La politique à Kinshasa est en plein bouleversement : la coalition entre le président Félix Tshisekedi et Joseph Kabila s’est effondrée, entraînant une reconfiguration radicale du pouvoir dans le pays. Il s’ensuit des intrigues politiques dont la plupart n’ont que peu de choses à voir avec les besoins du peuple congolais.
Dans le brouhaha de la nouvelle mise en place des institutions, les réformes pour la transformation de l’État et de l’économie semblent être mises en veilleuse, le pouvoir étant devenu pour d’aucuns une fin en soi et non un moyen de développement économique ou de changement social.
La stratégie du camp présidentiel est de «prendre d’abord le pouvoir afin de sortir de cette coalition chaotique avec Kabila et, ensuite, à retrousser les manches», comme l’explique un proche du chef de l’État.
La devise d’Étienne Tshisekedi, «le peuple d’abord» – que les partisans de son fils ne cessent de lui rappeler – a laissé place à l’exhortation de Kwame Nkrumah : «cherchez d’abord le royaume politique et tout le reste suivra».
Tshisekedi a connu un succès fulgurant dans sa démarche d’émancipation politique. Il y a deux ans, les journalistes décrivaient Joseph Kabila comme le pouvoir derrière le trône, et l’opposition affirmait que Fatshi n’était qu’une marionnette. Le parlement, le gouvernement central et les exécutifs provinciaux étaient tous dominés par des fidèles de Kabila jusqu’au début de l’année dernière quand Tshisekedi a commencé à arracher le pouvoir à son allié de la coalition.
Il a remanié dans l’armée et la justice et changé le conseil d’administration de la Gécamines, la plus grande compagnie minière de l’État. Ces mesures ont culminé le 10 décembre 2020 avec la destitution de Jeanine Mabunda, alors présidente de l’Assemblée nationale, puis le 5 février, celle d’Alexis Thambwe Mwamba, président du Sénat. Tshisekedi s’apprête à former un nouveau gouvernement. Des sources croient savoir qu’il s’attellera ensuite à placer des hommes à lui à la tête de la Banque centrale et de la Commission électorale.
Mais rien n’apparaît en termes de plan de réforme. Depuis le début de la campagne électorale en 2018, on ne voit aucune stratégie globale pour réformer l’État, promouvoir la croissance économique et mettre un terme aux conflits violents qui continuent d’ensanglanter l’Est et le Nord du pays.
Cela ne veut pas dire que rien n’a été fait. Immédiatement après sa prise de fonction, le président avait lancé un vaste projet d’infrastructures, le programme des 100 jours dans le cadre duquel le gouvernement affirme avoir construit ou rénové 132 écoles et 82 centres de santé, réalisé d’importants projets de production d’électricité et d’adduction d’eau, et construit une série de sauts-de-mouton à Kinshasa – dont certains ont finalement été inaugurés en décembre 2020.
L’enseignement primaire gratuit est une de ses initiatives phares, lancé en septembre 2019 et qui est effective, du moins selon la Banque mondiale, qui finançait le programme jusqu’à ce qu’elle annonce avoir gelé les paiements en raison de problèmes de gouvernance. 2,5 millions de nouveaux élèves ont trouvé place dans les écoles, à la grande joie des parents.
Cependant, le plan de réforme de Tshisekedi suscite quelques inquiétudes.Bien que le gouvernement ait publié son programme en août 2018, il s’agissait d’une liste à puces de grands objectifs, et non d’un plan détaillé de moyens juridiques, financiers et administratifs nécessaires pour y parvenir. Ainsi, le volet sécurité reprend des généralités du genre «rétablir la sécurité dans le Nord-Est du pays» et «réhabiliter les infrastructures militaires nécessaires».
Certains des discours de Fatshi offrent de meilleurs indices. En restant dans le secteur de la sécurité, par exemple, il a dit qu’il allait mettre en place un quartier général avancé des FARDC à Beni et ouvrir de nouvelles académies militaires en faisant pression pour qu’un nouveau programme de démobilisation soit mis en place sous le label Désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation (DDRCS).
Mais cela ne constitue pas un plan, et peu de détails sont connus. Aujourd’hui, avec plus de 5 millions de personnes déplacées dans l’Est du Congo, où environ 120 groupes armés sont actifs, et un nombre croissant de massacres, en particulier autour de Beni, cette absence de plan et de vision est profondément décevante.
Des objections similaires pourraient être formulées à l’égard d’autres secteurs. Le Congo est le plus grand producteur de cuivre en Afrique, le plus grand producteur de cobalt au monde, et pourtant ce pays de 86 millions d’habitants a un budget national d’environ 5 milliards USD, plus petit que celui de la ville de Seattle (724.000 habitants). Une indication de la profondeur des inégalités qui subsistent dans le monde globalisé.
Comment le gouvernement congolais pourrait-il mieux exploiter ses ressources naturelles au profit de sa population ? Comment réformer le secteur minier ?
Par ailleurs, alors que plus de 70 % de Congolais sont impliqués dans l’agriculture, le ministère de l’Agriculture ne se voit attribuer que moins de 1 % du budget total. Dans certains secteurs, tels que l’éducation et les soins de santé, des plans ont été élaborés, souvent en collaboration avec des donateurs. Mais ils sont rarement débattus en interne.Comme le suggère une évaluation du secteur de l’éducation, il y a «un grand nombre de réformes prévues mais une faible probabilité qu’elles soient toutes mises en œuvre». Plus important encore, la plupart de ces programmes ont été élaborés avant l’avènement de Tshisekedi et n’ont pas intégré ses propres objectifs.
L’autre défi tient à l’organisation. Lorsque Tshisekedi était encore dans une coalition avec Kabila, son gouvernement comptait 66 ministres issus de plus d’une douzaine de formations politiques. Bien qu’il y ait eu des conseils ministériels réguliers, souvent présidés par le chef de l’Etat, beaucoup de ses conseillers se sont plaints que leurs réformes soient entravées par le FCC de Kabila. Afin de faire avancer son programme, Fatshi a commencé à mettre en place une multitude de structures parallèles, gérées par son cabinet. La plus importante de ces initiatives a été son plan d’infrastructure controversé des 100 jours, mis en place avant même l’investiture du gouvernement en août 2019. Même si le parlement n’a jamais approuvé son budget, ce programme aurait coûté entre 488 millions et 2 milliards USD. Tshisekedi a également annoncé la mise en place d’une série de nouvelles agences, dont certaines avaient des mandats qui chevauchaient les structures gouvernementales existantes. Il en est ainsi de l’Agence congolaise de la transition écologique et développement durable; l’Agence pour l’amélioration du climat des affaires; l’Agence de la prévention et de lutte contre la corruption; la Coordination pour le changement des mentalités; le Conseil présidentielle de veille stratégique (CPVS).
Ces agences et conseils présidentiels aux pouvoirs étendus provoquent des grognements de la part même des ministères tenus par des proches du président.
Le CPVS, dirigé par François Muamba, semble avoir été conçu comme un moyen non pas de mettre en place une structure parallèle, mais de suivre les priorités du chef de l’Etat au sein des différents ministères, comme l’a déclaré un de ses conseillers. Tous ces services ont gonflé les dépenses du cabinet présidentiel qui compte plusieurs centaines de membres travaillant sur environ 80 priorités dans différents secteurs selon un conseiller, ce qui alourdit et entrave les réformes.
Correspondance particulière
REFORMES POLITIQUES : Entre intrigues de palais et bien-être collectif
