Il n’y a pas d’ennemis éternels en politique, dit-on. En RDC, les manifestations politiques du mois de juillet 2020 viennent de dévoiler au grand jour la méfiance que continuent à se vouer les plateformes politiques Cap pour le Changement (CACH) du président Félix Antoine Tshisekedi et Front Commun pour le Congo (FCC) de son prédécesseur Joseph Kabila qui avaient constitué en janvier 2019 une coalition majoritaire pour gouverner ensemble le pays en reléguant dans l’opposition le Lamuka du trio Katumbi-Bemba-Muzito qui soutenait le candidat malheureux Martin Fayulu Madidi.
Moins de deux ans après, tout ce beau monde se trouve embourbé dans un indescriptible embrouillamini. Chacun se cabre dans une posture solitaire. L’UDPS de Tshisekedi et ses alliés de CACH autant que le PPRD de Kabila et ses co-sociétaires du FCC se regardent en chiens de faïence dans le cadre d’une coalition gouvernementale qui ne tient qu’au fil ténu de la gêne de leurs deux leaders à voir fondre comme beurre au soleil les engagements que l’un et l’autre avaient pris de mener de concert les affaires du pays pour faire droit au choix de l’électorat rd congolais au premier la présidence de la République et au deuxième la majorité dans les chambres parlementaires. Bénéficiaire de cet imbroglio, l’opposition Lamuka se pourlèche les babines et attend impatiemment son heure avec le soutien affiché de ses mentors occidentaux et leurs relais notamment au sein de la hiérarchie de la très conservatrice Eglise catholique congolaise.
Chacun y est allé de sa marche, même lorsque la plupart des revendications semblaient similaires. Ce fut le cas notamment entre le CACH et Lamuka qui prétendaient s’opposer au choix porté par une majorité de confessions religieuses sur Ronsard Malonda comme leur représentant à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Ou entre CACH et FCC affirmant tous les deux défendre mordicus les institutions, la constitution et l’Etat de droit. De toute évidence, personne ne faisait en réalité cause commune avec un autre.
La confusion semble même plus marquée au sein d’une plateforme comme le CACH où l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) où l’on ne semble pas être parvenu à avaler la couleuvre de l’embastillement humiliant suivi de la lourde condamnation de Vital Kamerhe par une justice congolaise soupçonnée d’être inféodée par un allié (UDPS) soucieux de faire place nette en prévision de l’échéance de 2023 pour laquelle Félix Tshisekedi s’était engagé à soutenir la candidature de Kamerhe pour le Top Job, une perspective exclue du fait de la condamnation pour des actes d’indélicatesses de gestion des fonds du programme dit des 100 jours.
En réalité, les agitations du mois de juillet ont ramené à la surface l’impossibilité quasi-congénitale de la direction en place du parti présidentiel, sinon à sceller des alliances fiables, du moins à honorer ses engagements dans une coalition, quelle qu’elle fut.
L’État UDPS, une entité par soustractions successives
« Il est clair que le député national Jean-Marc Kabund auquel Félix Tshisekedi a confié l’intérim du parti n’est pas à la hauteur de cette tâche dans le nouveau contexte créé par l’accession de l’UDPS au pouvoir», estime un élu Est-Kasaïen du parti présidentiel sous le sceau de l’anonymat. Qui rappelle que lorsqu’on est au sommet de l’État dans un pays aussi composite que la RDC, l’on doit sous peine de s’auto-paralyser, « savoir faire appel à d’autres tendances politiques pour gonfler ses rangs et se donner toutes les chances de gouverner dans la cohésion. C’est ce qui a permis à un Joseph Kabila qui est arrivé accidentellement à la présidence, de garder la main pendant 18 ans. Malgré tous les vents contraires qu’il a eu à traverser, il a toujours eu à cœur de négocier habilement pour récupérer sur le parcours la plupart de ses anciens adversaires et de les amener à accepter son leadership et qui forment actuellement le Front Commun pour le Congo (FCC) en leur faisant miroiter avec une très convaincante détermination le dénominateur commun de la souveraineté nationale face aux convoitises extérieures de ceux-là même qui l’avaient aidé à s’imposer sur ses ‘’tontons’’ après l’assassinat de son père Mzee Laurent Désiré Kabila». Le discours souverainiste et le tact du fils de Mzee ont pu fédérer un nombre significatif de formations politiques et sociales d’opinions politiques variées autour de lui. Lorsqu’il lui arrive de surmonter son inclinaison au silence pour répondre aux questions concernant l’éclectisme de sa plateforme, JKK se contente de ces quelques mots : «ce qui unit les citoyens d’une même patrie est toujours plus fort que ce qui peut les diviser. C’est cela la République. L’on ne peut pas être un homme d’État lorsqu’on ne sait pas s’élever au-delà des clivages conjoncturels pour privilégier le pacte républicain qui n’est autre que à l’intérêt général».
A l’opposé, en 18 mois d’exercice du pouvoir, l’UDPS du président Tshisekedi n’a fait que s’isoler et mépriser l’apport d’autres formations politiques qui pourtant, de bonne foi, lui ont facilité la tâche dans la conquête et l’exercice du pouvoir. Quelques jours à peine après la conquête du top job, il est devenu évident que l’Union pour la nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, son allié dans le processus dit de Naïrobi au sein de CACH était déjà considéré comme encombrant au point de faire l’objet d’une diabolisation qui culmina avec la mise à l’écart feutrée de Kamerhe.
Ensuite, ce fut le tour du FCC, le partenaire dans la coalition parlementaire de passer à la casserole. «La logique semble linéaire depuis la dénonciation de Lamuka ancien partenaire de Genève devenu l’ossature de l’opposition à la coalition CACH-FCC», selon ce politologue, analyste de son état pour qui, en faisant perpétuellement le vide autour de lui, le parti présidentiel se calfeutre dans l’isolement et ne rate pas une seule occasion de se substituer à l’État. « On dirait qu’après avoir subi pendant des années les coups de boutoir du MPR, le parti-État de Mobutu, l’UDPS ou du moins sa direction politique actuelle en a attrapé le virus et aspire à en devenir lui-même un, ce qui expliquerait toutes les dérives d’autoritarisme et d’intolérance qu’elle affiche de plus en plus ainsi qu’on l’a vu lorsque ses ‘’combattants’’ se permirent de fermer pendant près de trois mois la maison communale de Ngaliema, située en face de la présidence de la République, y faisant flotter leurs drapeaux pour la simple raison que le bourgmestre de cette commune issu de leur parti avait fait l’objet d’une mesure de suspension administrative par sa hiérarchie». Il révèle également que dans le Haut-Katanga, des fédérations de ce parti ne s’empêchent pas de défier l’autorité de l’État en érigeant des ‘’check-points’’ de fortune pour percevoir des taxes illégales. «On signale que la fédération Bilanga de Kasumbalesa à la frontière avec la Zambie disposerait de son propre poste douanier, de son lieu de détention et de son administration dont les membres travaillent habillés en uniformes aux couleurs de leur parti», ajoute-t-il. À Kinshasa, que n’a-t-on pas vu pendant les manifestations publiques du mois de juillet 2020. Alors que d’autres organisations politiques se voulaient respectueuses de l’ordre public, seules les marches de l’UDPS ont donné lieu à des affrontements sanglants avec les forces de l’ordre qui pourtant encadraient paisiblement les manifestants pour réprimer les casses et les pillages et autres actes de vandalisme.
Lorsque les membres du FCC ont marché le 23 juillet 2020, des jeunes membres de l’UDPS se sont organisés sur le boulevard Lumumba devant le siège national du parti pour lapider des militants du FCC et molester tous les passagers arborant les couleurs des partis politiques de cette plateforme.
Tout se passe comme si en RDC, le concept de l’état de droit ne s’applique pas aux membres des formations politiques autres que celle du président qui se croient autorisés à imposer leurs points de vue par la violence.
Les yeux rivés sur 2023
Dans seulement trois ans, les Congolais seront de nouveau convoqués aux urnes pour la quatrième fois depuis la promulgation de la constitution en 2006. Si pour les législatives chaque formation politique à même de réaliser le seuil électoral peut librement concourir, encore qu’il faille déjà définir préalablement les contours d’une majorité parlementaire, il en va autrement du scrutin présidentiel. Même pour une élection à un tour, il est aléatoire de penser remporter la victoire avec un seul parti politique. C’est d’autant plus vrai que les vieux démons du tribalisme sont revenus au galop. Dans un tel décor, croire qu’en se réveillant à la dernière minute pour séduire les électeurs est pure illusion. Il n’est pas sûr que les électeurs perdent de vue le non-respect des engagements librement consentis et l’arrogance d’un parti présidentiel qui aura désolé par sa condescendance et le comportement violent de ses ‘’combattants’’.
A cette allure, quelque soit la formule que le président de la République trouvera pour sa réélection, à défaut de changer d’angle de tir, il y a un risque que dans les urnes, il ne puisse compter que sur les voix des irréductibles de l’UDPS, son parti.
JBD