La proclamation de l’état de siège dans les provinces martyres du Nord-Kivu et de l’Ituri annoncée à l’issue du 1er conseil des ministres du nouveau gouvernement vendredi 30 avril 2021 fait couler beaucoup d’encre. Et malheureusement, de sang dans le Nord-Est de la RDC. Tout se passe comme si tout y était mis en œuvre pour étouffer dans l’œuf cette mesure draconienne prise par le président Tshisekedi pour faire face au drame quotidien que subissent les populations civiles dans cette partie de la République. Dans la région de Beni, particulièrement, le week-end a, comme de coutume depuis plusieurs années, été infernal. Quelques heures après la fin du conseil des ministres, un élément FARDC se faisait abattre à bout portant par des inconnus à moto à Oïcha, chef-lieu du territoire rural de Beni.
L’infortuné allait à un rendez-vous pris au téléphone lorsque des assaillants l’ont surpris.
Le Lendemain, 1er mai 2021, c’était au tour du Cheik Ali Amini, un Imam bien connu de Beni d’être criblé de balles à bout portant par des assaillants aussi à moto. Il était en pleine prédication dans la mosquée principale de la ville lors de l’attentat qui lui a coûté la vie.
Ali Amini était connu pour ses prédications anti-ADF, ces terroristes ougandais qui écument la région depuis plusieurs décennies et s’illustrent par le massacre sans état d’âme de civils innocents. Il a été inhumé dimanche 2 mai au cimetière musulman de Rwangoma en commune de Beu après des hommages pathétiques.
Beni talibanisé
De nombreuses autres tueries ont été enregistrées dans Beni-rural le week-end dernier, toutes attribuées aux ADF, pourtant pourchassés ci et là par les FARDC. Il y a quelques jours une image atroce, présentant un bébé de plus ou moins 4 mois, tétant rageusement le sein de sa mère pourtant morte, assassinée depuis plusieurs heures, par les mêmes ADF faisait le tour des réseaux sociaux.
De telles affres impunies sont devenues le train-train quotidien dans cette partie du pays où se banalisent les atrocités les plus effrayantes. A Beni, c’est à peine si la communauté islamique s’est engagée à porter plainte contre X au sujet de l’exécution d’un de ses plus illustres membres.
Aussi surprenant que cela paraisse, l’annonce de l’état de siège par le président de la République pour mettre fin au calvaire des populations du Nord-Kivu et de l’Ituri soulève quelques réticences parmi les élites, locales et nationales. Certains universitaires et élus nationaux dénoncent cette décision. De même que des groupes de pression comme la Lucha qui multiplient des conditionnalités au rétablissement de la paix et de la quiétude pour des millions d’habitants de cette contrée.
Parmi ces réactions, on peut noter la position caricaturale à souhait de Dieudonné Nkishi et son «Congo Positif» qui exigent rien moins que l’érection d’un mur aux frontières entre la RDC et ‘‘les pays agresseurs’’. Téméraire et outrecuidant, pareil défi au réalisme élémentaire traduit une totale ignorance des enjeux politiques régionaux et internationaux en présence.
Spéculations savantes et stériles
En déclarant aux médias samedi 1er mai dernier que « le chef de l’Etat avait d’autres possibilités que d’aller directement vers l’état de siège», le député Envol Delly Sessanga a versé dans ce ’’théorisme académiste et juridiste’’ généralement reproché à l’élite rd congolaise : des spéculations à n’en pas finir même lorsque le pays flambe. «La situation sécuritaire à l’Est du pays méritait qu’on prenne des dispositions. Est-ce que maintenant les dispositions qui ont été prises sont les plus adaptées ? J’aurais fait quelque chose de différent si j’avais été en position de devoir décider», a ponctué Sessanga.
La Lucha (Lutte pour le Changement), un groupe de pression qui s’était fait connaître sous le régime politique précédant qu’il accusait de dérive dictatoriale, a elle aussi embouché les trompettes de la dénonciation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri pour des raisons idéalistes et idéelles qui tiennent peu compte du drame quotidien vécu par les victimes des tueries.
Quelles que soient les critiques savantes et érudites contre la mesure présidentielle tendant à pacifier le Nord-Est de la RDC, nombreux sont les Congolais qui estiment que l’heure n’est plus aux élucubrations cérébrales mais à l’action décisive. «Après tout, en politique, la fin justifie les moyens», lance un professeur de l’Université de Kinshasa, interrogé par Le Maximum. Comme pour dire que le plus important, c’est de mette fin au calvaire. La paix vaut bien un état de siège. Et même plus.
Le maximum
Analyse diacrhonique
Étymologiquement, le terme siège vient du latin ’’sediculum’’ qui signifie lieu où on s’établit.
L’expression état de siège renvoie à deux situations différentes : la première, qui correspond à un pouvoir de fait, à un fait réel, est un état de siège militaire qui peut être déclaré par le commandant d’une place assiégée ou menacée par l’ennemi. Il est inexistant en droit congolais.
La seconde est un régime spécial de légalité, comportant un renforcement des pouvoirs de police de l’Etat , justifiée par un péril national. Il est décrété par le président de la République, le conseil supérieur de la Défense entendu après consultation des présidents des deux chambres législatives. Il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire national.
L’état de siège réduit fortement les libertés publiques sans aller jusqu’à la suppression des droits et libertés garantis par la constitution et les lois.
Il se réalise par trois moyens : (i) un transfert de compétences, les pouvoirs de police normalement exercés par les autorités civiles pouvant être transférés aux autorités militaires, sans que ce transfert soit absolu et automatique.
(ii) Une extension des pouvoirs de police, les perquisitions qui d’après les lois en la matière ne peuvent se faire qu’avant 21h et après 6h du matin pourraient intervenir à n’importe quel moment du jour et de la nuit dans les domiciles privés, de même que l’éloignement des repris de justice et individus non domiciliés dans la zone de l’état de siège, la recherche et confiscation des armes et munitions et l’interdiction des publications et réunions jugées de nature à exciter ou entretenir le désordre y compris la surveillance accrue de la population.
(iii) Une extension de la compétence des tribunaux militaires qui pourront connaître des infractions commises par les civils (substitution le cas échéant des juridictions civiles par celles militaires). Il faut préciser toutefois qu’en dehors de ces limitations expressément prévues par les textes, l’état de siège n’a pas d’autre incidence sur le régime des libertés fondamentales et publiques qui subsistent.
En droit positif congolais, l’état de siège trouve son fondement juridique dans l’article 85 de la constitution du 18 février 2006 modifiée et complétée à nos jours.
Aux termes de cette disposition, le président de la République proclame l’état d’urgence ou de siège lorsque les circonstances graves graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions.
Les articles 144 et 145 fixent les modalités, les conditionnalités et l’environnement (procédure) de mise en place de cette mesure.
De l’analyse croisée des dispositions susmentionnées de la constitution, il se dégage que le président de la République proclame l’état d’urgence ou de siège par ordonnance après concertation avec le 1er ministre et les présidents des deux chambres parlementaires. Par la suite, l’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent de plein droit pour adopter par une loi les modalités de la mise en place de cet état de siège.
L’état de siège est décrété pour une période de trente jours sur tout ou partie du territoire national.
L’ordonnance proclamant l’état de siège cesse de produire ses effets de plein droit à l’expiration du délai de 30 jours, à moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le chef de l’Etat après délibération du conseil des ministres, n’en aient autorisé la prolongation pour des périodes successives de 15 jours.
En cas d’état de siège ou d’urgence, le président de la République prend par ordonnances délibérées en conseil des ministres, les mesures nécessaires pour faire face à la situation. Ces ordonnances sont, dès leur signature, soumises à la Cour constitutionnelle, qui, toutes affaires cessantes, en contrôle la conformité à la constitution.
L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent par une loi, mettre fin à tout moment à l’état de siège.
La proclamation de l’état de siège est une mesure qui présente l’avantage d’exercer une forte pression sur les groupes armés avec des moyens conséquents. Elle peut par ailleurs, permettre d’infléchir la courbe des crimes internationaux et de réduire ipso facto les actes de pillage, de braconnage, de kidnapping et de contrebande des ressources naturelles, ainsi que le phénomène coupeur de routes et les assassinats ciblés auxquels on assiste quotidiennement au Nord-Kivu et en Ituri.
Cependant, il existe un risque à ne pas négliger de voir des officiers militaires non-nationalistes et peu loyaux compromettre ces avantages de l’état de siège au Nord et à l’Est de la RDC.
C’est le cas notamment de ceux d’entre eux qui auraient une nationalité congolaise douteuse, ce qui exposerait le pays à un risque de se voir plonger dans la matérialisation de la balkanisation tant redoutée.
Le fait que des civils deviennent justiciables devant les juridictions militaires pendant la durée de l’état de siège est aussi questionné par certains doctrinaires qui déplorent la violation du principe général de droit selon lequel les juridictions militaires sont incompétentes pour juger des civils.
Me Bwanakawa Lumande Laurent