Cinq jours après son discours à la nation consécutif aux consultations politiques du palais de la nation, la nouvelle plateforme politique initiée par Félix Tshisekedi a réussi à faire tomber le bureau majoritairement FCC de l’Assemblée nationale. Plusieurs députés nationaux, plus à l’écoute des sollicitations de leurs tubes digestifs qu’aux idéologies de leur famille politique ne semblaient guère avoir d’autre choix après la menace du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale en cas de leur non-ralliement à son Union sacrée de la nation. Cet applatissement devant une intimidation cosmétique n’honore ni les intérressés, ni la nation congolaise dans son ensemble. En effet, d’une part, il n’existe aucun indice de crise entre le gouvernement et l’Assemblée nationale qui ont jusqu’ici travaillé en harmonie et d’autre part, le Trésor public est dans un état tellement piteux que nul n’est en mesure de se permettre le luxe d’élections anticipées dans un délai constitutionnel de 90 jours, qui pis est avec une commission électorale déconnectée car hors mandat. Ces deux évidences n’ont pas empêché une centaine des 338 élus FCC de céder à l’injonction en forme de bluff du chef de l’Etat.
Débauchage par le bâton et la carotte
Avant de devenir des coqueluches du camp présidentiel, les députés nationaux avaient pourtant fait l’objet d’une série de persécutions encore fraîches dans les mémoires. Pour se défendre des accusations de hold-up électoral ressassées par Martin Fayulu, les membres de l’UDPS déblatéraient à longueur de journées sur la nomination supposée des députés FCC. Une ligne de défense mettant sous le boisseau la maigre moisson de CACH (47 députés nationaux) malgré sa victoire à la présidentielle lors des mêmes élections générales du 30 décembre 2018.
Ce discours de ‘‘députés nommés’’ avait été amplifié par les combattants de l’UDPS à un point tel qu’ils se sont laissés aller à des escalades verbales et physiques contre les parlementaires en général réputés proche du FCC de Kabila.
Des manifestations récurrentes autour et même à l’intérieur du siège réputé inviolable du parlement étaient agrémentées du slogan «boma député tika policier».
Opération toyebi ndaku
On rappelle à cet égard qu’un député FCC a même succombé à la suite d’un malaise dû au choc consécutif à ces troubles observés à quelques mètres à peine du ministère de l’Intérieur et du QG de la police nationale congolaise accusée de complaisance, voire de connivence avec les émeutiers bien identifiés de l’UDPS. Dans une de ses harangues à ces derniers, Augustin Kabuya, secrétaire général du parti présidentiel, leur avait recommandé carrément de visiter les domiciles des fidèles du FCC comme en 1997 contre les caciques du MPR de Mobutu. «La stratégie du bâton semble avoir été payante si l’on en croit la peur qui a poussé nombre de députés FCC à rejoindre ‘‘l’offre’’ des extrémistes de l’UDPS. Ils se disent désormais à l’abri des représailles des ‘‘wewa’’», commente un confrère de la presse audiovisuelle qui cite les propos de Jean-Marc Kabund à ses troupes. «Je veillerai personnellement aux intérêts et à la sécurité des députés FCC qui rejoignent l’Union Sacré. Vous êtes comme du diamant pour nous», avait déclaré celui que l’on a surnommé ‘‘maître nageur’’ depuis qu’il a menacé les têtes couronnées du FCC d’aller en exil en traversant à la nage le fleuve Congo.
Côté carotte, des opérations d’achat de conscience ont été signalées jusqu’au palais du peuple. Pour signer la pétition contre le bureau Mabunda, certains membres du FCC ont confessé avoir perçu entre 7.000 à 10.000 USD. Alors que tout ceci était encore du domaine des rumeurs, la confirmation est venue du fantasque député et promoteur de média l’AFDC/ Bahati Léon Nembalemba dit papa Molière qui, répondant au journaliste Peter Tiani, n’y est pas allé par le dos de la cuillère. «Moi j’ai reçu 15.000 USD en guise de motivation», a-t-il affirmé sans se gêner.
Selon le décompte de Kabund qui a coordonné les opérations contre Mabunda, la veille du vote de la pétition, 317 députés présents au chapiteau du GB à Gombe avaient fait allégeance à l’Union sacrée et promis de voter pour la déchéance du bureau. En multipliant ce chiffre par 15.000 USD, on a une idée des sommes engagées dans cette première phase de la requalification de la majorité, soit 4.755.000 USD dont on se perd en conjectures sur la provenance.
Au-delà de l’achat des consciences, quelques aigris au sein du FCC se seraient contentés de promesses de postes qu’ils estimaient ne pouvoir jamais occuper en restant fidèles à cette plateforme réputée phagocytée par la boulimie de quelques caciques du PPRD. «C’est le cas des députés Guy Mafuta et Jean-Pierre Lihau», renseigne une source proche de Kabund. «Mafuta vit mal sa rivalité avec son parrain Maker Mwangu, directeur de cabinet de l’ancienne présidente de l’Assemblée nationale et était devenu inéligible à tout avantage dans le cadre des activités parlementaires. Quant à Lihau, élu du même fief électoral que Mabunda (Bumba), il se sentait à l’étroit et craignait sérieusement la perspective de 2023», confie la source. Du pain béni pour la plupart de ces frustrés du FCC, une famille politique dans laquelle le tout puissant coordonnateur Néhémie Mwilanya accusé, à tort ou à raison, de n’avoir pas brillé par une gestion équilibrée des ambitions par certains jeunes turcs qui exigent sa démission dans les réseaux sociaux.
Union sacrée, et après ?
Fatshi qui vient ainsi de réussir son mercato d’hiver à l’Assemblée nationale ne se trouvera pas pour autant devant un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Selon plusieurs analystes, c’est maintenant que le plus dur commence. Le FCC ne s’avoue pas vaincu après cette bataille perdue. Pour emprunter au vocabulaire footballistique, une remontada de Kabila et des siens n’est pas à exclure dès l’élection du nouveau bureau de l’Assemblée nationale. «Si le FCC apprenait de ses erreurs, ses chances de gagner demeurent encore intactes», estime un diplomate africain en poste à Kinshasa.
Quoiqu’il en soit, la requalification de la majorité par achat des consciences téléguidée depuis le palais de la nation semble n’avoir pas tenu compte des équilibres en présence à la chambre basse. Les députés sont toujours rangés au sein de leurs groupes parlementaires respectifs qui constituent des pépinières du débat parlementaire. Le règlement intérieur toujours en vigueur répartit encore les élus pour les cinq ans de la législature selon leurs déclarations initiales d’appartenance à la majorité ou à l’opposition. Si l’Union sacrée veut fonctionner comme une entité parlementaire opérationnelle, elle devrait préalablement obtenir la révision du règlement intérieur et le soumettre à la Cour constitutionnelle pour avis conforme. Même dans ce cas, les députés qui en font partie ne peuvent plus quitter leurs groupes parlementaires et partis politiques respectifs au risque de perdre leurs mandats. Par ailleurs, l’on a qualifié de tous les maux le FCC qui, selon ses détracteurs, n’aurait pas de personnalité juridique et ne serait donc qu’une plateforme politique. Quel serait alors le statut de l’Union sacrée dans laquelle des élus de tous bords se sont retrouvés par le fait accompli sans la moindre clarification idéologique ou programmatique ?
Difficile de percevoir des garde-fous au niveau des stratèges de cette organisation utopique face à son appel d’air à deux ans d’une année électorale dès lors que l’Union sacrée est d’ores et déjà perçue comme la future plateforme électorale du candidat Félix Tshisekedi pour un second mandat.
Un gouvernement d’union nationale ?
«Venez rejoindre l’Union pour la nation», clamait Kitenge Yezu le 24 octobre dernier au lendemain d’un autre discours à la nation de Félix Tshisekedi. «Que vous soyez AAA, BBB, CCC, venez, il y a de la place pour tout le monde. Le chef de l’État a besoin de tout le monde». Grossomodo, sans référence aux idéaux politiques, l’Union sacrée a été conçue par ses géniteurs comme une voiture-balaie destinée à ramasser tous ceux qui avaient des raisons réelles ou supposées de craindre un chômage politique et qui sont à l’affût de maroquins lucratifs pour lesquels, assurait Kitenge Yezu «le chef de l’Etat est le seul à détenir la signature».
Il appert donc assez clairement que l’Union sacrée du chef de l’Etat est adossée sur une idée d’utilitarisme politicienne à la petite semaine. «Dès lors que la gouvernance n’a pas une vision claire, assise sur des objectifs bien définis à partir des problèmes à résoudre bien identifiés avec des ressources humaines nourries aux mêmes idéaux, il est impossible de réussir une quelconque réforme politique», soutient à ce sujet un professeur des sciences politiques de l’Université pédagogique nationale sous le sceau de l’anonymat. «Il s’agit en fait plus d’un gouvernement d’union nationale ‘‘arc-en-ciel’’ que d’une nouvelle plateforme vouée à mettre en oeuvre efficacement des réformes à impact visible», précise-t-il avant d’ajouter que «ce sera en réalité une mangeoire où chacun sera plus préoccupé par sa propre survie aux futures élections que par l’efficience des politiques publiques à entreprendre. Le président de la République soucieux de consolider ses assises face aux appétits voraces de ses anciens et prochains alliés de circonstance Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi dont la volonté de reconquête du pouvoir suprême ne fait l’ombre d’aucun doute ne se trouvera certainement pas dans les meilleures dispositions pour s’adjuger les faveurs d’une majorité parlementaire inespérée».
L’analyse paraît pertinente quand on sait que de par le monde, les gouvernements d’union nationale n’ont pour vocation que de résoudre des crises majeures et pas d’améliorer de manière significative les conditions de vie des concitoyens. Sans se laisser aller à des supputations, c’est à n’en point douter un vrai saut dans l’inconnu.
JBD