Lundi 1er novembre 2021, lors de la 11ème prorogation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, 30 parlementaires ont signé une déclaration fracassante contre toute prorogation de la mesure exceptionnelle prise par le président de la République début mai dernier. Emmenés par une poignée d’élus de l’opposition fayuliste et katumbiste, ces députés du Nord-Kivu, de l’Ituri et d’autres provinces de l’Est dénoncent la persistance de l’activisme des groupes armés locaux et étrangers; les tueries quasi permanentes de la populations civile ; les pillages de biens, incendies de maisons et destructions d’infrastructures. Autant que les déplacements massifs des populations et les massacres perpétrés par les groupes armés. Les signataires de cette déclaration ont, en conséquence, suspendu leur participation à toute plénière de la chambre basse consacrée à la prorogation supplémentaire de l’état de siège.
De même qu’ils exigent la démission du ministre de la Défense nationale et anciens combattants ainsi que des gouverneurs militaires des provinces sous état de siège, en raison de la détérioration très avancée de la situation sécuritaire dans ces provinces. Ils ont derechef quitté la salle des plénières, laissant leurs collègues voter à une très large majorité la 11ème prorogation de l’état de siège. Ils en ont par ailleurs après le 1er vice-président de l’Assemblée nationale, l’UDPS/USN Jean-Marc Kabund, président des céans pour leur avoir rappelé que l’insécurité déplorée remontait à 30 ans auparavant. «Ces tueries existent depuis trois décennies (…), en lieu et place de protester, il faut faire des propositions», avait-il lancé à la cantonade avant d’ajouter manifestement excédé par ce qui apparaissait à ses yeux comme des excroissances autour d’un problème récemment traité en commission et assorti d’un rapport contenant des recommandations dûment adoptés par la plénière : «nous ne pouvons tolérer le populisme dans le traitement d’une question aussi sérieuse».
Populisme ethno-tribal
Sur cette question hautement sensible comme sur d’autres, des parlementaires de l’opposition font manifestement des pieds et des mains pour tirer les débats hors de l’hémicycle vers la rue. Faute pour eux de pouvoir s’imposer en plénière, compte tenu du rapport de forces en présence largement favorable à l’Union Sacrée pour la Nation (USN) de Félix Tshisekedi.
Appelant ses collègues députés à boycotter la plénière prévue 24 heures plus tard pour proroger l’état de siège, Tembo Yotama, élu de Butembo (Nord-Kivu), avançait déjà dimanche 31 octobre dernier que «son bilan apporte plus de malheur que de bonheur aux Congolais. Prolonger l’état de siège, c’est prolonger le calvaire des pauvres citoyens». Le 1er novembre après l’adoption de la prorogation de l’état de siège, son collègue katumbiste Gratien Iracan a carrément accusé Jean-Marc Kabund de «… cracher sur l’Est de la RDC. C’est pratiquement une guerre déclarée. Nous ne céderons pas face à cet acte», a-t-il écrit sur son compte tweeter, dans le dessein évident de généraliser la rancœur susceptible d’entourer le traitement de la question sécuritaire dans cette partie de son pays. Sur les antennes de Top Congo FM, le 2 novembre, Iracan a poursuivi sur la même lancée, qualifiant les propos de Kabund d’insultes. «Kabund justifie ce qui se passe à l’Est du pays en disant que ces tueries existent depuis trois décennies. Nous avons pris acte de ces injures et des propos déplacés envers les députés nationaux de l’Est de la République, qui ne font que relayer la voix des victimes massacrées jour et nuit à l’Est», a déclaré l’élu de Bunia dans ce même style populiste qui caractérise la parole de nombre d’élus de ces régions martyres. «Les massacres des innocents à l’Est sont devenus donc objet de mépris et de déconsidération des peuples de l’Est. Le pouvoir que nous avons est devenu un pouvoir d’oppression», a encore lancé Iracan.
Hostilité virulente
En réalité, l’état de siège décrété par Félix Tshisekedi dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, le 3 mai 2021, se heurte à une hostilité de plus en plus virulente de la part de la plupart des acteurs politiques et leaders d’opinion des régions concernées. On observe la même attitude dans le chef de plusieurs groupes d’intérêts économique et financier dont les ramifications s’étendent au-delà des frontières nationales, dans certains Etats voisins et en Occident. Leur leitmotiv est que l’instauration de l’état de siège équivaut à la fin immédiate des atrocités qui martyrisent certes les territoires de l’Est rd congolais depuis 30 ans mais sont devenues du pain béni pour certains activistes de la société civile, acteurs politiques, leaders religieux, centres de recherches et médias de tous acabits qui rivalisent d’ardeur pour produire et distribuer bon an mal an des statistiques exclusivement à charge des forces de défense et de sécurité engagées dans la mise en œuvre de l’état de siège.
Un expert militaire contacté par nos rédactions rappelle que «jusque dans les années ’80, les rebelles de Laurent-Désiré Kabila opéraient encore des raids meurtriers dans la région du Lac Tanganyika dans l’ex-province du Shaba bien que la zone ait été invariablement réputée pacifiée, selon la propagande distillée par le parti-Etat MPR de Mobutu qui ne souffrait alors d’aucune contradiction».
A Beni, la capitale administrative du Grand Nord Kivu, le Centre d’études pour la promotion de la paix, de la démocratie et les droits de l’homme (CEPADHO), a annoncé dimanche 31 octobre, que 40 civils avaient été tués par les ADF en l’espace de dix jours dans le secteur de Ruwenzori. «Larguée sans ménagement dans l’opinion, une telle information suggère que les FARDC sont inactives ou impuissantes», déplore un commandant de la police nationale qui n’a que peu de chance d’être entendu. Le martèlement autour des ‘‘exploits’’ rebelles est en effet trop puissant et insistant au point de rendre quasiment inaudible tout autre son de cloche.
Rapports et statistiques à charge
Le même samedi 30 octobre, Jean-Paul Ngahangondi, un député provincial du territoire de Beni, affirmait dans un tweet que «depuis l’instauration de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, il y a quelques mois, un tableau sombre de 1.459 personnes tuées, 357 civils emportés, 45 véhicules brûlés, 402 maisons brûlées par les ADF. État de siège sans opérations militaires est une vaste blague».
Un jour auparavant, le 29 octobre, le Baromètre sécuritaire du Kivu, une revue scientifique spécialisée dans les questions sécuritaires qui tient ses lettres de noblesse de son affiliation avec une université américaine (ça fait plus crédible), annonçait qu’«au moins 14 civils ont été tués ce matin à Gina (territoire de Djugu, Ituri) lors d’une incursion des CODECO URDPC et ALC. Ils ont également attaqué Nizi…». Un véritable matraquage de l’opinion qui confine à un lavage systématique de cerveaux.
Certes, on ne saurait mettre en doute l’occurence de ces incidents déplorables. Mais ce qui pose problème, c’est que la plupart de ceux qui en rendent compte se laissent aller à occulter la pression constante des FARDC sur les forces négatives qui, dans leur débandade, s’en prennent à la population, ainsi que l’a rappelé le général e.r. Kabanda, ministre de la Défense nationale au conseil des ministres du 29 octobre 2021.
Ainsi, à Djugu (Ituri), 27 miliciens CODECO ont été neutralisés par les FARDC en une semaine, selon une information livrée à la presse vendredi 29 octobre par le porte-parole militaire dans la région.
Le lieutenant Jules Ngongo renseignait également que plusieurs armes avaient été récupérées. Le même jour à Nyaleke, un centre d’instruction FARDC dans la périphérie de Beni, 24 bombes artisanales et une dizaine de détonateurs étaient récupérées des mains des terroristes ADF avant d’être détruites par l’Unité de lutte anti-mines des Nations Unies et l’armée loyaliste.
Coups décisifs contre les agresseurs
5 jours plus tôt, le 24 octobre dans la même ville de Beni, le commandement FARDC avait présenté aux médias et à l’opinion 14 éléments ADF capturés aux combats. Parmi eux, 6 étrangers, des Ougandais, des Tanzaniens et des Burundais. Mais surtout, dans le lot des compatriotes capturés, l’épouse rd congolaise du n° 2 des rebelles ADF ainsi que son garde du corps.
Curieusement, c’est une chape de silence qui s’est abattue sur ces nouvelles plutôt encourangeantes. Comme sur d’autres diagnostics et statistiques diffusés régulièrement par les sources officielles depuis 5 mois.
La prise de Shanga Rukya Kavugho, l’épouse Nande du n° 2 des ADF et belle-sœur du tristement célèbre Jamil Mukulu, le fondateur de ce mouvement rebelle, actuellement détenu en Ouganda, relève pourtant de l’exploit. La dame est un véritable «gros poisson dans les filets des FARDC», selon Nicaise Kibel’Bel Oka, un excellent confrère qui couvre la région depuis une trentaine d’années.
On découvre que cette «araignée dans le recrutement et le ravitaillement des islamistes» ainsi que sa famille vivaient tranquillement à Kyavinyonge, un quartier de la commune de Ruwenzori à Beni, à quelques pas de l’école anglicane.
Rukya Kavugho, épouse Nande du N° 2 des ADF
Cette recruteuse de jeunes congolais terroristes est originaire de Bashu avec des liens de sang en Ouganda voisin, comme nombre d’habitants de Mupanda à Bwera, assure notre source. Sa famille et elle-même étaient au service des ADF/MTM depuis près de 23 ans, ainsi que l’atteste l’arrestation en 2010 de son frère cadet, un handicapé physique dénommé Mahumud par l’ANR. L’homme aurait disparu des geôles des services congolais d’intelligence après avoir demandé à se rendre aux toilettes pour ne plus en revenir.
Des documents extrêmement compromettant attestant de sa collaboration avec les ADF et les Shaabab Somaliens avaient été pourtant trouvés sur lui. Mahumud réapparaîtra quelques années plus tard, se faisant de nouveau arrêter avant de disparaître de nouveau comme par enchantement, bénéficiant de toute évidence de solides réseaux de complicité locale. «Depuis, il est redevenu un électron libre dans l’espace Grand Nord et l’Ouganda», révèle Kibel-Bel. Qui renseigne que la famille de la femme Nande du n° 2 des ADF est de la lignée du grand chef de terre Kibangu, le même à qui l’on doit l’érection d’une imposante mosquée à Butembo, cédée par la suite à la section locale de la Communauté Islamique du Congo (COMICO).
Jamil Mukulu lui-même était lié à la famille Kibangu par une sœur de Shanga Rukya Kavugho, qui était son épouse. Il a été arrêté en Ouganda suite à la trahison d’un ses beaux-frères Abdou Kisando qui aurait révélé sa présence aux services de sécurité ougandais. Depuis lors, toute la famille Kibangu vit en clandestinité au Nord-Kivu comme si le fondateur de ADF y exerçait une sorte d’impérium qui ne dit pas son nom, assure notre source.
Pour la 1ère fois, des centaines de collabos aux arrêts
Avec Shanga Rukya Kavugho, l’état de siège a permis l’interpellation et l’incarcération de nombreux autres collaborateurs des ADF dans la région de Beni aussi bien qu’en Ituri. 223 selon le porte-parole de l’état-major-général FARDC à Kinshasa. Mais dans la région, la question de la responsabilité de certains autochtones Nande et autres dans l’extermination de paisibles citoyens depuis 3 décennies est entourée d’une sorte d’Omerta. Les massacres restent du domaine de l’acceptable tant qu’ils sont perpétrés pour ainsi dire «entre soi». Ils ne deviennent inacceptables que lorsqu’ils sont enregistrés en période de l’état de siège perçu par d’aucuns comme une sorte d’occupation étrangère.
Même le bilan à mi-parcours rendu public par le haut commandement militaire congolais le 26 octobre dernier a à peine fait broncher nombre des élites locales. Le tableau synoptique présenté à cette occasion indique que l’armée nationale a neutralisé 632 éléments des forces négatives en un mois, de la mi-septembre à la mi-octobre 2021. Durant la même période, plus de 119 rebelles ont été capturés, 569 autres se sont rendus, plus de 615 otages ont été libérés. 1.301 armes ont été récupérées. Mais on a l’impression que ces statistiques n’arrangent guère les affaires de tout le monde. «Cela doit faire mal à leurs sponsors (Ndlr, des ADF). L’insurgé ici semble se mouvoir dans la population comme un poisson dans l’eau», estime encore notre confrère pour qui «tous ceux qui le (Ndlr, l’état de siège) boudent et le jugent comme un échec étaient en fait habitués à cohabiter avec les islamistes MTM». Et à les protéger dans une sorte d’élan d’affinités ethno-tribalo-affairiste qui n’est pas sans rappeler ce slogan en vogue chez les jeunes français d’il y a quelques décennies: «Touche pas à mon pote».
Dans les régions martyres du Grand Nord Kivu et de l’Ituri, il sourd comme une revendication du droit à l’autodestruction : «Touche pas à mes ADF».
Massacres autochtones acceptables
L’appel à la fin de l’état de siège hic et nunc apparaît également comme une revendication territoriale tribalo-ethnique. C’est un appel à la fin de la présence de forces militaires allochtones, constituées de non-originaires, même s’il s’agit de forces gouvernementales et donc nationales. Le rapport parlementaire d’évaluation des opérations militaires en cours dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri illustre cet état d’esprit des élus de la région. Ils reprochent à la hiérarchie militaire de ne pas permuter des unités qui ont séjourné longtemps dans les zones de combat, entre autres.
La revendication aurait parue logique et justifiée si certains leaders politiques locaux ne la traduisaient pas en revendication ethno-tribale. A l’instar de Ngahangondi qui soutient que «la solution de Beni-Ituri réside dans le retrait de toutes les troupes ex-CNDP (Officiers et militaires de rang) et leur remplacement par ceux venant de l’Ouest du pays». Ici, le ressentiment vis-à-vis de toute présence allochtone a la peau dure, depuis des lustres. C’est connu.
Pas plus tard que mardi 2 novembre à Butembo, des citadins revanchards ont brûlé une moto DT de la PNC qui avait pris en chasse des conducteurs réfractaires aux contrôles d’usage. Des agents de l’ordre tabassés par des conducteurs de taxi-motos et de voitures, ont vu 4 de leurs collègues grièvement blessés et transférés à l’hôpital général de Matanda. «Imposer l’autorité policière a toujours été un casse-tête à Butembo puisque nous appliquons la même recette : une police puisée des corps allochtones (Kinshasa), se comportant avec les civils de Butembo comme en terrain conquis face à des esclaves ou des prisonniers de guerre sans droits», explique, convaincu, un leader local qui se garde de condamner cette agression contre les forces de l’ordre. Comme si les ADF qui égorgent indistinctement femmes, enfants, jeunes et vieux avec un sang-froid et une sauvagerie sans nom se comportaient mieux. Ou encore ces milices maï-maï qui écument les bas-fonds des villages riverains de Beni et de Butembo, pillant, extorquant, violant et imposant taxes et impôts aux paisibles villageois. Eux, ils ont la chance de ne pas être perçus comme allochtones et sont donc ‘‘tolérés’’.
La pacification des provinces troublées du Nord-Kivu Nande et de l’Ituri se heurte ainsi à un repli politico-identitaire extrêmement contre-productif dans le processus de restauration de l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire national. Autant que l’éradication de la 10ème épidémie de la maladie à virus Ebola apparue dans la région début août 2018, qui causa la mort de 2.287 personnes au Nord Kivu, dont une grande partie en raison de l’hostilité contre les vaccins manipulés par des agents sanitaires ‘‘étrangers’’. Décidément, certains à l’Est répugnent à être libérés des affres de l’insécurité par Félix Tshisekedi, qui en tirerait ainsi un bénéfice politique indéniable est inacceptable pour nombre d’acteurs politiques nationaux, africains, foire, occidentaux.
LE MAXIMUM