Au-delà des gesticulations mutuelles entre membres de la coalition CACH-FCC, l’épreuve de force semble engagée entre les extrémistes des deux camps. Les manœuvres politiques en vue de la tenue d’un énième dialogue national ne sont qu’un exutoire à cet égard. Le but est de redistribuer les cartes et obtenir un rééquilibrage des forces politiques en présence qui prennent en compte de nouvelles forces politiques et sociales absentes de l’arène.
L’enjeu pour certains consiste à utiliser divers subterfuges pour mettre entre parenthèses la Constitution et se maintenir au pouvoir au-delà de 2023 sans élections. Le secrétaire général de l’UDPS/T. Augustin Kabuya et certains parlementaires debout qu’il contrôle ne font plus mystère de leur volonté d’un ‘‘glissement’’ jusqu’en 2026. Y faisant suite, la conférence des chefs des regroupements du FCC a indiqué dans un communiqué que «le FCC n’entend pas soutenir les initiatives qui pourraient avoir pour conséquences de retarder l’organisation des élections prévues en 2023».
Le précédent est déjà là pour justifier les nouvelles concertations nationales prenant appui sur les frustrations de ceux qui sont absents au festin mais qui ont l’oreille des ‘‘maîtres autoproclamés du monde’’.
Du côté du FCC, l’on rappelle froidement à l’ordre les uns et les autres. La famille politique de Joseph Kabila estime en effet que toute concertation ne peut avoir lieu qu’au sein des institutions que sont : le président de la République, le parlement et le gouvernement qui conduit la politique de la nation et en répond devant le parlement. Les domaines de collaboration entre le président et le chef de gouvernement étant la sécurité, les affaires étrangères et la défense, le premier ministre Ilunga Ilunkamba avait raison, estime-t-on ici de réclamer une consultation préalable avant le contreseing apposé par son intérimaire le VPM Gilbert Kankonde sur les dernières ordonnances présidentielles relatives à la mise en place dans l’armée et la magistrature.
On s’indigne à ce propos du fait que l’avis du Conseil supérieur de défense et du gouvernement n’ait pas été sollicité et on parle de dol, ruse, malice et fraude pour conclure que ces ordonnances sont anticonstitutionnelles et qu’elles devraient être rapportées.
Autre point litigieux entre coalisés : la succession du président de la Cour constitutionnelle Benoît Lwamba, qui aurait présenté sa démission dans des circonstances jugées louches en quittant brusquement le pays pour la Belgique. Plutôt que de le remplacer par un seul magistrat, qui aurait été chargé de parachever son mandat, le chef de l’Etat a désigné trois nouveaux membres de cette haute Cour sans consulter les intérressés. Des initiatives menées en solo et qui violeraient la lettre et l’esprit de l’accord de coalition FCC-CACH.
«La crise actuelle risque de marquer un tournant dans l’histoire de cette coalition qui était pourtant une première inespérée en RDC, à savoir une transition pacifique où l’on avait vu l’ancien et le nouveau président développer des liens de collaboration et entreprendre des concertations régulières. Ces dangereux coups de canif dans le contrat de mariage ne sont pour autant pas surprenants, car il est évident que, lors des prochaines élections prévues pour 2023, MM. Tshisekedi et Kabila vont vraisemblablement se trouver en position de rivalité», estime Colette Braeckman du journal belge Lesoir.
Si la transition pacifique qui avait rassuré beaucoup de Congolais et mécontenté les partisans d’une autre coalition d’inspiration occidentale, Lamuka, qui estimait sans le prouver avoir remporté les élections, devait échouer après moins de deux ans, elle laisserait le champ libre à une autre formule qui se résume au rapport de force. Aujourd’hui déjà, chacun compte ses amis, ses militants et ses fusils, tandis que la population tire déjà le bilan des acquis et des promesses déçues. Rien de nouveau sous les tropiques africaines.
La trouvaille de certains partisans de Tshisekedi qui le poussent visiblement à mettre sous le boisseau la démocratie en procédant à l’embastillement des voix discordantes ou rivales, qu’elles soient de l’UNC ou du FCC, procède du déjà vu sur le continent. Les dessous des cartes de la succession au Parti Lumumbiste unifié (PALU) que les deux partenaires de la coalition semblent s’arracher après la disparition du patriarche Antoine Gizenga, le non entérinement de la désignation de Ronsard Malonda à la tête de la CENI prouvent à suffisance qu’à l’UDPS/T. on veut ‘‘s’émanciper’’ du cadre de concertation de la coalition FCC-CACH.
Pendant ce temps, «nous sommes de plus en plus préoccupés par le nombre croissant de violations des droits de l’homme et de restrictions des libertés civiles sous Félix Tshisekedi. Sans un changement de cap de la part du gouvernement», écrit les activistes et observateurs de Human rights watch. «Nous craignons que les droits civils fondamentaux en RDC ne soient encore érodés et que la légitimité des élections cruciales à venir ne soit mise en péril».
Il y a lieu en effet de s’inquiéter à ce sujet, puisque les nouveaux fondés de pouvoir ne semblent pas capables de rester unis jusqu’aux élections en 2023. Une mise en veilleuse de la démocratie qui altérerait les acquis de l’alternance pacifique voulue par Joseph Kabila pour la paix en RDC ouvre la voie à toutes les incertitudes que même les partisans du glissement au-delà de 2023 ne sont pas en mesure de maîtriser.
Le malaise va crescendo
Le peuple congolais va droit à une catastrophe sociale, économique et sécuritaire, menaçant son existence même en tant que nation et Etat. Plus de 150 groupes armés ravagent le pays, sept armées étrangères occupent le territoire national. Les provinces accusent des arriérés de plus de 8 mois de rétrocession. Les fonctionnaires vivent la résurgence de la période cauchemardesque des années 1990 avec des rémunérations intermittentes. Le Franc congolais continue son mouvement de yoyo face aux devises fortes. Cela rend la survie quasiment impossible en termes de paiement de loyers et d’achat des produits de première nécessité. Cette situation est analogue à celle qui a poussé au Mali le peuple à battre le pavé pour faire pression sur un président pourtant légitimement élu pour le pousser vers la porte de sortie. En RDC, il y a pire: « le président n’a pas produit la légitimité de performance institutionnelle, alors que les têtes brûlées de son parti érodent sa légitimité électorale de 30% de votes», estime l’ecrivain-gouvernologue Hubert Kabasubabu Katulondi pour qui «cette situation extrêmement périlleuse, susceptible de conduire à la désintégration du pays, ne semble pas convoquer l’attention du président Félix Tshisekedi, plus préoccupé par les stratagèmes d’expansion de ses pouvoirs impériaux, avec des nominations politiciennes, irrespectueuses des autres institutions, et au-delà des prescriptions constitutionnelles imposées par le régime semi-présidentiel».
Certains accusent déjà le vainqueur de la présidentielle de décembre 2018 de vouloir monopoliser l’Etat pour servir des intérêts étrangers mercantilistes. ‘‘Le peuple d’abord’’ se réduirait ainsi à une pure hypnose politicienne. Les incantations du messianisme politique se sont évaporées à l’épreuve du pouvoir. La désillusion est totale.
Pourtant, beaucoup pensent que le président Félix Tshisekedi possède toutes les chances d’entrer dans l’Histoire comme le père de la ré industrialisation de la RDC et de l’émergence d’ici 2030. S’il n’est pas capable d’actionner la matérialisation d’une telle ambition en se focalisant exclusivement sur l’amélioration des conditions de vie de la population d’ici décembre 2020, ce sera la bérésina selon Kabasubabo.
Dans les griffes des impérialistes, la RDC actuelle marche à contre-courant de l’histoire de ce pays où les ennemis s’étaient déjà impliqués depuis 1965. Ils ont accéléré la cadence dès 1990 à 1997 en bloquant la Conférence nationale souveraine et ont hiberné tous les autres schémas de développement. Avec l’appui intérréssé de quelques Congolais traîtres qui agissent par procuration au profit des autres.
Ils continuent à ignorer les aspirations profondes de leurs compatriotes à l’émergence d’une société qui est soumise à des règles juridiques et qui garantit le respect de ces règles à tous les citoyens. Au-delà du fait qu’un Etat de droit garantit l’égalité de tous les citoyens devant la Loi, les Congolais devront s’attendre à des conséquences encore plus fâcheuses de la fachosphère qui changeront complètement la manière de faire la politique et même le paysage politique de leur pays.
Nécessité d’un débat franc au sein de FCC-CACH
Le dialogue accompagne la respiration institutionnelle de toute société démocratique. Si l’importance de débattre semble aller de soi dans l’imaginaire collectif, en réalité, cette évidence peine souvent à se concrétiser, tant dans la sphère familiale que dans le domaine politique où la tendance à l’entre-soi, voire au communautarisme contribue à rendre stérile tout débat.
Cette difficulté n’est pas toujours prise au sérieux au sein de la coalition FCC-CACH. La notion de démocratie délibérative est un sujet relativement nouveau en RDC. Paradigme dominant de la théorie politique anglo-saxonne, elle y cherche sa voie depuis les années 1990 (CNS). Et pourtant, Aristote le soulignait déjà : débattre, c’est penser pour soi-même mais aussi contre soi-même, c’est accepter de sortir de sa zone de confort pour s’ouvrir à l’altérité. Le débat n’est autre que ce moment où l’on s’interroge ensemble sur différentes solutions avant d’opter tout aussi ensemble pour l’une ou pour l’autre.
La coalition au pouvoir doit entreprendre un voyage initiatique hors de toute conflictualité car le conflit qui entraîne souvent la violence est dangereux. Ce n’est pas le désaccord qui est problématique, mais l’absence de débat. Point de vrai pluralisme démocratique sans débat contradictoire.
Alfred Mote
Analyste politique