Prestation de serment devant la Cour constitutionnelle, mardi 26 octobre, suivie 24 heures plus tard de la remise et reprise formelle avec l’équipe sortante du bureau de la CENI. Les choses sont allées plutôt vite. L’équipe Denis Kadima, (président, société civile); Bienvenu Ilunga Lembow (1er vice-président, Majorité); Patricia Nseya Mulela (Rapporteur, Majorité); Paul Muhindo Mulemberi Vahumana (Rapporteur-adjoint, Majorité); Sylvie Birembano Balume (Questeur Adjoint, Majorité); Lupemba Mpanga Ndolo (Membre (Majorité); Fabien Boko Matondo (Membre, Majorité); Blaise Ditu Monizi (Membre, Opposition); Roger Bimwala Mampuya (Membre, société civile); Joséphine Ngalula (Membre, société civile); Gérard Bisambu Mpangote (Membre, société civile); Adine D’or Omokoko Asamato (Membre, société civile); est finalement et formellement entrée en fonction au siège de la centrale électorale congolaise, boulevard du 30 juin à Kinshasa. C’était mardi, en présence notamment du 1er ministre, Sama Lukonde, et des présidents des deux chambres Christophe Mboso N’Kodia et Modeste Bahati. La nouvelle équipe dirigeante de la CENI a juré de «garder les secrets des délibérations et des votes même après cessation de leurs fonctions».
Ce ne fut pourtant pas facile d’en arriver là, ainsi qu’en atteste les vides à combler : trois postes réservés à l’opposition politique qui, jusqu’au moment où nous mettions sous presse, se déchirait encore quant à l’attitude à adopter devant les appâts ainsi tendus et les pressions de toutes sortes, les unes aussi fortes et insistantes que les autres, pour faire capoter le processus de mise en place du bureau de la CENI, à défaut de réussir à en imposer les membres.
A ces tergiversations, l’Assemblée nationale dirigée par l’USN Christophe Mboso avait mis un terme samedi 16 octobre 2021 avec l’entérinement d’une majorité de membres de la CENI. Après moult bagarres dans et hors de l’hémicycle du Palais du peuple de Kinshasa.
Arcboutés contre le candidat de l’église kimbanguiste soutenue par 6 confessions religieuses parmi les 8 habilitées à choisir le n° 1 de la centrale électorale, catholiques et protestants, soutenus par une grande partie de l’opposition politique et quelques tireurs aux flancs de la majorité appuyés par les puissants réseaux d’influence de la communauté internationale, auront fait des pieds et des mains pour bloquer cette désignation. En refusant carrément le vote pourtant prévu par les textes légaux qui organisent la désignation des membres de la CENI et prévoient un vote à défaut de consensus.
Reproche principal contre la meilleure candidature sur papier, de l’avis quasi général : Denis Kadima serait proche du chef de l’Etat en place du fait de son appartenance ethno-régionale. Accessoirement, ses pourfendeurs ont avancé que la candidature adoubée par leurs 6 homologues a été entachée par des offres de corruption et de menaces, sans en apporter la moindre preuve.
Pressions diplomatiques
A la place, on a eu droit à un véritable ballet diplomatique au Palais du peuple où tout ce que Kinshasa compte d’ambassadeurs accrédités a accouru vers Christophe Mboso Nkodia, le speaker de la chambre basse du parlement, pour lui prodiguer de «sages conseils» sur ce dossier sensible. Contrairement aux ambassadeurs de Chine, de Russie et des pays africains soucieux du respect de la souveraineté de la RDC en cette matière, ceux des pays occidentaux ont embouché les trompettes du consensus unanime à tout prix pour la désignation du patron de la centrale électorale. Même Mike Hammer, ambassadeur américain à Kinshasa, réputé très proche du pouvoir tshisekediste, a repris ce refrain anti-démocratique qui subordonne le principe de la majorité à une sorte de sentimentalisme évangélique.
Derrière le blocage du processus de désignation du successeur de Corneille Nangaa à la tête de la CENI se dissimulait une stratégie politique assassine pour le chef de l’Etat en place : le retard dans l’enclenchement d’opérations pré-électorales dont dépendent les élections fixées d’ores et déjà par la constitution à 2023. En cas de dépassement de ce délai constitutionnel, le président de la République sortant, candidat à un second mandat ainsi que cela s’entend logiquement, risque de se retrouver dépouillé de toute légitimité et de toute légalité, ce qui l’exposerait à des nouveaux engrenages politiques «consensuels» semblables à ceux qui ont ruiné l’image de son prédécesseur entre 2016 et 2018 en dépit des efforts qui permirent à ce dernier de faire financer toutes les opérations électorales sur fonds propres.
L’astuce est connue des Congolais depuis qu’un précédent président de la CENI, Ngoy Mulunda, avait révélé les pressions dont il avait fait l’objet en 2011 par la communauté internationale pour ne pas organiser la présidentielle dont le report fut très critiqué par la suite par la même communauté internationale. Une histoire kafkaïenne qui n’est pas sans rappeler le chien de la légende accusé de rage par ceux qui n’avaient d’autre objectif que de le tuer…
On sait qu’en 2018, dépouillé de toute légitimité, le chef de l’Etat sortant, arrivé fin mandat légal depuis 2016, ainsi que sa famille politique ont perdu la présidentielle.
Parer au plus urgent
Pour la majorité USN au pouvoir à Kinshasa, il était donc impérieux de parer au plus pressé en obtenant coûte que coûte la mise en place de la CENI pour échapper à ce piège du glissement. Que ce candidat fut Kadima ou non. Un expert électoral interrogé par Le Maximum sur le sujet assure qu’«au point où on en était, même Ronsard Malonda, le candidat précédemment récusé faute de consensus et en l’absence d’autres membres de la CENI aurait été entériné et investi». Il ne croyait pas si bien dire. Denis Kadima, un expert électoral connu et reconnu, apparaît à cet égard avec ses 11 pairs comme les candidats anti-glissement pour le pouvoir en place. C’est sans doute la raison pour laquelle ceux qui entretiennent le dessein de ‘‘dégager’’ le président de la République en place dès 2023, avec ou sans présidentielle s’acharnent contre lui. Quelques princes de l’église catholique dont la proximité avec leurs certains de leurs homologues protestants et des leaders de l’opposition sont dans ce cas. Ils ne décolèrent pas de voir les candidats de leurs mentors, comme l’ancien gouverneur et milliardaire katangais, Moïse Katumbi Chapwe et accessoirement Martin Fayulu, risquer de mordre la poussière devant un Tshisekedi tout feux tout flammes.
L’entérinement de l’équipe Kadima le 16 octobre dernier n’aura été qu’un rituel habituel en RDC. La plénière convoquée quelques heures plus tôt fut houleuse et le président de la séance, l’USN Christophe Mboso avait dû user de tout son tact pour faire échouer les tentatives de sabordage orchestrées par un groupe d’élus de l’opposition. Parloir démonté, micros emportés, c’est à partir du perchoir autrement mieux protégé que le rapporteur de la commission mise sur pied pour présenter le dossier d’entérinement a lu le texte soumis à l’adoption.
Il y a quelques années lors de l’entérinement de l’équipe sortante de la CENI, le vote de la chambre basse s’est déroulé en l’absence notable d’une opposition consciente du rapport de force en sa défaveur au sein de l’hémicycle.
C’est toujours en prévision des calculs électoraux des uns et des autres que ce genre d’incidents survient. La culture politique ambiante tend à faire croire que c’est la CENI, et particulièrement son président, et non les électeurs qui a la haute main sur le choix de l’élu. On comprend dans ces conditions que même au sein de la majorité, certains membres, les katumbistes notamment, se soient désolidarisés de leur famille politique sur ce dossier de la composition du bureau de la CENI à travers un communiqué rendu public un jour plus tôt, le 15 octobre, ce qui n’a pas empêché la balance de pencher en faveur de Denis Kadima.
Défections dans les rangs
Le même tohu-bohu a été observé dans les rangs de l’opposition où on a vu par exemple le député Ecidé Ditu Monizi, un important soutien politique de Martin Fayulu de la Tshangu depuis les législatives de 2006, entrer au nouveau bureau de la CENI pour le compte de l’opposition politique. Tout comme le député AMK (Ensemble de Moïse Katumbi) Paul Muhindo, être désigné rapporteur adjoint du bureau pour le compte de cette composante réfractaire de la majorité.
En réalité, les deux challengers de Tshisekedi à la prochaine présidentielle auront laissé des plumes dans cette procédure de composition du bureau de la CENI qui a notamment révélé le caractère illusoire de leurs poids politiques respectifs.
Selon des sources proches des katumbistes, la débandade est patente parmi les 70 élus de la plateforme Ensemble pour la République (30 de AMK & Alliés + 40 de MS-G7). Les injonctions du chairman ne sont plus paroles d’évangile. Au moins 22 des 30 députés AMK & Alliés ont soutenu la candidature d’un des leurs au nouveau bureau de la CENI. «Il y a eu un large consensus. Non seulement les députés de AMK et Alliés, il y a même les députés de MS-G7 qui ont soutenu les propositions que nous avons déposées au niveau du bureau et le bureau a transmis à la commission paritaire», déclare à ce sujet Simon Mulumba, un député d’Ensemble. L’éventualité annoncée dans sa lettre ouverte à Tshisekedi par Moïse Katumbi de claquer la porte de l’USN comporterait un risquer sérieux d’entamer l’intégrité de sa plateforme Ensemble pour la République. «Aucun ministre n’est prêt à le suivre, ni l’impétueux Muhindo Nzangi, ni Mwando Nsimba, son homme de confiance», révèle-t-on. Les deux sont titulaires des portefeuilles de l’Enseignement supérieur et universitaire et du Plan.
Rituelles aussi s’avèrent donc les réactions enregistrées et à venir autour de la désignation de Denis Kadima à la tête de la CENI et de la composition du bureau qui chapeaute désormais l’administration électorale congolaise. Une opposition se redessine, avec quelques prélats catholiques et protestants à sa tête, qui mettra tout en œuvre pour faire capoter le processus électoral et dénoncer comme d’habitude à priori et à posteriori les résultats des élections à venir.
Comme sous Joseph Kabila il y a quelques années, le 5ème président rd congolais n’aura d’autres alternatives que de «faire avec ceux qui en veulent».
LE MAXIMUM