Chaque jour n’est pas dimanche et tous les dimanches ne se ressemblent pas. De nouveaux attentats sanglants et meurtriers commis par les terroristes djihadistes ADF ont coûté la vie à une cinquantaine de civils et une douzaine d’éléments FARDC au Nord de Beni. Deux chrachs d’hélicoptère de la force aérienne ont emporté près d’une dizaine de jeunes pilotes qui constituaient le fleuron de cette force spécialisée du pays. La crise sanitaire mondiale (Covid-19) dont l’une des conséquences est la cessation de paiement qui guette la RDC avec une balance de paiement déficitaire et des réserves de change ne couvrant que deux semaines d’importation. Le pays n’est pratiquement plus gouverné suite à la suspension des conseils des ministres par le chef de l’État depuis le 21 octobre 2020. L’insécurité est galopante et la misère de plus en plus criante mais l’ambiance était à la fête à la cité de l’Union Africaine où réside le chef de l’État qui portait ce dimanche 3 janvier un toast en l’honneur des députés nationaux et sénateurs ayant fait allégeance à son Union sacrée de la nation.
En file indienne, ces parlementaires qui cautionnent la présidentialisation du régime en place en RDC à leur propre dépens et en violation du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs ont reçu des consignes en rapport avec la session extraordinaire convoquée par le bureau d’âge de l’Assemblée nationale.
Félix Tshisekedi a obtenu de ses hôtes de circonstance que son cahier de charge puisse passer comme une lettre à la poste, notamment en ce qui concerne le ticket qu’il compte aligner au nouveau bureau de l’Assemblée nationale, de même que l’adoption subséquente d’une motion de défiance contre le gouvernement Ilunga Ilunkamba pour lui permettre de nommer un nouveau gouvernement plus accommodant.
La question qui se pose est celle de savoir si Fatshi a définitivement réussi son pari d’une présidence quasi-impériale et si les pleins pouvoirs qu’il s’adjuge ainsi favoriseront effectivement l’émergence du pays conformément à ses promesses électorales.
Un conglomérat des tartuffes ?
Dans l’esprit et la lettre de l’article 78 de la constitution sur la désignation d’un informateur, l’identification de la majorité parlementaire à la chambre basse s’effectue en début de législature. C’est à ce moment là qu’au besoin, grâce à la mission d’information confiée à une personnalité de son choix, le président de la République doit se faire une idée exacte de la coalition majoritaire issue des élections législatives. Pour la troisième législature de la troisième République, cet exercice avait été jugé superfétatoire après que Néhémie Mwilanya, coordonnateur du FCC et Jean Marc Kabund du CACH aient publié un procès verbal attestant d’une écrasante majorité de la coalition FCC-CACH. Avec 338 députés FCC et 47 députés CACH, soit un total de 385 députés sur 500 élus composant la chambre basse, la majorité était si clairement structurée qu’il s’était avéré inutile de désigner un informateur.
Après plus d’une année de gouvernance commune de cette coalition FCC-CACH, le président vient de lever l’option d’opérer une requalification de la majorité parlementaire sous la bannière d’une nouvelle coalition baptisée Union sacrée de la nation. Menaçant à mots à peine voilés les élus de dissolution de leur chambre s’ils n’adhéraient pas à sa démarche, Félix Tshisekedi a en outre promis aux députés courtisés «un budget pour les vacances parlementaires», confirmant si besoin en était encore les allégations d’achat de consciences qui ont émaillé le vote de la pétition contre le bureau Mabunda. Selon toute vraisemblance, cette nouvelle coalition présidentielle est la future plateforme électorale du chef de l’État, soucieux de se faire réélire en 2023. «Mais que sont devenues les généreuses promesses électorales qu’il avait faite pour son son premier quinquennat ?», s’interroge le chroniqueur Antho Mangala, qui déplore la concentration excessive de la classe politique congolaise sur des polémiques égocentriques alors que le pays va à la dérive.
Un quinquennat sacrifié
Le constat d’échec des deux premières années du premier quinquennat de Fatshi, longtemps dressé par l’opposant Martin Fayulu qui annonçait à cor et à cri l’échec de la coalition FCC-CACH, a finalement été certifié par le président lui-même dans ses adresses à la nation du 23 octobre et du 6 décembre 2020 et son discours sur l’état de la nation devant les deux chambres du parlement réunies en congrès le 14 décembre dernier. Avant ces prises de positions dictées par des querelles de ménage au sein de la coalition FCC-CACH, le chef de l’État et son parti l’UDPS objectaient régulièrement à Fayulu qu’il n’y avait pas de crise et que la gestion du pays était sous le contrôle du président de la République qui tenait le gouvernail d’une main ferme en évaluant hebdomadairement la bonne marche du pays au cours des réunions du conseil des ministres qu’il mettait un point d’honneur à présider personnellement.
Etonnant de l’entendre évoquer une crise politique après la 54ème réunion du conseil des ministres et en inférer un constat d’échec. Un échec que Félix Tshisekedi s’est empressé de mettre sur le compte du FCC accusé de l’avoir empêché d’appliquer sa vision. D’où des mesures drastiques d’émasculation du FCC pour permettre à ladite vision d’éclore.
Faut-il en déduire que sans le FCC, Fatshi réalisera enfin les merveilles promises aux Congolais ? Pas si sûr. «La multitude d’adhérents au sein de l’Union sacrée ne veut pas dire que tous soutiennent Tshisekedi. Un sac de sucre mal fermé attire toujours un grand nombre de fourmis», écrit à ce sujet notre confrère Fiston Kamanda.
L’un des transfuges du FCC présents au banquet de dimanche dernier à la cité de l’Union africaine ayant requis l’anonymat ajoute qu’«il n’est pas question de laisser Tshisekedi gérer seul le pays et engranger plus des moyens pour les élections de 2023. Même s’il avait créé une union des démons, dès lors que c’est une affaire de distribution de postes, nous ne pouvons pas faire la politique de la chaise vide». Un autre député transfuge du FCC révèle quant à lui que «la plupart des députés qui adhèrent à l’Union sacrée ont peur de perdre leur emploi à cause du spectre de la dissolution de l’Assemblée nationale agité par le chef de l’État. Jean Marc Kabund nous a confirmé cette menace en rapportant les propos de Jean Pierre Bemba à Fatshi le 26 décembre passé selon lesquels il serait bon de suspendre la constitution et les institutions législatives pour mettre en place une constituante et élaborer une nouvelle constitution». Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba qui caressent le projet d’un triumvirat avec Fatshi au sein des institutions après la mise à l’écart de l’ennemi commun Kabila n’ont pas encore mis sous le boisseau leurs vieilles ambitions présidentielles. Si Fatshi peut se targuer de brandir aux quatre vents les députés et sénateurs qu’il est parvenu à débaucher du FCC, il n’en sera pas de même des ouailles de Bemba, Katumbi et Bahati dont l’autorité sur leurs troupes s’est raffermie.
Les motivations idéologiques ou programmatiques sont loin de justifier les adhésions massives à l’Union sacrée tshisekediste. La plupart des élus rameutés à la vitesse de l’éclair dans la toute nouvelle coalition pro-Fatshi sont manifestement alléchés par des promesses de postes au bureau de l’Assemblée nationale, au gouvernement ou dans les entreprises publiques. Beaucoup devront se contenter des ‘‘pas-de- porte’’ circulant dans les travées de l’hémicycle, voire de promesses de largesses faites par le chef de l’État. «Avec un tel personnel davantage mû par le tube digestif que par l’intérêt commun, le pays n’est sorti de l’auberge», estime un professeur des sciences politiques de l’Unikin.
La RDC est ainsi partie pour vivre une nouvelle période d’incertitude. Les boucs émissaires en seront à coup sûr repérés par les artificiers de l’UDPS parmi les nombreuses branches de courtisans auxquels ont fait les yeux doux aujourd’hui comme naguère vis-à-vis de Kamerhe et l’UNC ou de Joseph Kabila et le FCC.
JBD