Dans un communiqué rendu public le mardi 9 février dernier, 117 ONGs de défense des droits de l’homme et mouvements citoyens ont félicité le professionnalisme de nos confrères de RFI pour avoir diffusé les aveux de deux policiers, l’adjudant Hergil Ilunga et le brigadier Alain Kayeye qui affirment avoir participé à l’assassinat du défenseur des droits humains Floribert Chebeya Bahizire et de son chauffeur Fidèle Bazana dans les locaux de l’Inspection générale de la police en juin 2010. Ces organisations estiment que la justice congolaise devrait «en tirer toutes les conséquences en procédant à l’arrestation des généraux John Numbi et Zelwa Katanga nommément cités par les deux présumés assassins, actuellement en fuite à l’étranger depuis l’arrestation du major Christian Ngoy Kenga Kenga, de qui ils affirment avoir reçu les ordres pour commettre ces crimes».
Quelques questions
La cadence et le chronogramme des révélations faites par les deux policiers qui s’assument et accusent sur les antennes d’une radio étrangère sont tout de même questionnables. Notre consœur Sonia Rolley de RFI qui a mené ces interrogations pour le compte de la radio française semble pour le coup avoir agi comme un juge d’instruction qui se permet d’ores et déjà de tirer les conclusions.
On ne peut que se réjouir que des criminels en cavale se soient enfin manifestés pour subir à leur tour la rigueur de la loi après leur condamnation par contumace.
Rappelons par ailleurs qu’au cours du procès public tenu en 2010 sur cette affaire, le général John Numbi qui avait été suspendu de ses fonctions d’inspecteur général de la police nationale par le président Joseph Kabila pour l’empêcher de gêner le travail des enquêteurs, avait comparu comme témoin et n’avait été ni inculpé, ni condamné en l’absence de preuves. En réalité, la nouveauté des révélations de RFI tient simplement au fait que, d’une part, il faut ajouter deux ‘’présumés coupables’’ à la liste des complices de ce crime odieux, et d’autre part, que le corps introuvable jusqu’à ce jour de la deuxième victime, Fidèle Bazana, chauffeur et ami de Floribert Chebeya, pourrait finalement être découvert si les propos de deux policiers étaient avérés. Par contre, la tendance à vouloir se substituer à la justice congolaise comme si elle n’avait pas correctement fait son travail dans cette affaire est pour le moins suspecte. Au vu des témoignages des deux fugitifs recueillis par RFI, on devrait donc applaudir la reconstitution des faits réalisée en son temps par la justice militaire congolaise avec l’aide des sociétés de télécommunication. A aucun moment, ce crime d’État n’a été remis en cause dans la relation des faits par la justice congolaise qui a démontré que les deux activistes des droits de l’homme avaient effectivement été piégés par le Colonel Daniel Mukalayi et sa bande avant d’être froidement tués dans les locaux de l’inspection générale de la police, manifestement dans le but de dissimuler les excès du bataillon Simba dans la répression des rebelles de Bundu dia Kongo dans le territoire de Luozi (Kongo-Central). Du mobile du crime aux criminels, rien n’avait échappé aux fins limiers de l’auditorat (parquet) militaire.
La responsabilité d’un crime étant en principe individuelle, le général John Numbi ne pouvait donc être entendu que comme «témoin renseignant» selon les exigences du droit positif congolais.
En effet, à en croire les deux policiers, cet officier général était absent du lieu du crime comme il s’en était expliqué en déclarant aux juges qu’il se trouvait à Maluku. Les soupçons qui pesaient sur lui du fait que ce sont ses collaborateurs qui ont commis un crime aussi organisé au siège même de la police étaient donc pour le moins légitimes.
La justice et non la chasse aux individus
En droit pénal, seule la participation effective au crime doit être prise en compte et non le grade des personnes soupçonnées ou incriminées. Si le besoin de la réouverture du procès sur l’affaire Chebeya peut se justifier grâce à l’apparition des nouveaux éléments, l’on ne peut que se réjouir de ce que la manifestation de toute la vérité vienne effacer les dernières zones d’ombre qui subsistaient encore. L’État congolais le doit aux victimes et à leurs proches. Néanmoins, vouloir à tout prix stigmatiser des individus considérés comme condamnés d’avance risquerait de vicier la procédure et de transformer la justice en un mécanisme de règlement de comptes. John Numbi et Zelwa Katanga ne sont pas au dessus de la loi certes, mais ils ne doivent pas non plus être considérés comme des citoyens de seconde zone auxquels la loi ne s’appliquerait pas en les soumettant à une forme d’acharnement médiatico-judiciaire dont les tenants et les aboutissants ne sont connus que des tireurs de ficelles qui semblent passer outre les sacro-saints principes de la présomption d’innocence et de “non bis in ibidem”.
L’alibi droits de l’homme
Exigence morale et constitutionnelle en RDC, les droits de l’homme ont souvent malheureusement servi d’alibis aux puissances étrangères pour justifier leur interventionnisme débridé dans les pays du tiers monde en essayant ainsi de contourner l’indépendance et le droit à l’auto-détermination des peuples souverains. Ce mode opératoire est le même depuis les indépendances.
Ainsi, toutes les fois que les anciennes métropoles occidentales et leur allié américain ont voulu se débarrasser d’un leader politique ou d’un régime qui entravaient leurs intérêts, ils n’ont jamais hésité de se servir cyniquement de l’alibi des droits de l’homme pour d’une part hypnotiser les masses, et d’autre part maquiller leur crime.
À titre illustratif, alors que la décision de l’élimination de Patrice Lumumba était déjà prise après son discours du 30 juin 1960, un lynchage médiatique en règle contre le leader indépendantiste et panafricain congolais fut organisé de façon systématique. On l’accusa pêle-mêle d’être communiste, d’avoir commandité le viol des européennes, d’avoir massacré les baluba à Bakwanga au cours d’une expédition militaire pourtant conduite par leur homme lige Joseph-Désiré Mobutu, etc. Quoique mensongère, cette campagne médiatique porta ses fruits en tétanisant l’opinion kinoise notamment qui ne se montra pas très hostile au long calvaire de Lumumba et à sa mort tragique dont l’onde de choc agita pourtant toutes les capitales à l’époque. Trente ans plus tard, lorsqu’il fut décidé de mettre fin au règne de Mobutu dont le régime était devenu encombrant après la fin de la guerre froide, une affaire dénommée «lititi mboka» fut sortie de nulle part. La presse occidentale arrosa systématiquement l’opinion nationale et internationale des détails imaginaires sur un commando de soldats ngwandi (tribu de Mobutu) dépêché sur le campus de Lubumbashi pour mâter une insurrection estudiantine en éliminant les étudiants ressortissants des régions autres que celle de Mobutu. Au total, les médias périphériques évoquaient à l’époque la mort de 23 étudiants dont personne n’avait vu les corps. Montée de toutes pièces, l’affaire “lititi mboka” permit de mettre fin à la coopération avec la Belgique et la France tout en plongeant Mobutu dans un désamour total avec le peuple pendant que l’opposition soutenue par une société civile financée par l’aide au développement avait désormais le quasi monopole de l’espace politique.
Pour sa part, Joseph Kabila n’aurait jamais pu rempiler pour un second mandat à la tête de la RDC selon des “parrains” occidentaux qui lui reprochaient de prendre certaines libertés avec des partenariats économiques jugés stratégiques. «Ce monsieur a osé donner le Congo de Léopold II à des chinetoques qui nous mènent une guerre économique sans merci», fulminait à l’époque un diplomate américain en poste à Kinshasa. En effet Joseph Kabila qui était obligé de donner corps à ses promesses électorales axées sur les “cinq chantiers” avait attendu en vain les financements des “partenaires traditionnels” qui ne faisaient que multiplier des conditionnalités et des chantages pendant que les jours de son premier mandat étaient comptés, surtout après le temps pris pour la mise en place des premières institutions démocratiques prévues par la constitution du 18 février 2006 après celles héritées de la colonisation qui ne durèrent que l’espace de trois mois. Obligé de trouver le salut dans le financement chinois pour démarrer enfin ses chantiers, Joseph Kabila avait ainsi commis l’impardonnable crime de lèse-majesté qui lui valut le même lynchage médiatique que ses illustres prédécesseurs. Et l’affaire Chebeya qui tomba à pic comme du pain béni mi-2010 fit ainsi les choux gras des médias occidentaux. Ceux-ci poussèrent opportunément dans tous les sens pour en faire porter le chapeau à Kabila et l’empêcher ainsi de se présenter à l’élection présidentielle qui s’annonçait. Pourtant, au regard des audiences publiques très médiatisées de ce procès, on ne voyait pas trop comment un président de la République pouvait être mêlé à un crime grottesque commis sans précautions dans les installations de la police. Et ce, à quelques jours seulement de la commémoration du cinquantenaire de l’indépendance du pays.
L’on sait que plusieurs groupes d’influence ayant eu maille à partir avec la politique souverainiste du prédécesseur de Félix Tshisekedi, notamment du fait du nouveau code minier qui fait la part belle aux intérêts des Congolais pensent être venu le moment de faire taire définitivement cette idéologie. En réalité, c’est l’ancien président de la République qui est visé derrière cette affaire alors qu’il a décidé de se mettre au vert dans sa ferme de Kashamata à Lubumbashi.
Fatshi le prochain sur la liste ?
Il est de notoriété publique que les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Et les intérêts des anciennes métropoles ont rarement coïncidé avec ceux bien compris des Congolais. De Lumumba à Joseph Kabila, en passant par Kasavubu, Tshombe, Mobutu et Laurent Désiré Kabila, chacun a connu ses déboires avec les “partenaires traditionnels”. Félix Tshisekedi est actuellement dans une période de grâce qui, de l’avis des experts, ne saurait durer longtemps. «Les intérêts des multinationales belges, françaises et américaines dans l’exploitation des minerais du sang à l’Est du pays sont un secret de Polichinelle. L’essor économique du Rwanda dont le parrainage occidental est connu dépend largement du pillage des ressources naturelles de la RDC ainsi que de la cohorte des violations des droits des populations autochtones du Kivu et de l’Ituri. Félix Tshisekedi qui a à cœur de rétablir définitivement la paix à l’Est du pays se frottera tôt ou tard à la principauté militaire rwandaise qui sous-traite les intérêts des multinationales occidentales grâce à la prédation de la RDC», grommele sous le sceau de l’anonymat un diplomate africain en poste à Kinshasa.
Il ne serait pas étonnant que le thème principal de la mandature de Félix Tshisekedi à l’Union africaine axée sur les arts, la culture et le patrimoine comme conditions de la renaissance africaine puisse heurter les intérêts des occidentaux. Ses nouvelles responsabilités continentales vont le conduire à militer en faveur du rapatriement des œuvres d’art qui ornent les musées prestigieux de l’hémisphère nord. Ce n’est pas pour rien que la ministre des Affaires étrangères belge, la vice-première ministre Sophie Wilmes a publié dans la foulée un communiqué aux allures de procès d’intention contre le président congolais. «Fatshi qui a longtemps vécu en Belgique où il ne manque pas de passif fera régulièrement l’objet de chantages toutes les fois qu’il s’avisera de toucher aux intérêts de la Belgique», fait observer un spécialiste congolais de l’histoire des rivalités franco-belges.
La question des droits humains ne sera pas non plus de tout repos pour Fatshi. Dans leur mélange de genres habituel, les médias globaux ne se gêneront guère, comme à leurs habitudes, de lui faire sa comptabilité macabre des crimes réels ou supposés.
Les faits qui ne sont pas encore sortis des armoires des droits-de-l’hommistes occidentaux serviront certainement d’épouvantail contre Fatshi au cas où il serait amené, dans le respect de son serment constitutionnel, à ne privilégier avant tout que les intérêts vitaux de ses compatriotes. Par exemple, le manifestant pro-Fayulu décédé le 30 juin 2019 à Goma, les victimes policières et civiles des marches mouvementées contre la désignation de Ronsard Malonda à la CENI ou les lois Sakata et Minaku, les victimes de la répression contre les bakata-Katanga à Lubumbashi, les victimes de la répression contre les insurgés bundu dia Kongo à Kimpese et à Kinshasa, la mort du général Delphin Kayimbi, etc. «Ce qu’on appelle bavures policières dans l’hémisphère Nord est devenu au Sud du Sahara une arme de déstabilisation massive des régimes au gré des intérêts des groupes d’influences occidentaux battant pavillon droits de l’homme», fait remarquer un professeur des relations internationales à l’Université de Kinshasa. «Comment comprendre le silence assourdissant sur l’assassinat présumé du général Delphin Kayimbi par exemple dont aucune organisation des droits de l’homme ne réclame un procès public alors qu’au même moment 117 organisations de la société civile réclament des arrestations et la réouverture d’un procès selon un scénario monté par la presse française?», s’interroge-t-il à cet effet. L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. L’exhumation de l’affaire Chebeya à un moment où les Congolais viennent de constituer une large coalition gouvernementale semble participer d’une stratégie d’instrumentalisation de l’émotion collective à des fins de diversion de l’opinion publique sur des questions beaucoup plus importantes comme le rapport mapping, l’insécurité grandissante à l’Est, la cohésion nationale, la cohabitation pacifique entre les communautés vivant au Katanga, la question de Minembwe ou ce gouvernement de l’Union sacrée de la nation que les Congolais attendent avec impatience. Les enseignements de l’histoire doivent servir de boussole aux décideurs pour ne pas répéter les erreurs du passé.
JBD