En se rasant chaque matin, Mike Hammer l’ambassadeur de Donald Trump à Kinshasa, voit dans son miroir le proconsul des USA au pays de Lumumba. 48 heures avant d’être proclamé élu par la CENI à l’issue des scrutins combinés du 30 décembre 2018, le 5ème président rdcongolais avait installé son QG à l’hôtel Béatrice de la Gombe. Boudé par la plupart des pays influents de la “communauté internationale” pro-occidentale, il fut à la surprise générale approché par cet ambassadeur dont les lettres de créance avaient eu du mal à être réceptionnées par un Joseph Kabila sur le départ quelques mois avant les élections.
Prenant acte très vite du “fait accompli” de l’élection de Tshisekedi alors que la plupart des diplomates glosaient sur une prétendue victoire volée par le fils du sphinx de Limete à Martin Fayulu, Hammer avait ainsi brûlé la politesse à ses collègues, jetant sur le coup les jalons d’une relation privilégiée avec le successeur de l’indocile Joseph Kabila. L’épilogue de cette accointance personnalisée entre un diplomate et le président du pays d’accréditation est en train de se dérouler sous les regards éberlués de l’aréopage politique post-indépendance de la RDC qui ne manque pas d’y déceler des similitudes troublantes avec les résultats obtenus à l’indépendance 60 ans plus tôt par un de ses prédécesseurs, Clare Timberlake qui relèvent d’un chef-d’œuvre de manipulation des élites africaines par l’occident.
Union sacrée, une recette pour punir kabila
Si en 1960 les sécurocrates américains se faisaient discrets au point qu’il a fallu attendre la publication de leurs mémoires pour démêler l’ampleur de leur implication dans le mic mac de deux coups d’État de Mobutu de 1960 et 1965, les chroniqueurs contemporains peuvent détecter aisément le diktat de certains lobbies américains dans le comportement du président Tshisekedi. À peine avait-il pris les rênes du pouvoir début 2019 que Herman Cohen, sous-secrétaire d’État américain à la retraite, annonçait au cours d’une émission télévisée la «disparition totale de Joseph Kabila de la scène politique dans une année». Le vieil homme appuyait sa prédiction sur l’action des diplomates et lobbyistes occidentaux qui devaient troquer leur soutien au présumé “mal élu” Tshisekedi contre la promesse de le voir réduire en peau de chagrin son allié et prédécesseur Kabila qui leur avait donné du fil à retordre en diversifiant des partenariats économiques innovants avec les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et en promulguant un nouveau code minier plus favorable à la RDC.
Au cours d’un de ses 4 voyages successifs en 2019 au pays de l’oncle Sam, Fatshi s’était laissé aller à la promesse euphorique de «déboulonner le système dictatorial», suscitant l’ire de ses partenaires du FCC détenteurs de la majorité parlementaire.
Selon un diplomate africain en poste à Kinshasa, «les Américains commençaient à perdre patience face à une certaine frilosité du président Tshisekedi qui tardait à passer à la vitesse supérieure. Son premier acte pour leur complaire aura été la publication de 120 ordonnances présidentielles le 17 juillet dernier sur le dos du 1er ministre FCC Ilunga Ilunkamba envoyé opportunément en mission la veille à Lubumbashi. Lesdites ordonnances étaient pourtant préparées de longue date», révèle-t-il tout en déplorant le spectacle désolant qui fait marcher l’Afrique à reculons alors que les espoirs douchés du soleil des indépendances devraient rendre les dirigeants africains plus prudents dans leurs rapports au monde occidental.
une crise politique créée de toutes pièces
L’élection présidentielle américaine qui a vu le truculent président républicain Donald Trump perdre face au démocrate et progressiste Joe Biden est certainement pour quelque chose dans les derniers développements de la situation politique en RDC. Ceux qui connaissent l’histoire tragique de la RDC savent en effet que que c’est dans ces interstices de transition d’une administration américaine à une autre que des drames se produisent dans ce pays. Ce n’est pas un hasard si Patrice Lumumba avait été neutralisé et assassiné quelques jours avant le 20 janvier 1961, date de la prise de fonctions du démocrate et progressiste John Kennedy des mains du républicain Dwight Eisenhower. Il en est de même de l’assassinat de Laurent Désiré Kabila le 16 janvier 2001, 4 jours avant l’inauguration de Georges Bush Junior.
L’histoire est en train de se répéter avec une mise à l’écart, programmée cette fois, de Joseph Kabila par tous les moyens, avant l’investiture de Joe Biden dont personne ne peut présager à l’avance les orientations de la politique africaine.
C’est la seule explication possible lorsque sur un saut d’humeur, à la suite d’un incident purement protocolaire causé par le refus de ses partenaires du FCC d’assister à la prestation de serment de 2 juges constitutionnels dont ils avaient contesté la nomination pour inconstitutionnalité, le chef de l’Etat a décidé de plonger son pays dans une crise dont nul ne saurait prévoir la suite.
Que Fatshi dise avoir constaté brusquement la crise pour convoquer d’un ton martial des consultations en vue d’un aggiornamento inattendu du paysage politique hérité des dernières élections générales est révélateur à cet égard. «Pourtant, avant son annonce du 23 octobre sur sa ferme détermination à obtenir coûte que coûte une nouvelle majorité à la chambre basse du parlement au motif que l’actuelle se serait ‘‘effritée’’, tout semblait aller pour le mieux au sein de la coalition. Le chef de l’Etat avait présidé personnellement 54 conseils de ministres depuis l’investiture du gouvernement Ilunkamba dont il avait tenu le gouvernail par le bon bout, battant en brèche le constat de crise constamment dressé par son rival Martin Fayulu», fait remarquer un professeur des sciences politiques de l’Université pédagogique nationale sous le sceau de l’anonymat.
Depuis son discours à la nation du 23 octobre, plusieurs voix se sont élevées parmi ses invités à ces assises pour l’appeler à la modération en prenant en compte la fragilité des équilibres sur lesquels reposent les jeunes institutions démocratiques du pays. Les religieux, notamment la CENCO et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC), ont même proposé leurs bons offices à cet égard. Les trois parrains africains de l’ «accord de paix et de stabilité en RDC» conclu entre Kabila et Tshisekedi pour permettre à leur pays de passer en douceur le cap de la première alternance pacifique ont également multiplié des appels au respect des engagements pris par le vainqueur de l’élection présidentielle, Félix Tshisekedi, et le chef de la majorité parlementaire, Joseph Kabila. Les émissaires de ces trois pays, l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Kenya l’ont rappelé à Tshisekedi alors que ce dernier dit avoir le droit de se démarquer de cet engagement. Les élites africaines qui avaient salué l’exemplarité de la passation de pouvoir civilisée en RDC doivent déchanter, l’expérience congolaise étant désormais considérée comme un mauvais précédent pour bien de présidents africains qui ne manqueront pas d’y trouver des raisons de leur pérénisation au pouvoir afin de se mettre à l’abri des incommodités subies par l’Angolais Edouardo Dos Santos et le Congolais Joseph Kabila. Sourd à tous les appels à la raison, le président Félix Tshisekedi n’a d’oreille que pour ses lobbyistes américains dont le dead-line du 20 janvier semble polariser ses envies d’une présidence impériale en déphasage totale avec l’architecture constitutionnelle et institutionnelle en vigueur.
Corruption et violence à ciel ouvert
Alors qu’il soutient être toujours guidé par la lutte contre les antivaleurs, Félix Tshisekedi est perçu comme l’auteur intellectuel d’une campagne inédite de corruption des élus. Conscient de ne pouvoir légalement dissoudre l’Assemblée nationale, le 5ème président congolais a choisi le bâton et la carotte pour contraindre des élus nationaux à trahir leurs idéaux politiques pour le rejoindre dans une coalition parlementaire constitutée hors élections en pleine législature afin de régner sans partage sur ce pays-continent aux disparités socio-politiques encore béantes. Sur fond de promesse de postes à coup de billets de banque, le camp présidentiel emmené par le tonitruant Jean-Marc Kabund débauche à tout va. Des milices wewa dont on déplore les excès de violence sont plus que jamais mises à contribution pour intimider les députés et sénateurs FCC auxquels aucun choix autre qu’un ralliement aussi immoral qu’illégal n’est laissé.Une dérive autocratique pour instaurer la pensée unique par des méthodes proches de la deuxième République de triste mémoire.
Jamais de mémoire des générations post-Mobutu, on a vécu de telles scènes de violence devenues aujourd’hui coutumières dans l’enceinte réputée inviolable du siège du parlement. Les images de gangs bien entraînés des militants s’en prenant aux députés nationaux et au personnel de l’administration de la chambre basse du parlement se sont ajoutées à celles beaucoup plus décevantes de rixes entre députés nationaux et de destruction du mobilier de l’hémicycle. Jamais le pays n’était tombé aussi bas. Dans ce règne de l’anarchie institutionnalisée, tous les ingrédients semblent réunis pour ceux qui sont à l’affût de la moindre occasion de maintenir la RDC dans une situation de bélligérance et d’instabilité permanentes.
JBD