Depuis deux semaines, le président de la République ne convoque plus les réunions du conseil des ministres qu’il préside personnellement comme la Constitution lui en reconnaît le privilège. Il a suffi que trois chefs de corps membres du FCC snobent la prestation de serment des juges constitutionnels en guise de protestation contre la procédure irrégulière de nomination de deux d’entre eux pour que les controverses interinstitutionnelles sortent des couloirs lambrissés des palais de la République et soient portées sur la place publique par le chef de l’Etat, chargé théoriquement de les arbitrer.
Le 23 octobre 2020, dans un très martial message à la nation, le président Tshisekedi avait saisi le ‘’tribunal populaire’’ pour amorcer un processus de divorce tacite d’avec son partenaire FCC au sein de la coalition majoritaire au parlement. Une semaine après, Fatshi a démarré sans coup férir des consultations annoncées comme préalables à un aggiornamento unilatéral des institutions nationales dans le cadre duquel il a dit n’exclure aucun cas de figure.
Pendant ce temps, la majorité parlementaire FCC au dépens de laquelle le président a promis d’initier son action se comptait et resserrait les rangs. Lundi 26 puis jeudi 29 octobre, les chefs des regroupements et partis et les quelques 320 députés et 80 sénateurs de cette plateforme proche de Kabila se sont retrouvés autour de leur autorité morale au parc de la vallée de la N’Sele à Kingakati pour «échanger en famille sur la situation générale du pays». Des extraits de ces rencontres qui ont filtré dans la presse font état d’une forte détermination du front kabiliste à ne pas se laisser conter bien que certaines versions édulcorées diffusées dans quelques réseaux sociaux alimentent la conviction de ceux qui, autour du chef de l’Etat croient qu’ils peuvent moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes lézarder le mastodonte FCC.
Météo des mauvais jours
Bien malin qui pourrait dire ce que sera la RDC après les consultations présidentielles. La seule révélation faite aux participants aux deux réunions du Parc de la vallée de la N’Sele par le taciturne Joseph Kabila est l’existence d’un accord écrit entre lui et Félix Tshisekedi après la confirmation de la victoire de ce dernier à l’élection présidentielle par une Cour constitutionnelle bien malmenée aujourd’hui alors qu’elle avait en l’espèce défié en sa faveur les réticences de l’Union africaine et d’une certaine communauté internationale qui tenaient à un autre candidat.
L’ancien président de la République s’est contenté de donner l’intitulé de cet accord secret (‘‘accord pour la paix et la stabilité en République Démocratique du Congo’’) en promettant d’en faire la lecture aux siens à une prochaine occasion. Il a dit s’en tenir jusque-là à cet engagement garanti par au moins trois États africains en regrettant qu’en l’espèce son partenaire du CACH ne partageait pas le même sens de l’honneur et du respect de la parole donnée. Invitant ses partisans à rester «zen», le fils de l’ancien maquisard de Hewa Bora a martelé que la paix pouvait, et devait être préservée tout en résistant aux tentatives de violation de la constitution d’où qu’elles viennent. On perçoit bien un début d’agacement dans son propos, surtout lorsqu’il égrène lesdites tentatives.
Ruse et pusillanimité de mauvais aloi
Le président Tshisekedi qui traîne une réputation de ne pas respecter les engagements souscrits dans différents accords politiques nage pour sa part dans une ambiance d’insouciance et fait chorus avec les extrémistes de son parti l’UDPS qui clament haut et fort leur souci d’affaiblir et d’isoler le FCC et son leader Kabila en les dépouillant même par des voies illégales de leur majorité parlementaire.
A l’UDPS, on est resté sourd aux voix de la sagesse qui alertent sur le risque de répétition tragique de l’histoire douloureuse de la RDC qui a pataugé dans les bas-fond depuis que le président Joseph Kasa Vubu essaya de faire main basse sur la majorité parlementaire acquise d’abord à Patrice Lumumba en 1960, puis à Moïse Tshombe en 1965. De Larry Devlin, chef d’antenne de la CIA en poste à Kinshasa dans les années 60 à Mike Hammer l’actuel ambassadeur des USA en RDC, les inspirateurs de ces pantalonnades ont toujours fait la promotion des schémas anticonstitutionnels en vue d’instrumentaliser les conflits qui en résultent pour maintenir ce véritable coffre-fort naturel qu’est le Congo-Kinshasa dans l’incapacité de contrôler ses potentialités qui ne sont pas perdues pour tout le monde. En échange généralement d’une sorte d’invulnérabilité démiurgique sous le parapluie du puissant Oncle Sam.
Le Grand Katanga en ébullition
Depuis la confirmation des pulsions totalitaires et anticonstitutionnelles à la présidence de la République sur fond de violations de la constitution, les riches provinces de l’ex-Katanga acquises à Joseph Kabila sont sur le pied de guerre. 24 heures avant l’adresse à la nation du chef de l’État, les députés provinciaux FCC du Lualaba, la plus riche province minière du pays, ont ainsi sonné le tocsin et annoncé qu’ils «se prendraient en charge» au cas où le coup de force contre la majorité kabiliste venait à être opéré. Dans la même foulée, des milliers de jeunes katangais ont arpenté ce mercredi 04 novembre les rues de Lubumbashi. «Le calme apparent qui règne au Tanganyika et dans le Haut-Lomami, berceau des Balubakat l’ethnie d’origine des Kabila ne doit pas faire illusion chez les politiciens de Kinshasa», déclare un leader communautaire de Kamina (Haut-Lomami) qui prédit une protestation foudroyante si l’UDPS s’évertue à mener jusqu’à terme son plan de ‘’déboulonnement’’ du fils de Mzee. Il engage le chef de l’Etat à «s’abstenir de se moquer de la bonne foi de Joseph Kabila qui lui a passé le relai sans états d’âme alors que la plupart des chefs d’États africains ont opté impunément pour une présidence à vie».
Menaces sur la paix
Chercheur en sciences politiques dans une université belge, Arthur Kasand note que la démarche présidentielle visant à renverser les équilibres au parlement en pleine législature menace la stabilité et la sécurité de la RDC. «Face à la catastrophe qui se profile à l’horizon, on dirait que Félix Tshisekedi n’est pas conscient des dangers que certains de ses partisans font courir au pays sur le long terme. Le président caresserait le projet de ne pas organiser les élections en 2023 ainsi que le font entendre ces derniers. Sans doute ont-ils compris que le prétexte de la Covid-19 ne sera pas crédible à cet effet dans la mesure où aucun pays en Afrique n’a jusqu’ici modifié son calendrier électoral à cause de la pandémie. Multiplier les crises, quitte à créer le chaos qui pourrait lui permettre de se maintenir au pouvoir sous prétexte d’éventuels troubles serait désormais leur stratégie», écrit-il.
Au risque donc d’envoyer à l’opinion l’image d’un président dépourvu d’une vision claire sur les voies et moyens de rencontrer les aspirations de nombreux de ses compatriotes, le président Tshisekedi aurait intérêt à mettre de l’eau dans son vin.
Mauvais exemple pour la sous-région et l’Afrique
Tourner en bourrique Joseph Kabila ou chercher à le ‘‘neutraliser’’ comme cela a été le cas pour son allié du CACH Vital Kamerhe ne sera pas une sinécure pour Fatshi. Dans cette Afrique des Grands Lacs, Kabila qui a été par ailleurs le benjamin des chefs d’État est pourtant le seul à ne s’être pas éternisé au pouvoir par la force. Tenant à sa parole donnée lors de la promulgation de la constitution en vigueur, il n’a pas cédé à la tentation de modifier celle-ci pour se cramponer au pouvoir. Mieux, il a sportivement accepté la défaite de son dauphin désigné, Emmanuel Ramazani Shadary et aidé le vainqueur issu de l’opposition à prendre l’impérium sans anicroches. S’il lui arrivait quoi que ce soit de fâcheux, bien de dirigeants en place dans la sous-région et en Afrique subsaharienne réfléchiraient par deux fois avant d’accepter de quitter volontairement le pouvoir. L’attitude hostile à son égard affichée par quelques gros bras de l’UDPS est certainement la dernière chose de pire pour la démocratie en Afrique centrale et dans la région des Grands lacs. «On a intérêt à ce que tout se passe correctement entre Tshisekedi et Kabila si on veut que les régimes encore rigides ici se convainquent des vertus de l’alternance démocratique. Ce serait dommage que le président Tshisekedi qui va prendre les rênes de l’Union Africaine l’an prochain envoie lui-même un si mauvais signal à cet égard», déclare un spécialiste de géostratégie politique à l’Université pédagogique nationale de Kinshasa.
Eviter l’exemple éthiopien
En Éthiopie, la région du Tigré, terre d’origine des anciens dirigeants de cette puissance régionale qui ont bâti sa prospérité, est engagée dans une vive hostilité avec le nouveau pouvoir en place à Addis-Abeba. Le 1er ministre Abiy Ahmed vient d’annoncer une offensive d’envergure contre les autorités régionales du Tigré, situé à 700 kilomètres de la capitale qui menacent de faire sécession depuis que le gouvernement central s’emploie fébrilement à les «déboulonner». Cela présage l’épée de Damoclès qui plane sur la RDC avec le raptus agressif actuel observé au niveau du pouvoir présidentiel congolais. Le Katanga, province d’origine des Kabila est souvent caractérisé par la survivance d’une certaine nostalgie de son passé sécessionniste dont les conditions d’avènement furent les mêmes que celles que Fatshi et sa garde rapprochée sont occupés à réunir.
Le chef de l’Etat aurait tort de prendre pour de la faiblesse le silence de Joseph Kabila face aux provocations des faucons de l’UDPS qui ne s’embarrassent guère de prescrits constitutionnels convaincus qu’ils sont que c’est là la preuve que le président dispose de pleins pouvoirs et qu’il règne sans partage. Outre le fait que de tels pouvoirs sont simplement inconcevables au regard de la constitution congolaise, c’est une imprudence fatale en politique que de sous-estimer un rival ou un adversaire. Un vieil officier à la retraite estime que «si Joseph Kabila n’a pas jusqu’ici cédé à la tentation du dernier recours, ce n’est pas parce qu’il n’en a pas les moyens.
En fait, il a une vraie passion pour le Congo et il ne veut surtout pas voir les acquis de ses 18 ans au pouvoir partir en vrille», dit-il avant de préciser que la guerre n’incommoderait pas outre mesure cet ancien général, du reste né dans un maquis marxisant. «Mais on peut être sûr que ce n’est pas lui qui tirera le premier si malgré tout, le pire devenait inévitable du fait de l’agitation de l’histoire que certains essaient de faire bégayer à la 10ème rue Limete».
Mêmes causes, mêmes effets
Une chose est sûre: soixante ans après une première expérience du genre entre la majorité parlementaire MNC et Alliés acquise à Patrice Lumumba et le président Joseph Kasa Vubu, suivie d’une réédition cinq ans après d’un même type de crise entre la majorité CONACO de Moïse Tshombe et le même Kasa Vubu qui permit à un certain Mobutu de s’emparer du pouvoir et de mettre entre parenthèses la démocratie pour plus de trois décennies, quelques membres de l’élite congolaise actuelle semblent vouloir se jeter à nouveau pieds et poings liés dans ce type d’engrenage dangereux, fratricide et suicidaire où les entraînent les mêmes lobbies qui veulent émasculer politiquement ce géant d’Afrique centrale afin de mieux l’assujettir. «C’est manifestement reparti pour un autre demi-siècle de déshérence. En septembre 1960 et en novembre 1965, lorsque Kasa Vubu jouait au bon élève des puissances occidentales, il ne mesurait peut-être pas l’étendue de sa responsabilité personnelle dans la déstabilisation de ce pays qu’il aimait certainement autant que ses autres compatriotes. L’histoire retiendra que c’est sous le mandat de Félix Tshisekedi que, malgré toutes les sonnettes d’alarme, ce péché originel a de nouveau hanté des Congolais dépourvus de mémoire historique et patriotique», affirme ce professeur d’histoire d’une université kinoise. Difficile de trouver des arguments à décharge quand on sait que le scénario qui se déroule actuellement au palais de la nation a été prédit par certains suprématistes néolibéraux comme devant se produire au milieu du quinquennat de Tshisekedi alors même que Congolais et africains s’extasiaient encore devant l’exception venue enfin du pays de Lumumba avec la première alternance pacifique hors des interférences suffocantes des Kings makers outre-Atlantique ou outre-Méditerranée. Dépité, un diplomate africain en poste à Kinshasa se demande si les Congolais ne sont pas poursuivis par une sorte de malédiction. «Nous savions que les occidentaux qui ont un os à peler avec Kabila pour avoir fait prévaloir la souveraineté de son peuple en diversifiant les partenariats au développement, notamment dans la guerre du cobalt et autres minerais stratégiques qui les oppose à la Chine, mettraient tout en œuvre pour monter son successeur contre lui. L’ancien secrétaire d’État américain Cohen avait même évoqué comment cela devait se produire et c’est ce qu’on voit maintenant. Que des Congolais applaudissent cet état de choses m’horripile», confie-t-il à nos rédactions en rappelant avec indignation «l’intransigeance du temps envers toutes les marionnettes de l’Occident qui, du Nord au Sud du continent africain sont entrées dans l’histoire par la petite porte pour avoir pris plaisir à reproduire les plans des anciens colonisateurs».
Déjà durement éprouvée par la covid-19 qui n’en finit pas de semer la désolation, l’économie congolaise ne peut pas, dans les conditions d’instabilité politique chronique actuelles, espérer une embellie.
Malgré le sang froid du gouvernement qui vient de déposer un projet de loi de finances pour 2021 en pleine tempête, les querelles politiciennes ont déjà planté le décor de la chienlit. Quoiqu’il en soit, le crime ne profitera pas à ceux qui avaient promis monts et merveilles au peuple mais s’abîment quelques mois après à susciter ci et là une multitude de guerres de tranchées qui mènent droit vers le chaos.
JBD avec Le Maximum