L’Etat de siège décrété au Nord-Kivu et dans l’Ituri depuis quelques mois ploie sous les coups de boutoirs d’adversaires pour le moins inattendus de la décision présidentielle. Des congolais, pour la plupart leaders d’opinions dans les régions en proie à l’activisme assassin des forces négatives donnent de la voix pour que soit mis fin à cette mesure exceptionnelle décidée par Félix Tshisekedi pour en finir avec les atrocités commises contre les populations civiles.
La semaine en cours, plutôt riche en événements macabres, est venue apporter de l’eau au moulin de ces adversaires de la décision présidentielle, plus ou moins bien accueillie jusque-là par les populations civiles bénéficiaires. Mercredi 1er septembre 2021, les rebelles ADF ont attaqué un convoi sécurisé de commerçants sur la RN 27 entre Komanda et Luna (Ituri). Au moins 16 véhicules, ont été incendiés par les assaillants qui ont en plus enlevé plus de 50 personnes. Les faits se sont déroulés vers 10 heures locales à Ofayi, un village de la chefferie de Walese-Vunkuto en territoire d’Irumu. Le trafic sur cet important axe routier qui mène vers la province voisine du Nord-Kivu s’en est trouvé interrompu en raison d’affrontements qui s’en sont suivis entre les FARDC et les assaillants.
En fin de journée, des sources militaires annonçaient la libération des otages gardés par leurs ravisseurs rebelles ADF au village «3 Antennes» à 25 km de Komanda, mais rien n’y a fait. La récupération de l’incident malheureux par les adversaires de l’état de siège semblait trop intense pour faire le poids.
Du pain béni
Parmi les pourfendeurs de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, le député national Ecidé de Goma Jean-Baptiste Muhindo Kasekwa qui a été parmi les premiers à rapporter que de «présumés ADF» ont réussi à terrasser une escorte FARDC-MONUSCO. Mais surtout, qu’«aucun assaillant n’a été capturé». Quelques minutes plus tard, sur son compte twitter, Muhindo larguait une information qu’aucune source indépendante n’a confirmé en révélant qu’au même endroit, un certain Paluku venait d’être égorgé et sa moto incendié alors qu’il était à la recherche de nourriture pour sa famille. «Comme d’habitude, les assassins circulent librement dans les parages de positions militaires. Inexplicable», commente-t-il, suggérant ainsi quasiment la conclusion postée par un activiste des droits humains, Bienvenu Matumo membre de la Lutte pour le changement (Lucha), une nébuleuse de la société dite civile en RDC auteur de la campagne de désinformation financée par Georges Soros, le richissime homme d’affaires US à l’origine des printemps arabes, à laquelle avaient également pris part des activistes sénégalais et burkinabès appelés en renfort contre le pouvoir de Joseph Kabila, pour qui «l’état de siège a subi un échec cuisant … et doit être levé rapidement».
Coups de boutoir
Face à ces coups de boutoir apparemment bien orchestrés contre l’état de siège, la communication officielle toute empreinte d’obligation de réserve et de langage de bois se révèle inefficace.
En conseil des ministres vendredi 27 août, c’est à peine si le chef du gouvernement de retour d’une mission d’évaluation dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, s’est félicité de l’évolution de la situation sur le terrain. Jean-Michel Sama Lukonde a «salué l’évolution sur terrain notamment avec la reprise des positions clés, une dynamique à préserver. Il a rappelé pour ce faire la nécessité pour les ministres en charge du Budget, des Finances et de la Défense nationale et anciens combattants de faire le suivi permanent des besoins logistiques pour les troupes engagées au front», a pourtant annoncé le compte-rendu lu par le porte-parole du gouvernement. Traduction : «les FARDC arrachent des positions clés aux adversaires … il faut veiller à ne pas arrêter la dynamique en poursuivant le financement des opérations sur le terrain ». Un rapport qui ne semble pas avoir été démenti. Même pas par l’attaque surprise de mercredi dernier sur la RN 27 qui relève davantage du coup d’éclat isolé que d’une situation générale, ainsi que tentent de le faire croire les adversaires de l’état de siège. «Dans le Nord-Kivu, le 1er ministre s’est rendu à Oïcha, chef-lieu du territoire de Beni, jadis bastion de l’insécurité. Il s’est adressé à la population de cette partie du territoire en rappelant le bien-fondé de l’état de siège», a encore précisé le communiqué gouvernemental. Que de subtilités pour le Congolais lambda noyé dans le déluge d’une campagne de désinformation qui se nourrit d’inévitables couacs sur le terrain des opérations visant à éradiquer un mal ancré dans le tissu sociétal local depuis plusieurs décennies.
Incidents fâcheux
Force est de constater, en effet, la multiplication d’incidents de terrain de nature à ébranler la foi et la confiance des populations civiles dans leurs forces armées. Dans une note d’information humanitaire couvrant la période du 1er au 15 août 2021 OCHA dresse un tableau macabre de 37 civils tués en moins de 10 jours au cours d’attaques armées dans le territoire de Beni et de plus de 17.500 personnes déplacées à Walikale.
Dans le territoire d’Oïcha, au moins 27 civils ont été tués à Mamove, et 2 attaques ont été signalées depuis le 10 août à Kainama, après plus de 4 mois d’accalmie qui ont permis le retour des populations déplacées à Boga (Ituri). Par ailleurs, 10 autres civils ont péri dans une attaque le 14 août à Kikingi au Nord-Est de Beni où plus de 710.000 personnes ont été déplacées mi-août dernier selon OCHA.
Mais il aura fallu attendre le séjour de la délégation gouvernementale conduite par le 1er ministre (qui a pris fin le 24 août) pour s’assurer que Oïcha était redevenu fréquentable grâce aux opérations militaires entreprises par les FARDC. Même si cela ne suffit pas encore pour mettre un terme définitif aux exactions et attaques ciblées des ADF qui se sont encore dramatiquement illustrés en tuant un civil et en incendiant une position de la PNC à Kekelibo (à 2 km d’Oïcha) samedi 28 août. Le même week-end, à Kasanzi-Kitovo (groupement Buliki), une attaque ADF a fait 19 morts dont 10 femmes, selon la société civile locale qui indique qu’une dizaine d’habitations a également été incendiée par les assaillants.
Confusion des priorités
L’appréciation de la situation sécuritaire dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri semble ainsi biaisée par une sorte de confusion des priorités : la question à laquelle ne répondent ni les officiels ni les pourfendeurs de l’état de siège est celle de savoir par où commencer pour ramener la paix ; par la maîtrise de l’espace territorial qu’il faut nettoyer des forces négatives qui l’écument ou par l’éradication ubiquitaire de tous les éléments desdites forces négatives ?
La première alternative semble être celle adoptée par les FARDC : la maîtrise du territoire afin d’y restaurer l’autorité de l’Etat. Il faudrait prouver l’inefficience de cette stratégie avant de la dénoncer, ainsi que le font les adversaires des opérations militaires en cours au Nord-Kivu et en Ituri. C’est sans doute dans cette optique qu’il faut comprendre les propos de Vahumana, un élu du RCD-K-ML qui préside le caucus des députés nationaux du Grand Nord, qui a soutenu sur Radio onusienne Okapi que tout allait bien sur le terrain depuis l’instauration de l’état de siège. A quelques heures de la 7ème prorogation intervenue lundi 30 août à l’Assemblée nationale, l’optimisme de Vahumana a offusqué les adversaires de la mesure présidentielle qui jouent des pieds et des mains pour obtenir sa suspension en se fondant sur la thèse d’une pacification immédiate et spontanée au Nord-Kivu et en Ituri.
Etat de siège = Paix spontanée
Le 24 août à Goma, les députés provinciaux du Nord-Kivu ont proposé au 1er ministre Sama Lukonde la délimitation de l’état de siège aux régions les plus touchées par l’insécurité, notamment la ville et le territoire de Beni ainsi que le territoire d’Irumu en Ituri. Ou encore la proclamation de l’état d’urgence sécuritaire au Nord-Kivu, assortie de la nomination d’un chargé des opérations militaires.
Une demande également formulée par l’ONG Lucha. «Face aux défis multiples, des défis d’ordre logistique, des défis en effectifs militaires, des défis financiers auxquels fait face la République, notre proposition reste assez claire. Nous avons proposé, sur le plan sécuritaire, la requalification de l’état de siège, soit par sa limitation dans les zones gravement affectées, c’est-à-dire dans la région de Beni et d’Irumu, soit alors, la proclamation d’un état d’urgence sécuritaire suivi de la nomination d’un chargé des opérations. Cette proposition a l’avantage de pouvoir permettre à ce que les efforts militaires puissent être focalisés essentiellement là où il y a un sérieux problème d’insécurité parce qu’il ne faudrait pas confondre l’insécurité de Beni à la criminalité urbaine de Goma. La manière dont on doit résoudre l’insécurité des ADF à Beni n’est pas la même pour résoudre la criminalité urbaine de Goma, Butembo et dans d’autres milieux», avait soutenu Jean-Paul Lumbulumbu, un député provincial élu à Lubero, qui n’a eu de cesse de fustiger la décision présidentielle depuis son annonce début mai dernier. A Kinshasa, le député national Muhindo Kasekwa s’était fendu le 30 août d’une correspondance au président de l’Assemblée nationale exigeant un «recadrage immédiat» de l’état de siège, compte tenu de la persistance des tueries et des enlèvements dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Le député Fayuliste s’opposait, en réalité, à la 7ème prorogation de la mesure présidentielle qui, selon lui, serait «de nature à exaspérer davantage la population longtemps martyrisée et l’inciter à des manifestations de protestations opportunes».
Même son de cloche un jour plus tard à Bunia (Ituri) de la part d’une organisation de la société civile locale. Dieudonné Lossa, son président, estimant que «même après 7 prorogations, la situation est différente de celle présentée dans les bureaux à Kinshasa». L’activiste estime que «c’est depuis plus de trois mois que nous sommes sous état de siège et si on ne peut pas frapper ces groupes armés, si on doit les dorloter, nous ne voyons pas la raison de l’état de siège, autrement dit, la population de l’Ituri est sacrifiée, abandonnée».
C’est également le point de vue du député national iturien Gratien Iracan pour qui «le gouvernement ne dit pas la vérité. Ils font tout pour faire croire que ça marche bien alors que sur le terrain la situation reste la même».
Ces adversaires des opérations militaires et de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri semblent porteurs d’une naïve thèse de «la paix immédiate et spontanée». C’est ce qu’atteste l’évocation de la fameuse «situation sur le terrain», qui pour eux aurait dû radicalement changer en l’espace de 3 mois.
La requalification de l’état de siège sollicitée dans ces conditions ne vise qu’à vider cette mesure sécuritaire d’exception de toute sa substance et à préserver le statu quo ante dont on sait qu’il profite à certains dans ces régions, selon des observateurs avertis.
J.N