Ce qui se passe actuellement dans notre pays, la RDC, me donne de fortes inquiétudes pour l’avenir. Je ne suis pas seul dans ce cas car plusieurs compatriotes expriment le même sentiment. Entre les accusations croisées de complots plus ou moins imaginaires et les procès politiquement motivés, les appels à la chasse aux sorcières, les morts en cascade dans les milieux du pouvoir, les allégations de détournements massifs de deniers publics et les scandales de mœurs impliquant des responsables politiques sur fond du silence des plus hautes autorités au sujet du développement autocentré du pays, on ne sait plus à quel saint se vouer.
A cela s’ajoute la pandémie du Coronavirus et ses conséquences tant sociales qu’économiques et une inflation qui rappelle de sombres épisodes d’un passé que l’on croyait révolu.
La vie socio-économique des Congolais se détériore chaque jour.
En dépit des services qu’ils rendent parfois en informant la population, beaucoup de faits rapportés dans les réseaux sociaux sont des ‘’fake news’’ qui créent un climat malsain et conduisent le pays vers le chaos et l’implosion. Face à ce maelstrom, il importe d’identifier les causes de cette descente aux enfers d’un pays qui a tout pour être un eldorado.
Rétroactes
La RDC est une terre d’opportunités qui a connu de grands empires ayant marqué l’histoire de l’Afrique (Kongo, Kuba, Luba, Lunda etc.) avec une richesse importante en humanité et en culture malgré les affres de l’esclavagisme et de la traite des Noirs. Depuis que le roi des Belges Léopold II s’en est approprié en 1885 avec la complicité de certains autochtones, ce pays est devenu une propriété des autres. Cette appropriation particulière de la terre de nos aïeux s’est poursuivie après que le souverain eut vendu « son » Congo à la Belgique qui lui a maintenu un statut de ‘’colonie internationale’’ ouverte à toutes les puissances occidentales en vertu des Actes de la fameuse Conférence de Berlin que beaucoup de Congolais ne connaissent même pas alors qu’ils fondent la place de leur pays dans le monde d’aujourd’hui. Des Actes qui font vivre le Congo dans une situation de dépendance et d’extraversion manifestement intériorisée par une partie de ses élites.
Le 30 juin 1960, le Congo a accédé à la souveraineté nationale et internationale. Mais force est de se rendre à l’évidence : 60 ans après, il n’est pas réellement un Etat souverain. En effet, les politiques publiques du pays qui engagent la destinée de son peuple continuent à être dictées par des puissances néocoloniales avec la complicité des compatriotes qui ne se gênent pas de jouer le rôle de «nègres de service». Quiconque n’accepte pas cette indignité devient un gibier de la potence politique ou physique à l’instar de Patrice-Emery Lumumba et Mzee Laurent-Désiré Kabila.
Une émancipation toujours chahutée
L’histoire mouvementée du Congo-Kinshasa s’est emballée avec la problématique des élections générales qui étaient auparavant prévues pour 2016. Une polémique passionnée s’était focalisée autour de l’idée d’un troisième mandat inconstitutionnel prêtée à l’alors président Joseph Kabila, soupçonné par l’opposition de vouloir tripatouiller la Constitution dans ce sens. Des défenseurs de la loi fondamentale étaient vent debout pour soutenir coûte que coûte la Constitution, particulièrement dans ses articles ‘’verrouillés’’. Des marches pacifiques ou violentes et des pétitions se sont succédé dans le pays. Du pain béni pour les puissances occidentales, usufruitiers illégitimes et sans scrupules de l’empire de Léopold II qui en ont profité pour faire une intrusion bruyante dans ce débat domestique. A travers leurs chancelleries et divers réseaux dans les médias et la société civile, ils ont eu beau jeu de brandir leur qualité autoproclamée de ‘‘membres de la communauté internationale et maîtres du monde’’ pour demander à Kabila de garantir une passation pacifique du pouvoir avec un nouveau président entrant. La proposition, assortie de menaces de graves mesures ‘’punitives’’ (sic !) n’était pas aussi neutre qu’il y paraissait. Les occidentaux avaient déjà leur candidat qu’ils suggèraient au chef de l’Etat d’intervenir pour qu’on le laissât concourir même en violation des lois congolaises. Le refus de Kabila de se soumettre à cet oukase contraire à son serment constitutionnel serait une des causes du désamour persistant des supprématistes vis-à-vis de sa personne.
Une classe politique et sociale dévoyée
Comme on le voit, les maîtres autoproclamés du monde disposent d’une panoplie de collaborateurs au Congo. Cornaqué par des promesses de prébendes, un groupe de sept proches de Kabila se sont chargés de le travailler au corps pour obtenir son imprimatur en faveur du candidat choisi par les occidentaux. Différentes correspondances adressées par les intérressés à JKK en font foi. Face à l’obstination de ce dernier, ils ont jeté l’éponge et quitté ostensiblement sa Majorité présidentielle (MP) pour créer le groupe dit des sept (G7) qui a rejoint aussitôt l’opposition.
En fait, il s’agissait plus pour eux de quitter le navire avant qu’il ne coule, selon les mots de l’un d’entre eux. Leur objectif a été alors de «dégager» Kabila, de gré (par les élections) ou de force (par un soulèvement populaire). Ils seront bientôt rejoints par un «Comité Laïc de Coordination» (CLC) constitué de membres de la société civile proches de l’Eglise catholique qui ont eux aussi embouché les trompettes du respect de la Constitution et de la non représentation de Joseph Kabila à l’élection présidentielle. Des marches organisées par cette plateforme avec comme point de départ les paroisses catholiques, chaque dimanche à la sortie des messes, ont fait l’objet de sanglantes répressions reprochées au régime en place. Les morts dénombrés en ces circonstances sont célébrés comme des martyrs de la démocratie et de l’alternance, ce qui met de l’eau au moulin des mentors.
Concomitamment, un universitaire congolais, Jean Bele, installé aux USA avait pris l’initiative d’une campagne pour une «Transition Sans Kabila (TSK)» et organisé sur Internet une consultation pour la désignation d’un administrateur de ladite période de transition. A l’issue de celle-ci, il avait proclamé le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya «administrateur élu de la transition congolaise» avec comme adjoint le prix Nobel de la paix, le Dr Denis Mukwege. L’initiative n’a jamais connu un début de réalisation parce que le peuple congolais n’aspirait qu’à des élections devant aboutir à une alternance politique pacifique. Pour trouver une voie de sortie à la crise politique ainsi entretenue, le président Kabila a initié un «dialogue politique national». Supervisé par l’Union africaine (UA) qui avait désigné à cette fin le Togolais Edem Kodjo, ce dialogue national devait durer deux semaines à compter du 1er septembre 2016. Une majorité de l’opposition (UDPS, G7 et MLC) regroupés au sein du ‘’Rassemblement de l’opposition’’ (RASSOP) a refusé d’y participer en récusant Kodjo accusé de partialité. En fait, le RASSOP avait déposé sa propre feuille de route le 29 août à l’Union africaine avec comme conditions le départ de Kabila à la fin de son mandat.
Dialogues superposés
Malgré ce boycott, le dialogue politique national s’est tenu. Il a abouti à la formation d’un gouvernement d’union nationale avec comme 1er ministre, Samy Badibanga, un transfuge de l’UDPS. La Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) y avait pris part au sein de la société civile. Par la suite, estimant le forum ‘‘non inclusif’’, elle s’en était retirée sans signer l’Accord de la cité de l’Union Africaine du 18 octobre 2016.
De retour d’une rencontre avec le Pape François au Vatican, Joseph Kabila confia aux Evêques de la CENCO une mission de bons offices consistant à mettre les politiciens d’accord sur les élections comme piste de sortie de la crise politique. Ils ont accepté et proposé un dialogue à format réduit à cette fin. Sous la supervision de Mgr Marcel Uthembi, président de la CENCO et Mgr Fridolin Ambongo, vice-président, assistés par l’Abbé Donation Nshole, le secrétaire général et porte-parole de l’épiscopat catholique, un dialogue politique a eu lieu au Centre Interdiocésain de Kinshasa avec la participation du RASSOP. Les travaux qui ont démarré le 8 décembre 2016, peu avant la date de la fin du mandat constitutionnel de Joseph Kabila le 19 du même mois, permirent de passer ce cap sans les troubles tant redoutés. Ils se sont clôturés le 31 décembre, jour de la Saint Sylvestre, par la signature d’un Accord politique dénommé, « Accord de la Saint Sylvestre » qui, avec valeur de texte de loi, a régi le temps séparant la tenue de ce dernier dialogue et les élections fixées consensuellement au mois de novembre 2018. Parallèlement était constitué un nouveau gouvernement avec comme 1er ministre, Bruno Tshibala, un autre transfuge de l’UDPS.
Divisions autour du strapontin présidentiel
Survint alors le branle-bas dans les partis de l’opposition pour chercher un candidat commun pour la présidentielle. Une rencontre s’était tenue auparavant en Belgique (Genval) à cette fin. Tout portait à croire qu’Etienne Tshisekedi, le vieil opposant à tous les régimes au pouvoir à Kinshasa depuis Mobutu, faisait l’unanimité mais il devait mourrir d’une embolie pulmonaire avant le scrutin. D’autres rencontres se sont tenues dont la dernière en date fut celle de Genève où un accord fut signé par les participants désignant Martin Fayulu candidat commun de l’opposition organisée désormais en une plateforme électorale dénommée «Lamuka» («Réveille-toi»). Après avoir signé cet accord, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe se sont désistés au motif que leurs bases respectives au pays n’acceptaient pas leur présence dans cette plateforme qui donnait Fayulu et non Félix Tshisekedi comme candidat unique de l’opposition.
Kamerhe et Tshisekedi se sont retrouvés à Naïrobi pour créer une plateforme électorale, le «Cap vers le Changement» (CACH) pendant que de son côté, la MP se muait en une plateforme électorale, le «Front Commun pour le Congo» (FCC). Alors que Lamuka est née à Genève et CACH à Naïrobi, le FCC a vu le jour à Kinshasa. Alors que pour Lamuka, le candidat était déjà connu (Martin Fayulu) et que dans le camp du CACH, le candidat était aussi connu (Félix Tshisekedi), le FCC avait tardé à désigner son homme. On se bousculait au portillon pour être celui sur qui les sociétaires de Kabila allaient jeter leur dévolu. C’est à la dernière minute, peu avant la clôture de l’enregistrement des candidatures que l’on a su que ce serait le PPRD Emmanuel Ramazani Shadary.
Après différents reports, la date de la tenue des élections fut finalement fixée au dimanche 30 décembre 2018. Kabila avait tenu à ce que ces élections soient financées entièrement par le gouvernement congolais sans aucune intervention de l’extérieur. Il a refusé aide extérieure et missions d’observation étrangères des élections. Pour les uns, cette décision cachait une volonté de tricher à l’abri du regard de la Communauté internationale mais pour les autres, c’était l’expression d’une volonté de faire du Congo un Etat réellement souverain et indépendant. Les élections se sont tenues effectivement le dimanche 30 décembre 2018 sur toute l’étendue du pays.
En janvier 2019, la CENI a proclamé Félix Tshisekedi, vainqueur de l’élection présidentielle, un résultat confirmé quelques jours plus tard par la Cour constitutionnelle, ce qui a fait de lui le cinquième président de la RDC. Il a été investi le 24 janvier 2019 au cours d’une cérémonie officielle de passation de pouvoir entre lui et Kabila.
Mais avant la proclamation des résultats définitifs, des négociations s’étaient tenues entre le FCC de Kabila et le CACH de Tshisekedi pour aboutir à la signature d’un accord de coalition en vertu duquel le pays est gouverné par une coalition FCC-CACH laborieusement constituée.
Une coalition maudite par les « maîtres du monde »
La détestation de la coalition FCC-CACH par les occidentaux est un secret de polichinelle. Au départ, ils avaient contesté les résultats des élections en affirmant qu’ils n’étaient pas conformes à la vérité des urnes et ils exigeaient que le ‘‘vrai vainqueur’’ qui serait d’après eux, Martin Fayulu, le candidat de Lamuka soit proclamé président élu. Depuis lors, Fayulu déclare qu’on lui a volé sa victoire. Après l’investiture de Tshisekedi, les occidentaux ont commencé à changer de discours. Compte tenu de leurs intérêts en RDC, ils se sont résolus à reconnaître le nouveau président puis à l’approcher pour l’avoir de leur côté. Tout en lui enjoignant de se séparer de Joseph Kabila. D’où l’expression «nous allons déboulonner la Kabilie» que, selon une certaine opinion, le chef de l’Etat aurait lancée lors de son premier voyage aux USA. C’était la condition pour obtenir l’appui total maîtres autoproclamés du monde soucieux d’en finir avec Kabila et de le faire disparaître de l’horizon politique congolais. Ils ne lui pardonnaient pas son alliance avec la Chine avec laquelle il avait signé des contrats «mines contre infrastructures» et la promulgation du nouveau code minier accordant beaucoup d’avantages au Trésor public congolais. Au FCC tout comme au CACH, certains n’ont pas digéré l’accord de coalition. Des extrémistes au FCC jugent qu’étant majoritaires au parlement, la totalité du pouvoir exécutif au niveau du gouvernement leur revenait sans partage et qu’il n’était pas mauvais d’isoler Félix Tshisekedi pour le faire échouer tandis qu’au CACH, leurs semblables sont d’avis qu’il faut se débarrasser de la «kabilie» malgré les résultats des législatives.
En fait, en entretenant l’antagonisme entre les deux plateformes de la coalition, les uns et les autres jouent inconsciemment ou délibérément le jeu des tireurs de ficelles occidentaux. A mon avis, la faiblesse de cette coalition c’est de ne pas mettre suffisamment en exergue une vision commune de souveraineté, d’indépendance et de progrès de la RDC avant les intérêts personnels égoïstes des uns et des autres.
La perspective des élections de 2023 ne fait que compliquer l’équation. En effet, les proches du président en exercice n’accepteront certainement pas de ne faire qu’un seul mandat, ce qui peut se comprendre. D’où, leur obsession à faire place nette pour éliminer les concurrents potentiels les plus crédibles qui sont Joseph Kabila et Vital Kamerhe en instrumentalisant au besoin les technostructures d’une justice aux ordres. Kamerhe du fait de ses indélicatesses de gestion et de son style de vie ostentatoire a bien vite prêté le flanc à des accusations de corruption et de détournement de deniers publics qui l’ont conduit derrière les barreaux.
Pour Joseph Kabila, président de la République honoraire et sénateur à vie, ses pourfendeurs et leurs mentors se disent que si la justice du pays ne parvenait pas à l’embastiller, la justice ‘’internationale’’ pourrait le neutraliser d’une façon ou d’une autre. C’est le sens de la démarche d’un collectif d’avocats canadiens qui aurait porté plainte contre lui à la CPI et de leur exultation en apprenant que celle-ci aurait promis d’examiner la recevabilité de leur démarche. Alors que celle-ci est vraisemblablement vouée à un classement sans suite, faute d’un endossement par un Etat membre du statut de Rome ou du Conseil de sécurité des Nations-Unies.
Tout en saluant les efforts pour redonner à la justice ses lettres de noblesse et en finir avec l’impunité parce que la justice élève une nation, je suis d’avis, que la meilleure façon de pérenniser un pouvoir n’est pas de casser du sucre sur le dos des adversaires politiques. Encore faut-il se mettre résolument au service du bien-être socio-économique d’une population qui, faut-il le rappeler, n’a jamais été associée à toutes les négociations susmentionnées et ne connaît pas la teneur de l’accord entre le FCC et le CACH. On s’aperçoit maintenant que beaucoup de Congolais ne trouvent pas leur compte et désapprouvent la manière dont les coalisés exercent leurs attributions régaliennes. Du fait d’une communication défaillante, pour ne pas dire inexistante, de la part des dirigeants, un fossé se creuse entre eux et le peuple qui est divisé entre, d’une part, ceux qui considèrent que la coalition n’est qu’une alliance opportuniste avec le diable qui serait la cause de tous leurs malheurs et ceux qui estiment que Joseph Kabila a posé un acte positif unique dans l’histoire du pays et que la coalition doit devenir une rampe de lancement pour aller à la conquête de la souveraineté congolaise confisquée depuis belle lurette.
Des temps de vaches maigres qui nécessitent l’unité nationale
Pendant que les acteurs politiques se crêpent les chignons, le Congolais lambda abandonné à lui-même se morfond dans l’incertitude et la misère et voit sa situation socio-économique se dégrader chaque jour davantage sur fond de la pandémie de la Covid-19 et sa litanie de mesures ruineuses pour la vie sociale et l’économie (confinement, mesures-barrières, état d’urgence sanitaire etc.) qui deviennent pour quelques dirigeants véreux un fonds de commerce, une source d’enrichissement personnel. Au point que l’on parle de plus en plus de ‘’coronabusiness’’.
Cette situation a pour cause principale la soif immodérée du pouvoir, de l’avoir et de la gloire qui caractérise la classe politique congolaise; une classe politique pour qui l’argent est la valeur suprême. L’argent que l’on veut avoir à tout prix, y compris par des moyens malhonnêtes (vols, tueries, corruption). C’est le triomphe de la cupidité. Le Dieu-Argent, Dieu-Mammon a rongé le cœur et les esprits de bien de nos dirigeants. Pour s’en mettre plein les poches, beaucoup, d’entre eux n’hésitent pas à adopter le comportement d’une maffia-politico-financière internationale ou à s’aplatir devant elle ou ses relais au sein des Institutions Financières Internationales (IFI), mais aussi devant ceux qui tiennent les cordons de la bourse au niveau national.
Les hommes cupides ont créé un système capitaliste libéral et inhumain qui donne la primauté à l’avoir, à l’argent, au profit matériel, à l’économique au détriment de l’humain. C’est ce qui explique que la RDC soit un pays très riche avec un peuple parmi les plus pauvres de la planète. Le capitalisme y a laminé le sens du bien commun au profit d’une course à l’avoir égoïste dans une jungle où la loi du plus fort règne au détriment de la solidarité et du partage.
Un capitalisme sauvage et avilissant
Le Congo est malade non seulement de ses élites mais aussi et surtout du Congolais lui-même. Il faut arrêter la chasse aux boucs émissaires. Il importe que chacun fasse une introspection objective et prenne conscience de sa part de responsabilité dans la situation actuelle au lieu de jouer à la victime d’un système qui, bien qu’imposé de l’extérieur, est intériorisé par notre propre univers mental. Il faut en finir avec le discours de victimisation. Nous sommes responsables de ce que nous sommes car rien de tout cela ne serait arrivé sans notre complicité active ou passive.
Rien ne nous empêche de créer les conditions pour une vie décente dans notre pays, de créer des emplois pour permettre à chaque Congolais de vivre correctement, avec des revenus rémunératoires de son travail ou de son activité économique, de booster notre PIB en produisant et en consommant congolais, de bien gouverner le pays dans un esprit de service et d’altruisme bref, d’aimer la patrie et notre prochain. C’est la meilleure façon d’éviter le chaos et l’implosion de la RDC qui se profilent à l’horizon.
Rappelons-nous les pillages de triste mémoire de 1991 et 1993 et leurs conséquences irrémédiables sur l’économie nationale.
Pour une rupture et une nouvelle vie
Pour arrêter cette descente aux enfers, j’appelle les uns et les autres à une démarche d’insurrection des consciences, c’est-à-dire une remise en question personnelle et collective qui touche notre mode de vie fondé sur le primat de l’avoir, de l’argent, du Dieu-Mammon, une rupture avec la dictature du Dieu-Argent et son système capitaliste libéral pour instaurer un autre système plus humain et plus convivial.
Sans méconnaître ou nier la place et le rôle de l’argent dans la vie des hommes et des collectivités humaines, il s’agit de le remettre à sa juste place de moyen destiné à rendre la vie personnelle et collective agréable, plus humaine et plus conviviale et non de fin en lui-même.
En effet, ce n’est pas tant l’argent comme tel qui pose problème mais c’est plutôt une certaine manière de l’acquérir et de l’utiliser qui est questionné dans cette réflexion. Le considérer comme la finalité de notre existence humaine, c’est accepter que tous les moyens soient perçus comme légitimes pour en acquérir y compris le vol, l’escroquerie, le pillage, les détournements, la corruption, etc.
La rupture que nous devons opérer dans notre vie quotidienne consiste à nous éloigner autant que possible de certains moyens illicites pour acquérir l’argent, de l’égoïsme, de l’égocentrisme, et de l’individualisme. Les dirigeants congolais, quels qu’ils soient mériteront de leur peuple en le réconciliant avec les valeurs fondées sur l’acquisition de l’argent par des moyens honnêtes, le travail assidu et sur la solidarité et le partage dans son utilisation sans encourager le parasitisme.
Nécessité d’un dialogue permanent
Au lieu des interminables querelles de clochers auxquelles la classe politique est en train de plonger le pays, je propose une grande rencontre de tous les Congolais pour refaire la cohésion nationale et procéder à la réconciliation autour d’une vision commune humaniste et convivialiste qui mette l’homme au centre de tout.
Cette rencontre de tous les Congolais devrait examiner trois questions :
(1) Quel est le Congo dont nous rêvons tous (vision commune) ?
(2) Que pouvons-nous faire ensemble pour bâtir ce Congo de nos rêves (stratégies d’action) ? et
(3) Avec quoi et avec qui allons-nous bâtir ce nouveau Congo (ressources matérielles et humaines) ?
Il s’ensuivra un plan à long terme pour fixer les différentes étapes à parcourir pour qu’au bout des 30 prochaines années, nous ayons un autre Congo.
Pour la réconciliation nationale, nous devons envisager la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle différents des projets de chasse aux sorcières quotidiennement brandis par certains. La justice transitionnelle désigne l’ensemble de mesures auxquelles un régime fraîchement installé à la suite d’un conflit armé ou d’une crise a recours pour faire face aux violations massives des droits de l’homme ayant eu lieu avant ou pendant ladite crise afin de promouvoir la transformation de la société, faciliter la réconciliation et l’établissement de l’État de droit et de la démocratie. Il repose sur quatre piliers sans lesquels son effectivité serait sérieusement compromise. Il s’agit (i) du droit de savoir, (ii) du droit à la justice, (iii) du droit à la réparation et (iv) du droit aux garanties de non-répétition.
La rencontre entre tous les Congolais de bonne volonté que je suggère n’a rien à voir avec les différents «dialogues» qui se terminent par le partage du « pouvoir ». Il sera l’occasion propice pour travailler à la mise en place d’un nouveau système référentiel politico-idéologique reposant sur les quatre principes ci-après :
a.- Le principe de la commune humanité en vertu duquel par-delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres,
b.- Le principe de la commune socialité qui nous rappelle que les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse de leurs rapports sociaux,
c.- Le principe d’individuation selon lequel la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant ses capabilités, sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres, dans la perspective d’une égale liberté, et
d.- Le principe d’opposition maîtrisée découlant de la vocation de chaque être humain à manifester son individualité singulière et de s’opposer à d’autres, ce qui est légitime pour autant que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice.
Le moment est arrivé de nous réapproprier notre destin, de revisiter notre histoire commune pour l’évaluer sans complaisance, projeter ensemble l’avenir, notre devenir commun dans un autre Congo qui ne sera pas un copier-coller des «maîtres du monde». Ce n’est qu’au terme d’une telle cogitation à organiser à tous les niveaux (local, provincial et national) que nous pourrons envisager la tenue d’élections qui seront réellement libres et démocratiques et dont les résultats reflèteront incontestablement le choix du peuple souverain.
Un système électoral piégé
S’agissant des élections, un constat s’impose: depuis l’indépendance jusqu’à ce jour, elles se font sur une base ethno-tribale. Le Congolais ne choisit pas la personne qui répond à un certain profil établi sur base des qualités relevant du savoir, du savoir-être, du savoir-faire et du savoir-faire-faire. On jette généralement son dévolu sur le frère ou la sœur de la même ethnie, de la même tribu, du même clan, que soi quels que soient ses qualités et ses défauts. Dans l’espoir de recevoir quelques miettes des prébendes qu’il pourrait tirer des «maîtres du monde». Le pouvoir est à cet égard considéré comme un moyen d’enrichissement pour soi et ses proches.
Conséquence : si le système électoral ne favorise pas un frère ou une sœur de tribu, d’ethnie, de clan, si le pouvoir organisateur du scrutin ne proclame pas vainqueur un candidat proche de soi, on est convaincu que les élections ont été truquées et sont donc contestables. On se diabolise mutuellement.
Aussi, quelle que soit la réforme du système électoral, ou la neutralité des personnes chargées d’organiser ou valider les élections, sans une redéfinition de fond en comble de ces fondamentaux notamment pour réduire les ravages du tribalisme, le pays ne pourra que s’engluer dans d’éternelles contestations et des conflits post-électoraux.
Depuis 2006, le processus électoral rd congolais est affligé d’une autre tare : celle du mercantilisme. En effet, les élections sont devenues un véritable business. Extrêmement coûteuses, elles deviennent pour d’aucuns une occasion comme une autre de faire des affaires juteuses grâce à la passation des marchés impliquant souvent des commissions faramineuses. On comprend alors que les enjeux, d’une part, de la désignation du premier animateur de la CENI, principal ordonnateur des dépenses de celle-ci et, d’autre part, l’agitation observée dans le chef de la Communauté internationale lorsque les autorités en place en 2016 décidèrent de faire couvrir par le seul Trésor public les dépenses de la centrale électorale.
Peut-être faudrait-il pour éviter ces écueils revenir à la pratique simple consistant à confier au ministère de l’Intérieur l’organisation des élections. Mais pour cela, il faudra non seulement que se rétablisse la confiance entre Congolais, mais aussi et surtout une forte dose de probité morale chez ceux qui seront commis à cette tâche et surtout chez ceux qui, au niveau des cours et tribunaux seront appelés à en contrôler la fiabilité.
La troisième tare de nos élections c’est le fait que les résultats en sont souvent dictés par les «maîtres du monde» qui tiennent à imposer aux Congolais des dirigeants en fonction de leurs intérêts. Rien ne justifie que 60 ans après l’indépendance, les résultats de nos élections doivent nécessairement être ratifiés ou validés par des Américains, Belges, Français et autres puissances occidentales.
Certes, la position géostratégique de la RDC pourrait justifier cette grande dépendance de nos dirigeants vis-à-vis de la «Communauté internationale». Mais, nous devons savoir qu’il appartient aux seuls Congolais de mettre un terme à cette dépendance qui pousse les élites nationales à négliger les élections à la base. En effet, les seuls scrutins qui intéressent vraiment les suprématistes occidentaux sont la présidentielle et les législatives. Couper ce cordon ombilical qui nous lie aux «maîtres du monde» et nous empêche de nous autodéterminer doit être considéré comme une priorité. On pourrait notamment envisager avec nos propres moyens des scrutins moins onéreux, en procédant par des primaires pour la désignation des candidats aux élections, dans chaque parti ou plate-forme politique. Ainsi, émanant réellement du peuple, ils seront réellement à son service et lui seront redevables.
En guise de conclusion
Ce qui précède paraît bien utopique dans le contexte actuel, je l’admets. Mais tout grand projet ne commence-t-il pas d’abord par une projection idéale ? C’est après que l’on en discute avec les architectes pour leur commander un plan avant d’en confier la réalisation à un constructeur entouré de différents corps de métiers (maçon, charpentier, électricien, plombier etc.)
En tout état de cause, nous nous devons de déchirer les plans dessinés par d’autres (les « maîtres du monde ») pour nous pour bâtir un Congo qui serait pour ses fils et ses filles une terre d’égalité, de participation, de responsabilité, de liberté et de justice.
Abbé Joseph-Pierre (José) MPUNDU-E-BOOTO BOSAWA
Prêtre et psychologue, Archidiocèse de Kinshasa
E-mail : jpmpundu@gmail.com
IMPERITIE ET INCONSEQUENCE DES ACTEURS POLITIQUES ET SOCIAUX : SOS d’un prêtre
