Beaucoup d’analystes s’accordent à ce jour sur le fait que dans le panorama d’idées politiques contemporaines au Congo Kinshasa, l’anarchisme occupe une place singulière. C’est ce qui ressort des récentes prestations du parti présidentiel sous l’impulsion de JM Kabund, son controversé président a.i. Ecarté de la prestigieuse vice-présidence de l’Assemblée nationale par ses pairs, le n°1 de l’UDPS/T. a trouvé une occasion de faire parler de lui en lâchant sa milice contre ses collègues du FCC, coupables d’avoir simplement fait leur travail en initiant des propositions de lois sur la réforme judiciaire introduite dans la constitution de la République depuis 2011 lorsque personne ne pouvait soutenir qu’elle visait à fragiliser quelle qu’institution publique que ce soit.
Au cours d’une réunion dimanche au siège national de l’UDPS pour affiner des stratégies de neutralisation de l’Assemblée nationale, il aurait été décidé de faire bloc contre l’adoption des lois en question selon une communication d’Augustin Kabuya, secrétaire général a.i de ce parti pour qui «au cas ou le FCC s’obstinerait dans sa logique d’imposer sa volonté au peuple congolais par un passage en force, l’UDPS se réserve le droit d’opposer à la majorité numérique du palais du peuple, la majorité populaire, véritable détentrice du pouvoir». Une allégation d’autant plus irrationnelle que l’UDPS qui n’a pas boycotté les élections générales de décembre 2018, n’a pas pu démontrer la réalité de ce distingo établi entre la victoire de son président national à la présidentielle et celle du FCC aux législatives sur lequel le tandem Kabund-Kabuya s’appuie, sauf à remettre en cause la légitimité du président de la République élu dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que les 500 députés nationaux sur lesquels l’UDPS crache aujourd’hui.
48 h après cette rencontre, une escouade de motards dits «wewa», en fait des militants de l’UDPS/T. ont pris d’assaut le palais du peuple caillassant au passage tous les véhicules 4×4 censés appartenir aux députés nationaux coupables de lèse-Kabund. Dans le même temps, étaient signalés le saccage et le pillage des résidences du député national Aubin Minaku du FCC et certains autres membres de cette plateforme pourtant partenaires de l’UDPS au sein de la coalition CACH. Cerise sur le gâteau, le domicile du journaliste et manager de la chaîne TV Télé 50 Jean-Marie Kassamba était aussi vandalisé comme le punir de ne pas être anti-kabiliste.
Tout ceci dans une totale passivité des forces de police. Les ‘‘émissaires’’ de Kabund ont paralysé la partie adjacente au palais du peuple de la commune de Lingwala les 23 et 24 juin, se permettant même d’ériger des check-points au nez et à la barbe de la police pour identifier leurs victimes. Cette chienlit a provoqué l’ire des élus du peuple, notamment le député national Didier Manara, chef du groupe FCC qui a qualifié ces actes de barbares et signalé que les propositions de lois Minaku – Sakata n’avaient pas été initiées dans la rue. «Comment peut-on être au contrôle du pouvoir et laisser ses militants se comporter de la sorte ?», s’est interrogé l’élu de Kasongo (Maniema) qui a en outre estimé que la place du débat était dans l’hémicycle.
Manara a invité ses collègues de CACH à se joindre aux élus du FCC pour dialoguer au lieu d’« envoyer un groupe de lascars perturber la quiétude des travaux des deux chambres législatives de la République».
Célestin Musao Kalombo, rapporteur de la chambre basse du parlement a pour sa part, au nom de la conférence des présidents réagi en déplorant le fait qu’« il est inadmissible que les militants d’un parti politique qui prône la démocratie se permettent d’empêcher les députés de travailler normalement». Le 12 juin, les mêmes échauffourées avaient empêché les députés nationaux d’accéder à l’hémicycle. Pour cause, la réquisition du procureur général près le Conseil d’État qui avait ordonné à la police d’empêcher la tenue de la plénière élective qui devait procéder au remplacement de Jean-Marc Kabund au poste de 1er vice-président de l’Assemblée nationale d’où il avait été défenêstré à la suite d’une motion présentée par 62 de ses collègues excédés par ses outrances.
L’anarchisme dans le chef du député Kabund fait donc l’impasse sur l’expression du souverain primaire à travers ses élus qui constitue le b.a.ba d’un Etat démocratique. L’histoire enseigne qu’aucune libération nationale, aucun changement social, aucune politique progressiste ne peut voir le jour dans l’anarchie, un concept qui quoique pompeusement séduisant pour certains esprits faibles, s’avère politiquement inopérant. Pratiquant le grand écart entre la théorie et la pratique, il donne satisfaction à la conscience émoussée au prix d’un renoncement à agir.
L’anarchisme comme doctrine ne laisse à ses partisans qu’un rôle de spectateurs d’une histoire toujours écrite par les autres. A quoi bon dès lors prétendre lutter pour la démocratie, vanter « le peuple d’abord », pour construire un État de droit, puisque pour tout anarchiste, «l’État c’est le mal » ? Participer à pareille entreprise revient à retomber dans l’ornière du ‘‘socialisme par en haut’’, même avec l’illusion trompeuse d’être soutenu par un «peuple» manipulé. C’est cautionner l’avènement d’une nouvelle oligarchie qui se contente d’amadouer les masses par des slogans creux. C’est se se compromettre avec une histoire équivoque alors que l’on prône la transparence. Avec ce regain libertaire, on a l’impression que, inconsciemment peut-être, Kabund est en train de faire revenir le parti du regretté Etienne Tshisekedi sur l’anarchisme comme mode de gestion, en se contentant de l’euphorie offerte par des bandes d’applaudisseurs stipendiés sans considérer le revers de la médaille. Si on le suivait, les questions posées par la réforme judiciaire intégrée dans la constitution depuis 2011 resteront sans réponse.
Le militantisme pseudo révolutionnaire ne peut en aucune manière s’accomoder des anti-valeurs de la corruption de certains pans de la justice qui ont appelé le rétablissement il y a 9 ans du principe d’injonction positive du gouvernement, détenteur de la politique criminelle de la nation sur le parquet sans préjudice de l’indépendance des juges qui n’est en rien entamée par ladite révision. La démocratie dont l’UDPS/T. à l’instar d’autres formations politique congolaises rêve risque d’être condamnée à rester ce «mythe mobilisateur» dont parlait Georges Sorel: efficace pour stimuler la lutte, elle est parfois difficile à la faire aboutir. Elle n’est certainement pas synonime de la révolution libertaire. Portés par leur élan insurrectionnel permanent, Kabund et sa frange semblent cultiver un attachement fétichiste aux postes protocolaires qu’ils utilisent désormais pour leur propre compte.
Certains justifient le banditisme politique auquel ils s’adonnent en référence aux aventures rocambolesques dont la littérature et le cinéma gavent un public peu averti. La fuite en avant qui semble être devenue leur seule stratégie politique marque le rejet de l’action pacifique au profit d’une révolte brute sinon brutale, justifiant les moyens par la fin même dans l’illégalité.
Pas de démocratie si Kabund n’y trouve pas son compte
Sa «nomenklatura» fait la morale aux députés nationaux dans la rue et les réseaux sociaux en terrorisant quiconque la contredit et en faisant fi des règles démocratiques élémentaires sur la rupture de confiance au nom d’une «Décision finale» dont on peut poser utilement la question de la légitimité dans un contexte démocratique.
Face à l’inconscience et au laxisme qui ont permis les assauts répétés du siège du parlement, il est urgent de poser la problématique de la sécurité et des libertés publiques ainsi menacées au nom d’une conception dévoyée de la démocratie. Car sans sécurité, pas de prospérité économique et sans exercice des libertés, pas de créativité et de développement.
La névrose de la fachosphère
Pressé de donner un contenu acceptable aux évènements survenus mardi et mercredi au palais du peuple, un courant de pensées dans ce qu’il faut bien appeler la fachosphère pense promouvoir ses fantasmes propres et va jusqu’à remettre en cause la nécessité de légiférer sur un principe constitutionnel que d’aucuns tentent de remettre en cause de manière … non constitutionnelle.
Ce faisant, ils apportent la preuve que soit ils ne comprennent rien au rôle du parlement dans un Etat, soit ils n’ont que du mépris pour ce peuple qu’il assaisonnent à toutes les sauces des aboiements de la fachosphère. «On a eu le sentiment que les milices wewa opéraient en toute liberté et que la sécurité publique n’était plus garantie à Kinshasa », a regretté l’honorable Nsingi dont la voiture a été mise à sac par ces milices tandis qu’un autre élu de Lubumbashi déplorait pour sa part le fait que « les députés de l’UDPS soient les plus improductifs du parlement avec à leur actif une seule proposition de loi sur la cybercriminalité depuis le début de la législature. Parfois, il faut se taire et laisser faire ceux qui osent».
À Kinshasa et aux abords du palais du peuple, ce qui est en cause également, c’est la veulerie d’une police peu professionnelle dont les agents semblent avoir oublié que leur devoir est d’intervenir pour garantir à tous les citoyens une protection égale au lieu de se vautrer dans l’indignité pour toujours complaire aux plus forts du moment. Ni avant, ni pendant, ni après le début des incidents, rien ne s’est passé comme cela aurait dû être. L’armement du groupe n’a pas été détecté, son action n’a pas été empêchée et à Lingwala notamment face aux propriétés du leader du PPRD Shadary, les dégâts n’ont pu être limités que grâce à des groupes de jeunes voisins qui s’étaient spontanément organisés en groupes d’auto-défense. Un schéma qui n’augure rien de bon pour l’avenir dans cette mégalopole de plus de 10 millions d’âmes.
La communauté internationale (occidentale) s’est invitée dans ce débat notamment à travers un communiqué des ambassadeurs du Canada, de la Grande Bretagne et des Etats-Unis exprimant leurs «préoccupations au sujet des récentes propositions de loi qui pourraient être utilisées pour amoindrir l’indépendance de l’apparail judiciaire qui est un élément fondamental d’une démocratie accomplie et la bonne gouvernance. Réduire cette indépendance viendrait à miner la protection des droits civils et politique en RDC». Bien que les 3 pays condamnent la violence qu’ils estiment «inacceptable, nous exhortons toutes les parties à faire preuve de retenue afin que chacun puisse exercer ses droits à la liberté d’expression et manifestations pacifiques», on peut s’étonner de cette propension irrésistible des occidentaux à donner des leçons de bonne gouvernance aux africains. Et poser la question notamment de savoir comment un pays comme les Etats-Unis d’Amérique dans lequel le ministre de la Justice est en même temps lui même procureur général de la République (Attorney general), donc chef sans partage de tous les parquets de l’Union peut trouver à redire sur cette législation qui ne fait rien d’autre que mettre en pratique le principe de l’injonction positive du ministre de la Justice sur le parquet. Toujours deux poids, deux mesures…
Pour en revenir à Kabund et ses milices, il est clair que leur objectif était d’instaurer un climat de terreur.
Les leçons à tirer de ces évènements dépassent la pauvre polémique autour des propositions des lois Minaku – Sakata sur la réforme judiciaire. De toute évidence, le député Jean-Marc Kabund et ses amis ont du mal à s’acclimater au contexte démocratique qu’ils vantent pompeusement à longueur de journées. C’est aussi le problème du rôle et de l’affectation par le gouvernement des forces de police pour garantir la sécurité des Congolais et de leurs institutions.
Vous avez dit démocratie ?
Comme l’a déclaré mercredi le député national Aubin Minaku, ceux qui sont contre ces propositions de loi n’ont qu’à suivre les voies légales. Car «manifester est une expression garantie en démocratie. En France, le même débat avait eu lieu, les magistrats avaient manifesté. Ils avaient ensuite saisi le conseil constitutionnel, mais n’avaient pas eu gain de cause. Je suis démocrate, les manifestations ne me gênent pas, mais il y a manifestation et manifestation. Lorsqu’on incendie des véhicules d’autrui, qu’on se rend à ma résidence traumatiser les enfants, ce n’est plus de la démocratie. Je ne l’accepterai jamais», a t-il souligné. «Nous sommes dans une République. Nous avons déposé nos propositions. Elles ont été déclarées recevables par la plénière souveraine de l’Assemblée nationale. Les travaux se font en commission. Ce n’est plus mon affaire. C’est une affaire républicaine. S’il faut qu’elles soient retirées, ce sera en plénière. Ce qui se passe maintenant n’a rien de républicain», a t-il conclu.
Marie-Ange Mushobekwa, députée nationale, ancienne ministre des Droits humains s’est montrée également indignée: «Et si chaque parti politique achetait des motos pour ses militants ? Et si chaque camp politique donnait des pierres à ses partisans pour casser les véhicules des adversaires? Où allons-nous ? Violence ? N’est-il pas possible d’exprimer sa désapprobation autrement? », a-t-elle écrit sur son compte Tweetter. Le candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2018, Seth Kikuni a été plus tranchant en exigeant carrément la suspension de l’UDPS en tant que parti politique: «Je ne comprends pas pourquoi les gens se plaignent de la barbarie des militants de l’UDPS. Il existe une loi portant fonctionnement des partis politiques qui stipule que si un parti trouble gravement l’ordre public, il doit être suspendu. C’est aussi cela l’Etat de droit». Il est complété par l’ancien dircaba de Joseph Kabila, Jean Pierre Kambila : «Ces voyous ne répondent que de leurs éducation ratée. Il ne faut pas les laisser tuer la démocratie. La République doit se défendre. Ils ne savent pas ce qu’est la démocratie et je me demande s’ils sont réellement de l’UDPS ou si ce n’est pas une milice de violents qui veulent contrôler ce parti et en faire l’instrument d’une dictature. Les démocrates ne céderont pas à l’intimidation. Démocratie viva !».
Les dénonciations et condamnations de ces actes de barbarie affluaient encore mardi lorsque la milice de Kabund a récidivé mercredi 24 juin. Certains analystes ne se sont pas empêché de demander plus de sincérité entre acteurs politiques car, agir par mercenaires interposés, est une hypocrisie favorable à l’avènement du chaos.
Alfred Mote
Analyste politique