De la nullité de plein droit de la nomination de 3 membres de la Cour constitutionnelle par l’Ordonnance du Président de la République N° 20/116 du 17 Juillet 2020
Les élections qui se sont déroulées en décembre 2018 ont permis la première passation pacifique du pouvoir. Dans la foulée, la vérité des résultats proclamée par la Commission Électorale Nationale Indépendante, CENI en sigle, a été remise en cause à tous les niveaux comme d’habitude. S’agissant de l’élection présidentielle, les contestations ont été balayées par le Juge constitutionnel. La nation s’est inclinée face au verdict de cette Juridiction qui a reçu mission de réguler les institutions politiques du pays en veillant au respect de la Constitution.
Le Constituant du 18 février 2006 a répondu à l’épineuse question : « qui gardera le Gardien (de la Constitution) ? en instituant le Président de la République garant du respect de la Constitution au second alinéa de l’article 69 de cette dernière, et en assignant à la Cour Constitutionnelle la mission de le surveiller dans ce rôle. Cette surveillance transparaît à travers les articles 164 et 165 de la Constitution et 4 de la Loi organique n 0 13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
L’actualité est dominée par la question de l’Ordonnance numéro 20/116 du 17 juillet 2020/ portant nomination des membres de la Cour Constitutionnelle. Cette Ordonnance nomme en même temps un Avocat, Professeur d’Université et deux Magistrats comme Juges à la Cour Constitutionnelle. Si la nomination du Professeur Dieudonné Kaluba Dibwa nlappelle pas de commentaire parce qu’il y avait une vacance dans le quota du Président de la République, celle des Magistrats Alphonsine Kalume Asengo Cheusi et Dieudonné Kamulete Badibanga, à l’initiative du Conseil Supérieur de la Magistrature, pose le problème de l’inamovibilité des Juges constitutionnels (Noël Kilomba et Jean Ubulu) consacrée par l’article 158 de la Constitution. Plusieurs moyens d’inconstitutionnalité ont déjà été épinglés par un éminent universitaire et praticien du droit, le Doyen Nyabirungu mwene Songa pour ne pas le citer, Avocat près la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat/ et tenez bien, Conseiller qui a aussi été, en sa qualité de Sénateur de la Transition (1+4) corédacteur de la Constitution du 18 février 2006.
Par ailleurs, le professeur Théodore Ngoy, opposant et avocat de renom, a dans la suite logique du doyen Nyabirungu, exhorté le président de la République à rapporter l’ordonnance sous examen, sous peine d’être poursuivi pour haute trahison, parce qu’à son avis cet acte réglementaire a violé intentionnellement la constitution même s’il y a mis du bémol en suggérant une rencontre au cours de laquelle, j’imagine qu’il aurait voulu tenter, en bon pasteur et pédagogue, expliciter la gravité de la situation à la première institution de la République Démocratique du Congo.Pour ma parti je suis humblement d’avis qu’il faille retenir, sans préjudice de la bonne foi et des qualités intrinsèques des personnes qu’elle désigne, que I’ordonnance N° 20/116 du 17 juillet 2020, portant nomination des membres de la Cour constitutionnelle est passible de nullité de plein droit et qu’elle contient des mentions dont l’exactitude est sujette à caution. En tout cas, plutôt que de résoudre un problème, en l’occurrence celui du remplacement d’un membre démissionnaire de la Cour constitutionnelle, M. Benoît Lwamba Bindu, cette ordonnance a manifestement suscité une impasse qui porte gravement atteinte au fonctionnement régulier et harmonieux des Institutions de la République, dont la Cour constitutionnelle, qui se trouve en situation de paralysie à ce jour, ne pouvant pas siéger, faute du quorum légal de sept (7) Membres, découlant de l’article 90 de la Loi organique n 0 13/026 du 15 octobre 2013/ portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
J’en veux pour exemples, la déclaration de conformité à la constitution de l’Ordonnance présidentielle instituant l’état d’urgence sanitaire, les recours contre les violations manifestes ou alléguées de la constitution par l’une quelconque des ordonnances prises par le président de la République le 17 juillet 2020 et enfin, les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées quotidiennement au cours des procès pendants devant les cours et tribunaux à travers tout le Territoire nationaL
Or, la recrudescence dans le monde de la pandémie de la Covid-19 laisse entrevoir la nécessité d’un nouvel état d’urgence sanitaire, auquel cas la RDC notre pays court le risque d’être bloqué faute de déclaration de conformité à la constitution de l’ordonnance du président de la République y relative, par la cour Constitutionnelle, exigée par l’article 145 de la Constitution.
Les recours éventuels contre les violations intentionnelles, manifestes ou alléguées de la constitution par les différents textes légaux et/ou réglementaires pris ou à prendre par diverses institutions et animateurs d’institutions (lois ordonnances du président de la République etc. y compris les textes signés et publiés le 17 juillet 2020) nécessitent que la Cour constitutionnel soit en mesure de statuer à leu sujet.
Il en est de même des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées chaque jour par les diverses parties aux procès pendants devant les cours et tribunaux à travers tout le territoire national qui ne recevront aucune suite utile dans ce contexte de paralysie de la Cour constitutionnelle, au grand dam de l’Etat de droit, institué par l’article 1er de la Constitution et si cher au président de la République lui-même qui se trouvera de la sorte vidée d’une partie essentielle de sa substance.
1. Fondements de la nullité de plein droit
L’article 2, 1° de la Loi organique N° 13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dispose que cette dernière comprend 9 membres nommés par le président de la République, dont trois de sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois autres désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. Dans le même ordre d’idées, l’article 158 de la constitution institue le tirage au sort aux fins du renouvellement de la Cour par tiers, soit un membre par groupe, tous les trois ans.Par ailleurs, l’article 9 de I’ordonnance N° 16-070 du 22 août 2016 portant dispositions relatives au statut particulier des membres de la Cour constitutionnelle dispose que « Les fonctions de Membre de la Cour constitutionnelle ou du parquet général près cette Cour prennent fin par :
expiration du mandat ;
démission volontaire ou d’office ;
révocation ;
décès.
Nulle part, l’ordonnance du 17 juillet 2020 ne renseigne que le mécanisme de tirage au sort ainsi défini ait été effectué. Rien non plus ne fait état de la survenance de l’une des quatre (4) conditions limitativement déterminées par le statut particulier susmentionné pour la fin du mandat d’un membre de la Cour constitutionnelle.
Le dernier alinéa de l’article 2 de la Loi organique précitée dispose, quant à lui, que les procès-verbaux de désignation des membres de la Cour autres que ceux désignés par le Président de la République sont transmis à ce dernier dans les 48 heures aux fins de leur nomination.
L’article 8 de la Loi organique N° 08/013 du 5 août 2008, portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, n’habilite que la seule Assemblée générale de cet organe pour désigner les magistrats à proposer à la nomination à la Cour constitutionnelle, l’article 17 se limitant à charger le Bureau d’exécuter les décisions de l’Assemblée générale, notamment la transmission des propositions de nomination au président de la République. Or, dans le cas d’espèce, l’Assemblée générale du Conseil supérieur de la magistrature ne s’est jamais réunie au cours de ces deux dernières années, la toute dernière séance ayant avorté à cause de l’état d’urgence sanitaire.
Dans de telles conditions, l’on ne saurait justifier un quelconque mandat donné par l’Assemblée générale du Conseil supérieur de la magistrature à son Bureau de procéder en ses lieu et place ni encore moins de transmettre une liste ou un de ses procès-verbaux au Président de la République.
L’article 4 de la Loi organique N° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dispose clairement que : « Est nulle de plein droit toute nomination intervenue en violation des articles 2 et 3 de la présente Loi organique ». Il y a dès lors lieu d’affirmer, sans aucun risque d’être contredit, que la nomination des membres de la Cour constitutionnelle issus du Conseil supérieur de la magistrature, par l’ordonnance présidentielle N° 20/116 du 17 juillet 2020 est nulle de plein droit.
Cette nullité de plein droit est fondée sur la violation d’une procédure.
2. Conséquences de la nullité de plein droit
Quel est le sens et la portée de la nullité de plein droit ?
« De plein droit » vient de l’expression latine IIde plano» qui signifie qu’il en est ainsi sans qu’il ne soit besoin d’en prévoir l’application ou encore sans qu’il ne soit besoin de l’intervention d’une décision de justice. Ainsi donc, il n’y a nul besoin à cet égard de mettre en application l’ordonnance présidentielle du 17 juillet 2020 nommant les membres de la Cour constitutionnelle pas plus qu’il n’est besoin d’une décision de justice pour l’annuler. Cest d’autant plus vrai que, dans le cas d’espèce, la Cour constitutionnelle, seule instance compétente en la matière, n’est pas en mesure de siéger valablement, non seulement, parce qu’elle est amputée d’un membre démissionnaire, mais encore et surtout, parce que les trois (3) Membres anticonstitutionnellement nommés ou les deux (2) Membres retirés, dans le même élan, ne pourront pas statuer sur une cause qui les concerne, car ils seraient à la fois Juges et Parties.
A mon humble avis, c’est à ce niveau que son Excellence Monsieur le Président de la République, garant du respect de la constitution, est appelé à faire jouer les prérogatives lui reconnues par l’article 69 de la constitution en initiant une solution en deux étapes, laquelle ne peut être mise en œuvre que s’il consentait courageusement à rapporter l’ordonnance sous examen comme il le fit avec celle relative au comité de gestion de la solidarité nationale contre la Covid-19, laquelle avait été contestée à bon droit par les confessions religieuses qui y avaient été malencontreusement incluses.
Ce préalable accompli, le chef de l’Etat pourra prendre une nouvelle ordonnance nommant le membre relevant de son groupe avec le contreseing constitutionnel requis (premier ministre). Par la suite, en temps voulu il veillera à ce que la Constitution soit respectée en ce qui concerne la désignation des membres de la Cour constitutionnelles à lui proposer par le Conseil Supérieur de la Magistrature, conformément aux articles 82 et 152 de la Constitution.
3. La problématique des mentions inexactes
Dans les conditions décrites ci-dessus, la mention « vu le procès-verbal constatant la désignation des membres de la Cour constitutionnelle par le Conseil supérieur de la magistrature » est de toute évidence inexacte dans la mesure où il est de notoriété publique que l’Assemblée générale de cette instance ne s’est jamais réunie. Il en est de même du contreseing du premier ministre institué par les articles 79, 81 et 82 de la constitution. On sait en effet que le chef du gouvernement avait été dépêché la veille de la promulgation de l’ordonnance présidentielle en question (16 juillet 2020 à 21 heures) en mission de 48 heures à Lubumbashi et qu’à son retour de ladite mission, il avait affirmé sans ambages le 21 juillet 2020, qu’il n’avait pas été associé à son élaboration. Cette déclaration a gravement jeté le doute sur l’intégrité du processus d’élaboration de l’acte proposé au chef de l’Etat ce jour-là. En effet, le travail commence à 9 heures et se termine à 17 heures à Kinshasa. Or, le 17 juillet 2020, clest exactement à 17 heures que la lecture des ordonnances au nombre desquelles figure celle querellée avait commencé.
On ne saurait comprendre que dans la seule journée entre 9 heures et 17 heures les très nombreuses ordonnances aient pu avoir été transmises pour le contreseing au vice-premier ministre en charge de l’Intérieur assurant l’intérim du premier ministre depuis la veille dans la nuit avant d’être retournées pour la certification de la conformité aux originaux de même que l’apposition des sceaux et numéros et ce, alors que le même jour Son Excellence Monsieur le Président de la République et le premier ministre intérimaire ainsi que le directeur a.i. du cabinet prenaient part à un conseil des ministres tenu de 13 heures 55’ à 20 heures 15’…
4. Conséquences des mentions inexactes
L’inexactitude manifeste ou alléguée des mentions jette donc un doute sérieux sur cet acte de si haute portée politique et donc porte atteinte à la Foi Publique. La contradiction entre d’une part, la déclaration publique du premier Ministre, titulaire constitutionnel du contreseing et d’autre part l’ordonnance présidentielle sous examen, dûment publiée au Journal Officiel, montre qu’en tout état de cause, il s’agit d’un faux :
1. Soit l’Ordonnance en cause contient de fausses mentions qui pourraient consister dans le visa « vu le procès-verbal constatant la désignation des Membres de la Cour constitutionnelle par le Conseil supérieur de la magistrature » étant donné que ledit Conseil habilité à désigner les membres à présenter au président de la République pour la nomination à la Cour Constitutionnelle ne s’est jamais réuni à cette fin, ce qui est manifestement inappropriée pour le membre nommé à l’initiative du président de la République ;
2. Soit le premier Ministre n’a pas dit la vérité lorsqu’il a affirmé par sa déclaration du 21 juillet 2020, qu›il n›avait jamais été associé à l’élaboration de ladite ordonnance présidentielle datée du 17 juillet 2020 ;
3. Soit encore c’est le directeur du cabinet présidentiel qui a fallacieusement certifié conforme à l’original la copie de l’ordonnance en cause.
Dans tous les trois cas, il importe de clarifier cette affaire afin de préserver l’intégrité que le chef de l’Etat entend voir caractériser le fonctionnement de nos institutions publiques.
Pétri d’une sagesse acquise après une riche carrière au service de la Nation, le doyen Nyabirungu a identifié les pistes pouvant amener le président de la République à rapporter notamment l’Ordonnance en cause par une solution politique très laborieuse que je déconseille vivement. Quant au professeur-pasteur Théodore Ngoy, probablement en souvenir des moments qu’il a eu à partager avec le président de la République dans les rangs de l’opposition, il propose de dialoguer directement avec lui afin d’éviter l’éventualité de poursuites pénales pour crime de haute trahison. La solution que je préconise est celle du dialogue direct proposé par le Maître Ngoy mais je ne souscris pas à la mise en accusation du président de la République.
Je suis en effet convaincu que le président doit avoir été induit en erreur et que donc il n’a pas violé intentionnellement la Constitution. Par ailleurs, je sais, d’expérience qu’en l’espèce, un procès pénal ne fait pas toujours bon ménage avec l’intérêt général. Surtout pas dans ce contexte où la Cour constitutionnelle se trouve paralysée, et donc dans l’impossibilité de fonctionner.
Tout bien considéré, la crise n’est pas simplement à l’horizon. Nous sommes en plein dedans. Plus que jamais, c’est ici que se justifie l’arbitrage du Président de la République institué par l’article 69 de la Constitution. En tout état de cause, maintenant que les deux chambres du Parlement ont décidé dans leur grande majorité de ne pas prendre part à la présentation à la Nation des 3 nouveaux membres de la Cour constitutionnelle qui précède leur prestation de serment au terme de l’article 10 de la loi organique de 2013 y relative, il sied d’approfondir la réflexion afin de sortir de l’impasse.
Concrètement, afin de permettre à l’Assemblée nationale d’éclairer sa religion sur cette question, je suggère urgemment la mise sur pied d’une commission qui aura pour mission d d’enquêter sur les tenants et aboutissants de I’ordonnance présidentielle du 17 juillet 2020 à partir du bureau du Conseil supérieur de la magistrature jusqu’aux services du président de la République. Le Sénat pourra faire de même. A I’issue de cette enquête, les institutions Président de la République et Parlement amplement éclairées à ce sujet sur les responsabilités pourront élaborer sereinement les voies et moyens idoines de sortie de crise.
En conclusion
D’ores et déjà, en plus du communiqué, il est impérieux que chacune des chambres en débatte démocratiquement et lève une option sur l’attitude à adopter face à une éventuellement cérémonie illégale ou anticonstitutionnelle de prestation de serment des 3 magistrats.
Je ne saurais terminer sans résumer mes cogitations ci-dessus en disant que pour avoir violé les conditions et procédures prescrites à peine de nullité de plein droit, l’ordonnance présidentielle N° 20/116 du 17 juillet 2020, portant nomination des membres de la Cour constitutionnelle est nulle de plein droit.
Je recommande aux autorités de la République Démocratique du Congo de ne pas en rajouter à la confusion en persévérant dans la violation de la constitution par la mise en application forcée de cette ordonnance ou en cherchant à tout prix à satisfaire leurs egos par la recherche à tout prix d’une décision de justice constatant sa nullité de plein droit, laquelle pourrait être le point de départ de confrontations déstabilisatrices. Cette option devrait en conséquence être aussi rapportée, quitte à régulariser ce qui peut encore l’être.
Professeur Ngoto Ngoie Ngalingi
Avocat à la Cour d’Appel
Titulaire du Certificat de Haut Cadre de la John Kennedy School of Governement, Harvard University (Massachussetts, USA)