-il.
Solutions accomodantes
C’est dans ce décor onusien ainsi planté, que s’inscrit ce qui ressemble bien à une de ces manœuvres dramatiques et récurrentes de digression qu’est l’offre de cessez-le-feu et de dialogue du groupe armé CODECO, une des milices les plus sanguinaires sévissant en Ituri.
L’information aurait été transmise à une délégation de notables Lendu dépêchée en son temps pour dialoguer avec les chefs de cette force négative. Diffusée le jour même de la saillie de Bintou Keïta au Conseil de sécurité, cette offre de dialogue était de nature «à conforter la solution pacifiste et attentiste de la mission onusienne en RDC», selon un expert interrogé par Le Maximum. Qui indique à quel point les préalables de CODECO constituent «un inextricable panier à crabes, parce qu’ils exigent le respect de leur cahier des charges, un cessez-le-feu immédiat, la fin de l’état de siège, la prise en charge alimentaire, sanitaire et psychologique pour 40.000 ’’combattants’’». De quoi parlementer ad vitam aeternam avec des égorgeurs sans foi ni lois.
Tshisekedi a eu raison de ne pas s’en laisser conter. Il s’est limité à ordonner la signature mardi 08 décembre de la première «directive des opérations conjointes » FARDC-Monusco entre le général d’armée Célestin Mbala et son homologue de la force onusienne, le Brésilien Marcos De Sa Affonso Da Costa. Une directive qui offrira un espace à la force onusienne pour collaborer avec les FARDC dans son rôle de soutien et de sécurisation du pays, particulièrement sa partie orientale, selon l’officier général onusien.
A l’évidence, la Monusco continuera de camper dans sa posture contre la mutualisation des forces ougandaises et congolaises mais ce n’est pas nécessairement pour mettre un terme à l’activisme des ADF à l’Est de la RDC, puisque selon RFI, c’est une fuite onusienne qui a révélé au public, donc aux terroristes ADF et CODECO, l’imminence d’opérations conjointes FARDC-UPDF contre leurs positions.
LE MAXIMUM