L’Etat de droit à géométrie variable en vogue en RDC permet à certains gouverneurs de provinces déchus par leurs assemblées provinciales de se maintenir en poste, créant une jurisprudence dangereuse. Si au Kasaï Central le gouverneur Kabuya avait dûment été notifié de sa déchéance par le ministre de l’Intérieur aussitôt après le vote de la motion de défiance de l’Assemblée provinciale le visant, tel n’a pas été le cas dans deux autres provinces où les chefs des exécutifs se sont vus retirer la confiance par leurs mandants (députés provinciaux) sans que le gouvernement central n’en tire les mêmes conséquences.
Dans la province du Kongo Central où un scandale sexuel avait éclaboussé le gouverneur et son vice, une levée de boucliers des forces vives de la province avait contraint l’Assemblée provinciale à laver l’affront subi par la province en déposant le gouverneur Atou Matubwana et son colistier. Malgré le vote de la motion de censure intervenu après l’échec de la mise en accusation du gouverneur Matubwana, mais celui-ci sera curieusement confirmé dans ses fonctions par le même ministre de l’Intérieur. Une sommation du procureur général près la Cour constitutionnelle au gouverneur du Kongo Central pour qu’il dépose sa démission dans les 48 heures n’a pas survécu à l’effet d’annonce. Atou Matubwana est toujours en fonction.
Au Sankuru, la situation est autrement plus ubuesque. Porté à la tête de la province par des députés FCC ayant rechigné à soutenir le ticket aligné par leur famille politique, Joseph-Stéphane Mukumadi qui avait miraculeusement concouru au suffrage grâce à une intervention inconstitutionnelle du Conseil d’État malgré sa nationalité étrangère relevée par la cour d’appel du Sankuru – la seule à même de connaître au premier et dernier degré le contentieux de candidatures aux élections provinciales selon le droit positif congolais – a perdu par la suite le soutien circonstantiel de ses grands électeurs avant même l’investiture de son gouvernement qu’il n’a même pas été à même de solliciter. Non seulement le gouvernement provincial du Sankuru n’a jamais été investi par l’Assemblée provinciale après adoption de son programme de gouvernement, mais aussi la même assemblée s’est rétractée en votant une mise en accusation en bonne et due forme de l’ insaisissable gouverneur. Cette démarche est pendante devant la Cour de cassation pour des faits avérés et documentés de détournement de deniers publics et d’outrage à l’Assemblée provinciale. Ne pouvant plus se déployer dans sa juridiction, Mukumadi avait d’abord tout simplement choisi de se soustraire à la loi en retournant dans son pays d’adoption, la France. La pandémie de la Covid-19 est arrivée comme du pain béni pour le fugitif qui fit valoir ainsi un alibi de taille pour continuer à se la couler douce aux frais d’une province meurtrie qu’il avait abandonnée à son triste sort et dont il a partagé les maigres ressources avec un quarteron de complices bien identifiés aussi bien dans le FCC qu’au sein du CACH à Kinshasa. Revenu sur la pointe des pieds dans la capitale longtemps après la fin du blocus sanitaire, Stéphane Mukumadi dopé par le laboratoire de ses mentors a débarqué en dépit de la procédure en cours devant la Cour de cassation dans une province qu’il ne dirigeait plus selon un arrêt de la Cour constitutionnelle pour y défier et humilier ses détracteurs. À l’étape de Lodja, le gouverneur déchu flanqué d’une bande armée composée d’éléments FARDC et de la PNC commandés par le lieutenant-colonel Kalala, a ordonné notamment la fermeture des médias qui ne soutenaient pas sa folle aventure, allant jusqu’à torturer des journalistes et des membres des formations politiques dont les députés provinciaux qui avaient voté sa mise en accusation faisaient partie. Malheureusement pour lui, les images de ses exploits de tortionnaire à Lodja et à Lomela notamment ont circulé sur la toile à la vitesse de l’éclair, suscitant une vive désapprobation dans l’opinion nationale et internationale.
À Lomela, il avait carrément enlevé l’administrateur du territoire et ses deux adjoints accusés fallacieusement d’entretenir une milice armée (sic!). Contredit par les évidences et l’ouverture d’un dossier judiciaire contre lui pour incitation des militaires à commettre des actes contraires au devoir, il a fini par libérer précipitamment les trois infortunés après les avoir séquestrés dans un site appartenant à un de ses mentors, le député national FCC Jean-Charles Okoto.
L’Auditorat militaire supérieur de Mbuji-Mayi duquel relève la jeune province du Sankuru lui ayant adressé une invitation judiciaire pour le 14 septembre au sujet de ces faits, Mukumadi a opté pour un énième faux bond à la justice congolaise, préférant se réfugier dans la capitale pour des sorties médiatiques.
Plutôt que de répondre à la justice, il a préféré s’afficher aux côtés du secrétaire général de l’UDPS, comme pour s’immuniser politiquement contre des poursuites judiciaires avant d’improviser un point de presse à la paroisse Notre Dame de Fatima à Gombe.
Dans un style approximatif, l’homme a eu bien du mal à répondre aux questions d’une presse plutôt bien renseignée sur ses excès. Il a ainsi maladroitement botté en touche sur les questions relatives à l’arrestation et la séquestration de personnes en lieu et place de la justice, aux tortures et autres traitements inhumains et dégradants infligés à des journalistes et à des militants du camp adverse à son refus de se présenter à l’invitation de la justice militaire à Mbuji-Mayi, aux cas flagrants de détournements de deniers publics dont les fonds de rétrocession aux entités territoriales décentralisées (ETD) et à ses accointances trop opportunistes tantôt un cacique du FCC, tantôt avec l’UNC, puis avec l’UDPS, ces deux derniers n’ayant aucun député à l’Assemblée provinciale du Sankuru.
Véritable apprenti-sorcier, Mukumadi s’est limité à bafouiller des accusations incohérentes contre les journalistes qu’il considérait comme à la solde de ses «ennemis politiques». Désabusés, la plupart des chevaliers de la plume invités au point de presse avaient renoncé à couvrir ces propos grandguignolesques. C’est la queue entre les pattes que Mukumadi sera exfiltré de la paroisse Notre Dame de Fatima.
La responsabilité du ministère de l’Intérieur
Gilbert Kankonde, homme de confiance du président Félix Tshisekedi qui lui a confié le poste le plus prééminent de CACH au gouvernement de coalition aurait-il choisi de voguer à contre courant de l’état de droit, leit motiv de son chef ? La question mérite d’être posée surtout lorsqu’on voit la manière dont les lois de la République sont passées par pertes et profits dans la gestion de la territoriale. L’on accuse le vice-premier ministre UDPS de l’Intérieur et sécurité de s’inféoder les gouverneurs en délicatesse avec leurs grands électeurs dans les bastions du FCC. Sa stratégie consisterait à maintenir de gré ou de force ces derniers afin de leur assigner des objectifs profitables à sa formation politique.
Cette option est d’autant plus improductive qu’elle engendre déjà une instabilité chronique imputable au parti présidentiel dans les provinces concernées. D’un point de vue strictement électoraliste, la stratégie est loin d’être payante pour l’UDPS qui mordra à coup sûr la poussière en étant in fine accusée de tous les travers des mauvais résultats dans la gouvernance de ces provinces à problème.
Agir sous l’empire de la législation en vigueur est un gage de succès pour ceux qui souhaitent investir politiquement à long terme. En ce qui concerne la province du Sankuru, il est aléatoire d’espérer qu’un gouverneur déchu qui n’a à son actif rien de positif puisse faire basculer l’électorat du côté de ses mentors indélicats. La désillusion risque d’être à la hauteur de l’incongruité.
JBD